Chapitre 1 : Le réveil
Après un long sommeil, Matthew se réveille enfin. Seul au milieu de la glace, ses pensées et sensations reviennent peu à peu. Partout, le silence du vide, total. Puis soudain, une alarme, la lumière derrière la vitre de son caisson. Un souffle de vie réanime les entrailles du vaisseau. Son corps se réchauffe progressivement. La glace se transforme en une buée de givre. Il contracte ses muscles, son cœur s’accélère. Rapidement, Matthew retrouve son métabolisme normal. Il bouge.
Le voilà prêt à sortir. Aussitôt, la paroi au-dessus de lui s'ouvre en coulissant vers ses pieds. Un nuage de brume gelée s'échappe alors du compartiment. La première chose que voient ses yeux est le plafond blanc de la chambre. Les bruits d'alarme cessent. Une voix féminine retentit.
« Sortie de cryogénisation réussie à cent pour cent. Bonjour Matthew. »
Cette voix, l'homme la reconnait. Il s'agit de Litz, l'intelligence artificielle centrale du Darwin, son vaisseau. Incapable de parler pour l'instant, Matthew tente de s'asseoir. Soudain, une crise de vertige s'empare de lui. Pris de violentes nausées, il bascule sur le côté et régurgite un liquide rose pendant plusieurs minutes. Ce phénomène n'a rien d'anormal. Son corps subit les effets de l'hibernation prolongée. Il recrache la substance chimique ayant servi à le maintenir en vie si longtemps, un antigel biologique. Une fois son organisme vidé, Matthew respire à fond l'air stérile en s'étirant. Ses membres sont encore crispés.
« Fonctions vitales normales, aucune séquelle détectée, informe Litz. Reste tranquille, le temps que ton sang circule dans tous tes muscles. »
Trente minutes plus tard, l'homme recommence à sentir les extrémités de son corps. Il bouge un à un ses doigts et pose ses pieds au sol. Prenant appui sur ses jambes, il tente de se mettre debout puis de marcher. Après une heure d'essais difficiles, ses mouvements retrouvent leur coordination. Son corps s'équilibre, les gestes se fluidifient. Le voilà pleinement rétabli.
S'échauffant la voix, Matthew réussit à articuler ses premiers mots.
« Bon... Bonjour Litz... Quelle est la situation ? Le voyage s'est-il bien passé ?
- Affirmatif, Malgré une perte d'énergie plus conséquente que prévue, tout s'est déroulé selon les prévisions des données de mission. Le chemin d'hyperespace est viable. Nous sommes à H moins quatre-vingt-seize heures avant l'arrivée dans le système Meg.
- Incroyable... Nous avons réussi...
- Affirmatif. »
S'il possédait de l'énergie, Matthew bondirait de joie, à raison. Trente-trois ans de préparation, de conditionnement, de formation d'élite, tout ceci pour sa grande mission. Sa vie atteint enfin son point culminant. Un sentiment de plénitude monte en lui. L'excitation fait bouillir le sang dans ses veines. A peine sorti d'hibernation, le voilà déjà prêt pour la suite. Mais malgré sa volonté, ses élans d'aventure doivent attendre. Après un voyage aussi long à une température proche du zéro absolu, son corps réclame ses besoins vitaux. La fatigue, la faim et la soif le tiraillent de plus en plus fort. Il lui faut récupérer. Une cargaison de vivres a été prévue à cet effet dans le garde-manger du Darwin.
« - Litz, peux-tu déverrouiller les portes de tout l'habitacle s'il te plait ? Je meurs de faim.
- Affirmatif. N'en dis pas plus, je sors une ration de vivres du cryoconservateur. Il te faut reprendre des forces.
- Merci beaucoup. »
Matthew se place devant l'unique porte de la chambre qui s'ouvre automatiquement. Il quitte la salle de cryogénisation et débouche sur un dédale de longs couloirs. Les éclairages s'allument un par un, laissant découvrir des murs capitonnés parcourus de câbles. N'importe qui sans plan se perdrait dans les entrailles du vaisseau. Heureusement, l'homme connaît les lieux comme sa poche. Avant le lancement, il a dû tout apprendre sur l'appareil sur le bout des doigts. Comment le piloter, le réparer, et entre autres s'y repérer. Suivant l'itinéraire de sa mémoire, il arrive au réfectoire en deux minutes.
