Zander

Je rejoins Plume dans la cuisine, elle se retourne avec un sourire pour récupérer le sac à dos que je lui tends. Elle s’arrête quand elle voit mon visage fermé et mes yeux probablement remplis de colère, comme je le suis actuellement.

Comment a-t-elle pu nous cacher ça ?

Elle penche la tête sur le côté et fronce les sourcils, essayant de comprendre mon changement d’attitude.

— Crache le morceau, tu vas finir par te luxer les mâchoires à force de les serrer autant.

Je décontracte légèrement mes muscles, tout en lui lançant le regard le plus noir que je peux. Ma main droite serre toujours l’objet que j’ai trouvé dans sa voiture.

— Tu n’as rien à me dire ? dis-je, froidement.

Plume m’observe sans comprendre, elle tente de se remémorer ce qu’elle a pu faire, ou laisser traîner après avoir quitté le marché. Ses sourcils sont toujours froncés, elle secoue négativement la tête, alors que ma main se resserre de plus en plus fort sur le pendentif.

— Tu te fous de notre gueule depuis le début ! je crache, avec dégoût et colère.

Je ne me maîtrise plus, j’espère qu’elle va vite avouer avant que la bête en moi ne prenne le dessus. Elle m’observe toujours sans comprendre mon excès de colère. Keylan arrive au même moment et pénètre dans la maison comme une fusée, nous regardant tour à tour sans comprendre. Le visage de la jeune femme commence à rosir de colère, elle aussi.

— Crache le morceau plutôt que de m’accuser sans raison ! Je ne suis pas dans ta tête d’Exécuteur pour savoir ce que tu penses savoir. dit-elle sans perdre son aplomb.

C’en est trop, je suis à deux doigts de péter un câble et je n’ai qu’une envie actuellement, lui exploser la tête contre le mur pour qu’elle nous parle. Je relève ma main et la claque sur la table de la cuisine avant de libérer le collier, qui comporte trois symboles, dont celui de la meute des Kerebel, signe bien distinctif, avec sa tête de loup inspirée du triskèle et un croc de loup en guise de corps, les deux autres pendentifs sont une larme de sang, puis le même poignard qu’on avait retrouvé sur les lieux du combat où Naël et moi l’avons aidé. Je l’observe alors qu’elle regarde le collier et pâlit à vue d'œil en prenant conscience de ce qu’elle nous cache. Le souffle de mon meilleur ami se bloque dans ses poumons quand il reconnaît le symbole de meute.

— Et ? me demande-t-elle.

Je commence à vriller, les fusibles de mon cerveau se débranchent au fur et à mesure. Je m’avance d’elle dangereusement. Lui empoigne violemment le bras pour qu’elle ne fuie pas, comme elle a l'habitude de le faire. Si mon regard pouvait tuer, elle serait déjà morte. Toutefois, Plume ne se démonte pas, ce que j’apprécie même si je ne le lui dirais probablement jamais, sa vie tient à un fil actuellement.

— Depuis le début, tu te fous de nous ! C’était quoi le plan ? Te rapprocher de nous pour mieux nous tuer ?

La colère bouillonne aussi en elle, je le sens, elle est à deux doigts de craquer, mais pas dans le sens de la discussion. Elle comme moi, nous nous affrontons, c’est à celui qui tiendra le plus longtemps, sans exploser la tête de l’autre. Ses yeux se reposent sur le collier et la tristesse peut se lire dans ses yeux, toutefois, je ne suis plus en état de réfléchir correctement. Quand je vois l'emblème de la meute de Kerebel, ou qu’on prononce son nom dans une discussion, je perds rapidement pied.

— Tu penses vraiment que j’aurai mis mon fils en danger pour ça ? répond-t-elle avec véhémence tout en essayant de se libérer de ma poigne.

Pourtant, je ne la libère pas, je serre un peu plus ma main contre son poignet jusqu’à entendre légèrement ses os craquer. Je suis à un cheveu de la rupture totale. Keylan se poste à mes côtés et tente de me calmer, mais ma fureur est beaucoup trop grande. La haine l’emporte sur la raison, je ne suis plus que colère, rage et mes yeux virent progressivement aux jaunes, laissant la place à mon loup qui réclame du sang.

— Si ça se trouve, ce n’est même pas ton fils, tu nous caches la moindre information depuis le début, alors qu’on essaye de te comprendre ! Tu as peut-être assassiné sa mère sans scrupule et te fais passer pour elle.

