Chapitre 5 : Incident
Tandis que le Darwin file à toute allure, Litz met à jour la carte du système. Depuis qu'ils sont en mouvement, les découvertes s'enchaînent. Ses télescopes prennent en photo une dizaine de nouveaux corps, jusque-là invisibles aux détecteurs.
En premier, un planétoïde de roche et de glace, accompagné de quatre satellites d'une dizaine de kilomètres chacun. D’innombrables cratères criblent sa surface presque sphérique. En voyant les images de ce rocher, Matthew l'a baptisé Shakespeare, en hommage à cet artiste des temps oubliés. Ses satellites ont simplement reçu un numéro. Ensuite, une géante gazeuse aux dimensions impressionnantes. En vérité, celle-ci ne s'est pas trouvée sur la route du vaisseau. Elle orbite très loin, aux frontières du système Meg. Litz l'a aperçue par hasard alors que ses instruments se calibraient. Etant donné la distance qui les sépare, les photos prises ne montrent de l'astre qu'un simple point lumineux, brillant d'une teinte bleutée. Sa couleur peut s’explique par un mélange majoritaire d'ammoniac et de méthane. Matthew l'a nommée Fleish, se référant à Andrew Fleish, brillant astrophysicien des années 430 ap E.
Et puis, pour finir, le vaisseau a croisé le chemin de quatre astéroïdes. Meg 16, Meg 17, Meg 18 et Meg 19. Proches les uns des autres, leurs forces gravitationnelles ont entraîné quelques perturbations dans les systèmes de navigation. Des poussières fines se sont introduites dans les réacteurs avant. Matthew a dû s'arrêter vingt-quatre heures pour la maintenance des circuits internes, et a finalement décidé de changer de route pour effectuer un léger détour. Il fallait s'éloigner de ses rochers et de leur nuage de particules, avant que plus de dégâts ne se déclarent.
A présent, le vaisseau arrive bientôt aux frontières de la zone habitable, à trois-cents millions de kilomètres de Meg Alpha. Celle-ci a doublé en taille et sa position s'est centrée dans le champ de vision. Après dix heures de pilotage, Matthew s'arrête, épuisé.
« Litz, nous devrions pouvoir détecter la présence de Meg 15 maintenant. Continue de chercher. De mon côté, je vais manger et me reposer un peu.
-Bien reçu Matthew. »
Devant son plateau de rations en sachets, l'homme commence à étudier toutes les trouvailles de ces derniers jours. Tous ces éléments qui orbitent autours d'une même étoile, aucun scientifique ne les avait vus en observant le ciel à l'époque. Les informations sur le système Meg étaient loin de la vérité. On voyait Meg 15 comme la seule planète des environs. Apparemment, les télescopes spatiaux manquaient de précision. Peut-être pouvait-on rater les astéroïdes, mais pas une géante gazeuse comme Fleish. Cela relève de la négligence.
Quoi qu'il en soit, elle existe. Meg est loin d'être vide. La Fédération classe les systèmes solaires en plusieurs catégories. On pensait celui-ci de catégorie une, c’est-à-dire un système habitable de très petite taille. Ses dernières découvertes le reclassent dans la catégorie supérieure. Matthew n’a pas encore trouvé son monde, mais cette petite collection d'astres le réconforte. En général, un taux élevé de matières solides augmente la probabilité de présence d'une planète tellurique. Cela constitue peut-être un bon indice quant à Meg 15. Cette théorie réconforte aux mieux l’explorateur.
Alors que Matthew déguste son dîner, un bruit sourd retentit, suivit d'une sirène d'alarme.
« -Litz, au rapport. Que se passe-t-il ? »
Soudain, un tremblement secoue violemment toute la pièce. Sa chaise bascule sur le côté, l'homme s'écroule au sol. Une alerte se déclenche.
« Litz !
-Alerte. Impact avec un corps spatial. Propulseur endommagé. Incendie déclaré dans l'artère ouest !
-Quoi ? Un corps spatial ? Comment a-t-il pu toucher le Darwin ? Oh par tous les astres…
-Protocole incendie amorcé. »
Pas de temps à perdre. Matthew se relève et se précipite dans l'artère ouest. Heureusement, les cloisons de sécurité se sont déployées à temps. Elles ont isolé le feu dans un compartiment du couloir. Une mousse anti-incendie jaillit du plafond pour l'éteindre. A travers le métal se dégage une chaleur intense. Il doit arrêter cet incendie, et vite. L'habitacle n'est pas aussi résistant que la coque, il pourrait faire exploser le carburant ou la pile nucléaire s'il se propageait. Le vaisseau se transformerait alors en un magnifique feu d'artifice. Il s'approche du hublot et cherche l'origine des flammes. Il semble qu'un tuyau fissuré crache une déflagration continue sur le mur ouest. Le conduit de dioxygène du purificateur d'air !
« -Litz ! Coupe l'alimentation du purificateur d'air de l'aile ouest ! »
La machine s'exécute. Les flammes disparaissent progressivement, ne laissant qu'un épais nuage de fumée.