La pièce n'est pas plus grosse qu'un cellier. Quelques ustensiles d’électroménager encerclent une table et une chaise. Un écran suspendu tombe du plafond dans un angle de la pièce. Sur le mur du fond se dessine une porte sur laquelle s'affiche le message « Attention ! Ne pas ouvrir sans conditionnement ni équipement de protection. Danger de mort ! » traduit en une dizaine de langues différentes. Cette porte mène au cryoconservateur. Un immense espace de stockage avec suffisamment de nourriture déshydratée pour survivre deux années entières. L'enceinte a été maintenue à très basse température pour préserver la cargaison du voyage. L'homme s'assoit sur la chaise en se frottant les yeux.
« Où est-ce que ça en est, demande-t-il ?
- Le plat est en cours de décongélation.
- D'accord. En attendant, est-ce que tu aurais toujours toutes les musiques enregistrées avant le départ ?
- Affirmatif, j'en compte toujours trois millions dans ma mémoire secondaire.
- Parfait ! Pourrais-tu mettre une petite musique d'ambiance s'il te plait ?
- Bien sûr. Quelle musique ?
- Je te laisse choisir, impressionne-moi. Une liste de préférence énergique. J'ai assez hiberné comme ça.
-Très bien. »
Aussitôt, Litz s'exécute. Un morceau d'électro-rock résonne brusquement dans tous le Darwin. La détonation fait sursauter Matthew qui se bouche les oreilles.
« Litz ! Moins énergique s'il te plait ! Plus doux ! Un tout petit peu plus doux...
- Affirmatif. »
La musique change. C'est un morceau de pop. Un groupe qui battait les records à l'époque de son départ, en 485.
« - Merci Litz... Parfait... »
Il adorait ce groupe. Chaque temps de permission à la base était dédié éà la musique. C'était son endorphine, ses moments de détente au quotidien. Maintenant qu'il est seul, dans un vaisseau, à des milliards de milliards de kilomètres de l'humanité, la musique est son seul tempo, le seul rythme de ses émotions. L'air se met à vibrer. Les voix des chanteurs recouvrent le silence. Il n'est plus seul à présent. Matthew ferme les yeux, se délecte du son, et détend son corps tout entier. Des minutes de bonheur s'écoulent ainsi. Chanson après chanson, son cœur se réchauffe. La transe s'interrompt avec la voie de Litz.
« Matthew, ton repas est prêt.
- Oh... Merci Litz. »
A côté de la porte du cryoconservateur s'ouvre dans le mur une petite trappe. A l'intérieur, un plateau présente dans trois petits sachets gris une portion de nourriture réchauffée. Dans le premier sachet, des légumes secs et verts ressemblant à des pois, la dose de fibres. Dans le second, un pavé rectangulaire gélatineux et pourpre, la dose de protéines et de matières grasses. Dans le dernier sachet, des quartiers d'un fruit sec rose et pelucheux, la dose de glucides et de vitamines. Le tout accompagné d'un couteau, d'une fourchette, et d'un petit gobelet. A la vue de ce festin, Matthew sent sa bouche s'inonder.
« Oh, le paradis ! »
Après vingt-six ans de jeûne, son estomac crie famine. Il saisit le plateau, le pose sur la table et commence à attaquer. Cette nourriture n'a quasiment aucun gout, mais la simple sensation d'avaler quelque chose comble son ventre. Il remplit une fois son gobelet à un robinet d'eau avant d'hésiter à boire.
« Litz, le cycle de nettoyage de l'eau fonctionne ?
- Affirmatif. »
L'eau est donc potable. Il n'hésite pas à boire un litre complet. Tandis qu'il se restaure avec entrain, les musiques continuent d'animer le vaisseau. Une demi-heure plus tard, Matthew a terminé. Repus, il part assouvir le dernier besoin que réclame son corps : se reposer. La cryogénisation épuise énormément l'organisme en le poussant dans ses retranchements extrêmes. Quatre jours ne seront pas de trop pour retrouver toutes ses capacités. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'ordinateur l'a réveillé quatre-vingt-seize heures avant la prochaine étape de la mission. L'explorateur devra être opérationnel.
D'une marche tranquille, Matthew rejoint sa chambre. Une pièce simple dans laquelle toutes ses affaires ont été stockées dans des conteneurs cubiques. Il trouve un matelas, fait son lit, puis se glisse dans les draps.
« Tu peux éteindre la musique Litz. »
La musique s'arrête.
« Repose toi Matthew. Je te réveille dans huit heures.
- On a réussi Litz... On a ... »
A peine a-t-il répété le début de la phrase que l'homme s'endort. Le vaisseau plonge à nouveau dans le silence.
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