Mes mots sont violents, si je prenais le temps d’assimiler les différentes expressions que je peux voir dans son regard, je me rendrais compte qu’ils sont injustes. Je continue de la fixer droit dans les yeux, elle me rend mon regard. Mon aura d’Alpha commence à recouvrir mon corps. Elle serre les dents, je ne sais pas si c’est pour se calmer ou pour supporter mon aura.

— Zander, calme-toi ! Je ne tue que pour me défendre et encore moins d’innocents ! Je ne suis pas un Exécuteur, moi !

Me calmer ?

Pour quoi faire ?

Alors qu’elle nous ment et nous manipule depuis le début, mes iris sont remplacés par ceux de mon loup en totalité, pendant que mon aura remplit la pièce. La colère ne me quitte pas, au contraire, elle continue de s’intensifier. Je suis tellement obnubilé par Plume, que je ne me rends pas compte que Cayden est arrivé à ma gauche et qu’avec Keylan ils essayent de m’arrêter. Ma poigne continue de se resserrer autour du poignet de Plume et j’entends son os céder. Je veux des réponses et je ne lâcherai pas l’affaire. Quand son poignet se casse, ses mâchoires se contractent encore plus, elle tient à ne pas montrer sa douleur. Sa rage augmente aussi jusqu’à ce qu’elle ne la contrôle plus non plus, ses yeux deviennent complètement jaunes avec une lueur de vert à l’intérieur, en totale symbiose avec son loup. Son aura se décuple autour d’elle, à tel point qu’elle rivalise facilement avec la mienne, mais la fureur m’empêche de la relâcher, elle desserre un peu les dents pour me parler.

— Zander ! Arrête…

— Réponds !

— Relâche-moi et on discutera.

Je ne peux pas, nos auras s’intensifient encore, personne ne veut lâcher prise. Enfin surtout moi, vu que c’est la deuxième fois qu’elle me le demande. La rage de mon loup devient presque incontrôlable, Plume le sens. Son aura est aussi puissante que la mienne, mais contrairement à moi sur l’instant elle maitrise beaucoup mieux sa colère. Je finis par relâcher son poignet, pour lui agripper avec force l’épaule dans le but de la briser, elle aussi. Elle supporte la douleur. Elle encaisse bien, il n’y a rien à dire là-dessus. Alors que j’intensifie ma prise sur sa clavicule, elle ferme les yeux pour canaliser sa colère et m’envoyer une vague de puissance, son genou vient cogner avec violence ma rotule pour me faire chuter. Sous la surprise, je me retrouve à genoux. Je pourrais presque la remercier d’avoir épargné mes bijoux de famille, alors que ça devait être sa première idée. De sa main droite intacte, elle chope mon bras, alors que j’essaye de comprendre ce qu’il vient de se passer et me déboîte l’épaule en s’aidant de son genou. Mon aura s’estompe doucement, alors que je me rends compte qu’elle a déjà fait disparaître la sienne. Je halète sous le coup de la douleur. J’observe mes deux Bêtas qui regardent Plume avec de grands yeux écarquillés. Une fois que j’aurai analysé la situation avec calme, je pense que je réagirai comme eux. Elle a bien utilisé une aura d’Alpha alors qu’elle n’a pas de meute ?

— Qui es-tu ? demande Cayden en rompant le silence, alors que Keylan m’aide à me redresser.

— C’est bon, tout le monde est calmé ? On va pouvoir discuter ? Ou je dois vous virer de chez moi à coups de pied aux fesses ? demande la jeune femme tout en posant une poche de glace sur son poignet, alors qu’elle en tend une autre à Keylan pour mon épaule, qu’il a déjà remis en place.

— Je t’écoute, répondis-je, d’une voix rauque tout en tentant de reprendre pied dans la réalité, même si mon genou et mon épaule m’y aident grandement.

Plume nous observe tour à tour et soupire, elle demande à Cayden de nous servir les tisanes et de les porter dans le salon, alors qu’elle part vers sa chambre et nous ramène un dossier, qu’elle pose sur la table basse avant de prendre place dans le canapé. Nous nous installons aussi, puis je plisse les yeux en avisant le dossier.

— Pourquoi as-tu ça ? demande Cayden avec les yeux écarquillés.

