Chapitre 12 : Opération atmosphérique
DAP3 est la première à démarrer. Bien à l'abri dans sa capsule de lancement, son cerveau de métal s'inonde brusquement d'influx électriques. Ses systèmes se mettent à jour, un bref diagnostic des instruments lui permet d'évaluer son état. Rien à signaler, tout fonctionne. Autour d'elle, ses sœurs émergent de leur sommeil. Leur réseau devient vite bruyant. Aucune n'a subi de dommages depuis l'embarquement. Leurs modules isolants les ont préservées du froid et de l'usure. A l'appel de l'ordinateur central du vaisseau, chaque unité répond par un signal positif. La connexion s'établit.
« -Capsules de lancement et sondes atmosphériques prêtes, informe Litz. En attente. »
Matthew transmet ensuite les paramètres de missions respectifs. Recevant ses ordres, DAP3 fixe dans sa mémoire les objectifs. En premier lieu, descendre dans l'atmosphère de Meg 15 et l'étudier par paliers d'altitudes décroissantes. Puis, parcourir un itinéraire définit tout autour du globe et cartographier la surface. Priorité numéro une : trouver une terre émergée et contacter le vaisseau. Une fois les consignes enregistrées, la sonde confirme qu'elle est prête à l'exécution. Avant le lancement, Matthew fait remplir les réservoirs des propulseurs des capsules de carburant.
« Sondes mises à jour et capsules prêtes au lancement. Demande confirmation pour la mise à feu. »
Sur le tableau de bord, un bouton rouge se met à clignoter. Matthew appuie dessus en chantant.
« -Je confirme, allez mes petites ! A vous de jouer. »
Un compte à rebours de trente seconde s'enclenche. Pendant ce temps, la soute qui abrite DAP3 tremble de tous les côtés. Le ventre de la coque du Darwin s'ouvre lentement pour découvrir une rangé de dix-huit œufs métalliques de quatre mètres de diamètre. Dans chacun, une sonde se prépare à l'action.
Une dernière vérification des systèmes, puis le décompte tombe à zéro.
« -Largage et mise à feux. »
Chaque capsule se sépare alors de son socle et s'envole dans une gerbe de lumière. Les voilà parties à la conquête de Meg 15. D'abord groupés, les robots se dispersent en quelques secondes pour suivre des trajets précis. Litz a découpé la planète en deux hémisphères théoriques sur un axe vertical. Afin de mieux l'explorer, les sondes vont étendre leurs routes sur un méridien complet. Tandis que les plus lointaines partent vers les pôles, DAP3 descend en piqué depuis le vaisseau. Elle sera la première à pénétrer dans l'atmosphère d'ici une vingtaine de minutes.
Pour le moment, la capsule garantit sa propulsion. Elle file droit, à une dizaine de fois la vitesse du son. Avant son arrivée, Matthew effectue à distance ses derniers réglages. DAP3 - Darwin Atmospheric Probe- est un modèle de sonde dernier cri, un outil incontournable des missions d'exploration. Véritable laboratoire miniature, sa précision n'a d'égale que sa robustesse. Son équipement rassemble une quarantaine d'instruments prévus pour étudier l'atmosphère d'une planète dans les moindres détails : composition de l'air, températures, pressions, vitesse des vents, et surtout, suivi du climat. Son ordinateur communique en permanence avec le vaisseau et ses sœurs grâce à un puissant émetteur radio. Son alimentation en énergie est assurée par une coque externe photovoltaïque. Dans les meilleures situations, ce robot peut survire trois années standards en l'air sans maintenance à l'aide d'un ballon rempli de gaz légers. Ici, le voyage programmé durera environ huit mois, le temps de faire le tour de Meg 15 et de rapporter des analyses complètes. Matthew ignore encore comment il parviendra à la récupérer, mais réfléchit à des plans farfelus.
Malgré la paroi isolante de la capsule, la boussole interne du robot s'oriente peu à peu vers le Nord de la planète. Litz a déjà détecté la présence d'un champ magnétique depuis l'espace. Mais maintenant, l'ordinateur peut localiser précisément les pôles sur la carte. D'après l'indication de DAP3, ceux-ci se situent sur un axe incliné d'une quinzaine de degrés par rapport à la verticale précédemment fixée. Litz modélise un schéma de la magnétosphère.
Le Darwin orbite ainsi au-dessus de l'hémisphère sud. Les autres sondes confirment l'information grâce à leurs mesures. La base de données se met à jour sous l'oeil attentif de Matthew.
A huit-cent kilomètres d'altitude, DAP3 atteint la limite de la thermosphère, la plus haute couche de l'atmosphère de Meg 15. L'océan bleu en bas se rapproche à pas de géants. Derrière elle, le Darwin a complètement disparu dans la voute céleste. L'œuf de métal traverse un no man's land, à la frontière de deux mondes. Le jour de Meg Alpha resplendit au loin, seul maître de ce domaine.
DAP3 continue de s'enfoncer. Les chiffres de son altimètre descendent en chute libre. Quatre-vingt dix kilomètres, elle entre dans la mésosphère. Le vide laisse place à une enveloppe gazeuse. L'air de Meg 15 se densifie rapidement. Les frottements viennent perturber sa trajectoire et la faire tournoyer sur elle-même. Le métal de la coque chauffe, si bien qu'une aura enflammée entoure l'engin. Bien sûr, la capsule résiste au choc. DAP3 est protégée.