« Enclenche la ventilation de l'artère ouest. »
En une vingtaine de minutes, la fumée se disperse à son tour, happée par une bouche sur le plafond. Avant de demander l'ouverture des cloisons de sécurité, l'homme enfile un masque respiratoire et une combinaison calorifugée, prévue pour les sorties en milieux extrêmes.
« Tu peux ouvrir Litz. »
Lorsque les portes se soulèvent, Matthew constate l'étendue des dégâts. Le mur ouest est carbonisé, tout comme un morceau du plafond. Les parois sont certainement fragilisées. La mousse anti-incendie a pénétré le tuyau du purificateur d'air par la fissure. Sans attendre, il obstrue le conduit avec de la résine haute densité.
« Le purificateur d'air ouest est hors service. »
Bien sûr, cela entraînera des répercutions sur les autres appareils qui devront travailler plus pour maintenir un air de bonne qualité. Désormais, le Darwin ne fonctionnera qu'avec deux purificateurs d'air. Bien que cela n’entraîne aucune perte vitale, il ne peut plus se permettre qu’un autre cesse de fonctionner.
Une fois la zone sécurisée, Matthew se rend à la salle des commandes pour diagnostiquer l'incident. Les propulseurs avant ne répondent que partiellement. L’un deux est hors service. Pour éviter d’autres réactions, Matthew décide d'enclencher la sécurité incendie. Ses circuits sont alors noyés dans une mousse isolante. Il ne servira plus jamais. Devant ce constat amer, l'homme jure et frappe du point le tableau de commandes.
« C'est pas vrai !
-Je ne détecte aucune fuite dans la coque du vaisseau.
-Litz, qu'est-ce qui a pu provoquer ça ? Comment est-ce arrivé ?
-Un débris spatial a heurté un propulseur avant et s’est enfoncé dans la coque.
-C’est impossible ! Comment est-ce qu’il a pu t’échapper ? Tu as les meilleurs systèmes de détection de l’univers !
- Sa dimension était trop faible et sa vitesse trop rapide pour que mes capteurs le détectent à temps.
-J'avais coupé l’alimentation des propulseurs avant. Comment le purificateur d’air a-t-il pu être touché ?
-Possible qu’un fragment de l’objet ait pénétré dans le réseau d'alimentation en traversant les couches du blindage externe. Il aurait déclenché une perturbation électrique et par effet de conséquences l’inflammation dans la conduite du purificateur d’air.
-Quoi ? Mais dans ce cas d’autres systèmes pourraient être touchés !
-La probabilité est très faible. Le Darwin est conçu pour éviter une réaction en chaîne de ce genre. Je conseille un diagnostic dans les prochains jours.
- Cela n’aurait même pas dû se produire ! Notre technologie est parfaite ! »
Prudent, Matthew décide d'éteindre tous les appareils liés aux propulseurs avant. Il ne les réactivera qu'en cas d'extrême nécessité.
« Pourquoi fallait-il que cela arrive Litz... Pourquoi ?... Meg 15 qui ne se montre pas... Et maintenant le vaisseau qui déraille ! »
Ses émotions s'emballent. Il applique les exercices de respiration de son entraînement. On lui a toujours enseigné de garder l’esprit distant et calculateur en toute circonstances. Matthew a surestimé les capacités de Litz. En théorie, ses systèmes repèrent tout ce qui passe à moins de cinquante kilomètres du vaisseau. L’appareil manœuvre automatiquement en conséquence pour éviter les obstacles. Aussi faible que représente la probabilité, un astéroïde est passé entre les mailles de son filet. Mais le Darwin n’en demeure pas moins la plus imprenable des forteresses. Le corps n’a pas ouvert de brèche dans la coque interne, plus de peur que de mal. Il a juste vécu un coup de pression, rien de plus. La situation l’a pris au dépourvu. Ne jamais se reposer sur ses certitudes, il retient la leçon et se jure qu’il ne s’y reprendra plus Le calme revient peu à peu. A travers la vitre, Meg Alpha caresse son visage de ses rayons. Vue d'ici, l'étoile est encore plus belle. La sphère ardente resplendit majestueusement, tel un colosse éternel. L'explorateur soupire.
« Meg Alpha est magnifique... N'est-ce pas Litz ? »
Une minute s'écoule. Litz demeure tout à coup silencieuse.
« Litz, appelle Matthew ? »
Pas de réponses. Etrange. Une troisième fois.
« Litz ?! »
Son interface ne montre plus de signe de vie. L'homme se relève, intrigué.
« Litz ! Etat de la situation ! »
Y aurait-il un autre problème ? Cette fois-ci, il prie que non. Litz est son seul partenaire de mission. La perdre signifierait la fin de tout.
« Litz ? Je t'en supplie répond ! Tu me fais peur là ! »
Le silence.
« Litz !
-Je suis là Matthew.
-Oh ... Merci... »
Soulagé, l'homme essuie les sueurs froides sur son front.
« -Ne me refais jamais ça Litz ! Ce que tu viens de faire est tout sauf drôle !
-J'ai une nouvelle, Matthew.
-Qu'est-ce qu'il y a, tu veux m'annoncer qu'on est sur le point de voler en éclats ? Au point où nous en sommes tu peux y aller.
-Négatif.
- Je t'écoute.
-Je l'ai trouvée Matthew.... J'ai trouvé Meg 15. »
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