Cela va devenir une habitude avec elle de nous surprendre. Mais là j’avoue ne pas savoir à quoi m’attendre.

— Il y a tout ce que vous cherchez là-dedans, dit-elle simplement, non sans me fusiller de son regard émeraude.

Cayden prend le dossier dans ses mains et commence à le feuilleter tout en passant par la surprise, la peur, la compréhension et le respect. Je fronce les sourcils sans comprendre. Il passe le dossier à Keylan et nous regardons les papiers avec attention.

— Bordel de…

Je me coupe dans ma phrase, alors que la femme en face de moi a les coudes sur ses genoux et la tête entre ses mains, ça ne lui fait pas plaisir de devoir nous révéler ses secrets, mais elle n’avait plus le choix.

— Merde, oui… En lisant le dossier, tu comprends que je ne suis pas du côté de Kerebel.

— Tu es… s’arrête Keylan.

Vu comment nous sommes partis, on ne va pas avancer si on ne finit pas nos phrases. Plume soupire et redresse la tête afin de nous faire face.

— Sa fille ? Oui… souffle-t-elle, douloureusement.

— Pourquoi tu ne nous a rien dit ?

Je sais ma question est stupide, toutefois, je suis tellement surpris, que c’est la seule phrase qui m’est venu en tête. Mes poings se serrent légèrement, quand les prunelles de Plume s’ancrent aux miennes, avec toute l’animosité qu’elle ressent actuellement face à la situation.

— Et tu aurais voulu que je te dise ça comment ? s’énerve-t-elle. Salut je m'appelle Opale, je fuis Alan Kerebel, mon père qui a fait assassiner devant mes yeux l’homme que j’aimais pour me marier de force à ce psychopathe de Leguenec avec qui il voulait forger une alliance pour diriger tous les loups sous la contrainte ? Alors que vous bossez pour le haut gouvernement ? J’ai un fils, je te rappelle ! Il est hors de question que je le mette en danger et encore moins que mon père apprenne son existence !

Oui, bon vu comme ça en effet. Elle s’est relevée et fait les cent pas devant nous. Elle se poste devant la fenêtre, en essayant de retenir les larmes qui habitent ses yeux. Mes deux Bêtas restent silencieux, le temps d’intégrer les paroles de Plume.

— Si je me souviens bien ta disparition remonte à quelque temps avant que Kerebel ne lance ses exécutions punitives, alors que tu restais introuvable ?

— C’est possible, depuis mon départ, j’ai tout fait pour rester loin des loups, j’étais sur le qui-vive. Vous êtes les premiers que je rencontre depuis plus de sept ans, je suis toujours restée isolée en évitant tous les territoires de meutes connues.

Cayden allait reprendre la parole, quand la porte s’ouvre à la volée sur Erwann, Callie, Paul, Naël, Tya et Gaya. Nous nous retournons tous face à eux, alors que le petit bonhomme fonce sur sa mère.

— Tu vas bien maman ?

Elle le réceptionne, non sans grimacer, son poignet se soigne, mais cela prendra encore plusieurs heures. J’interroge les trois Bêtas fraîchement arrivés d’un regard, puis Callie et Paul avant que les premiers ne me répondent.

— On a senti ta colère et ton aura à travers le lien, Keylan et Cayden peinaient à te contenir alors on débarque, mais la situation à l’air de s’être calmée, nous lance Tya, avec un sourire en coin avant d’aviser le collier et le dossier sur la table basse.

— Erwann a senti la peur et la colère de Plume.

Je hoche la tête, avant de reporter mon attention sur la maman et son fils, elle s’est mise à genoux et le berce dans ses bras en le rassurant, du mieux qu’elle peut. Nous restons tous silencieux, en essayant de lui laisser l’intimité dont elle a besoin, pendant que Keylan relate ce que nous avons découvert par notre lien, dire qu’ils sont surpris serait un euphémisme. Surtout quand mes seconds leur racontent comment la jeune femme toute frêle est parvenue à me mettre à terre pour que je récupère mes esprits. J’avoue que même encore maintenant, je ne sais pas comment elle y est parvenue. Nous cacher sa nature, son fils, son passé, mais en plus son aura d’Alpha, alors qu’elle n’a pas de meute, je n’y comprends rien. Si ça se trouve, elle ignorait aussi jusqu’à maintenant la puissance qu’elle détenait en elle.