Vite, il lui faut se stabiliser. A l'aide des dernières réserves de carburant, l'œuf ajuste sa poussée pour cesser les vrilles. Après plusieurs longues minutes de manœuvre, il parvient à retrouver l'équilibre, les réacteurs vers l'avant. Il ne lui reste plus qu'à ralentir. Les propulseurs crachent une ultime flamme à pleine puissance. Lorsqu'ils s'éteignent, DAP3 déploie un parachute. Le sac immense se gonfle d'air, provoquant l'arrêt quasi-net de la sonde. La capsule cesse de brûler et descend jusqu'à la stratosphère, à cinquante kilomètres d'altitude.
A partir de ce point, DAP3 entre en activité. Sa mission commence. L'œuf de métal s'ouvre par le dessus et libère son contenu à l'air libre. La sonde est un cylindre muni d'une tête ronde, d'une antenne parabolique et de plusieurs excroissances sur lesquelles sont fixés ses outils. La capsule ne se désolidarise pas du reste. En effet, DAP3 peut se rétracter à l'intérieur en cas de problème.
Depuis le vaisseau, Matthew active les caméras. Les premières images présentent un paysage flou, des nuances de bleu dans toutes les directions. Meg Alpha se distingue à merveille, brillante à l'Est. Aucun nuage nulle part, seulement des ombres noyées dans l'horizon. Les capteurs relèvent les premières mesures.
Planète : Meg 15
Altitude estimée : 40980 m .... 40975m....
Température : -15°C
Pression de l'air : 1,5 hPa (hPa = hectopascal)
Vents : Aucun
Le rapport de DAP3 évolue en temps réel. De son côté, Litz archive les valeurs et trace des profils de température et de pression en fonction de l'altitude. Matthew, quant à lui, n'en perds pas une miette assis au poste de commande. Les exploits de la technologie le fascinent.
Quelques mètres plus bas, un milieu gazeux plus dense se profile. La sonde sombre dans une sorte de brume diffuse. La visibilité diminue légèrement, le lointain se brouille.
Les paramètres atmosphériques s'affolent. Ce phénomène s'étend au moins sur trente kilomètres de profondeur. Durant ce laps de temps, DAP3 analyse la composition de l'air. Le premier gaz identifié est le diazote. Il représente environ soixante pour cent de l'air ambiant. S'ajoutent ensuite de l'ozone à vingt pour cent, du dioxygène à dix pour cent, des traces d'hélium, et une dizaine de molécules organiques. Parmi celles-ci du méthane, du dioxyde de carbone, et des hydrocarbures. A l'examen de la liste, Matthew conclut que la sonde traverse la fameuse couche qui rend Meg 15 si opaque depuis l'espace. Celle-là même qui lui donne un aspect crémeux. Sa couleur bleue-verte s'explique par sa composition, un mélange formé par l'accumulation de matières au fil de millions d'années. Toute l'histoire de la planète se lit ici. Un récit que l'explorateur s'émerveillerait d'apprendre. Litz a dit vrai, le potentiel habitable bat des records. Cette barrière fait office de couche d'ozone et maintient le climat chaud en surface. Des molécules organiques dans l'atmosphère sont un bon présage. En général, elles indiquent des ressources exploitables. Enfin, avec un sol solide en dessous....
Continuant sa descente, DPA3 approche des frontières de la troposphère, à dix-mille mètres d'altitude. La brume s'estompe, le robot progresse maintenant dans l'inconnu. Le bouclier atmosphérique a empêché jusque-là toute observation de ce monde plus bas. L'étage le plus profond de l'atmosphère de Meg 15 se dévoile en direct aux yeux de Matthew.
Une mer de nuage s'étend à perte de vue. Son éclat blanc comme la neige aveugle les caméras. Pas besoin d'études pour deviner qu'il s'agit de nuages d'eau. Evaporés des océans, ils suivent un cycle naturel et retombent en pluies au gré des vents. Ce continent de coton dresse des reliefs titanesques. Des cumulonimbus montent sur des kilomètres. De leurs cœurs noirs s'échappent des flashs lumineux. La foudre s'y déchaîne. DAP3 survole une violente tempête. Sans terre pour la stopper, elle gronde depuis certainement des dizaines d'années.
« Ouaouh ! s'exclame Matthew. Regarde-moi ça Litz ! Tu as vu ces nuages ? Ils ne sont mêmes pas synthétiques ! Il y a de l'eau sur cette planète. De la vraie eau liquide ! Ses océans sont faits d'eau ! C'est... C'est formidable ! »
L'explorateur sautille dans tous les sens. En ces temps de disette, de l'eau sous cet état est un trésor inespéré. La Fédération se jetterait dessus sans hésiter. A l'aide de stations d'assainissement, Meg 15 alimenterait l'humanité et ses cultures pendant des générations. Une planète océan de ce genre n'existe nulle part ailleurs.
Une force invisible vient secouer DAP3 dans tous les sens. Un vent fort l'entraîne vers le Sud-Ouest. L'anémomètre estime des rafales à deux-cent kilomètres heure, et cela ne fait qu'empirer avec la descente. La sonde risque des dommages si elle s'aventure plus bas. Il est temps de passer en mode stationnaire.
Son cerveau initie la procédure. De sa tête sphérique s'échappe un ballon blanc qu'une pompe remplit d'air. Pendant que celui-ci décuple son volume, son enveloppe aluminée capte les infrarouges pour réchauffer les gaz à l'intérieur. Devenant moins dense, il s'élève en emportant avec lui le robot. DAP3 replie son parachute et poursuis son odyssée à six kilomètres d'altitude.
Des heures monotones s'écoulent. En rythme de croisière, DAP3 mesure une nouvelle fois la composition de l'air. Diazote à quatre-vingt-dix pour cent, dioxygène à huit pour cent, et deux pour cent de gaz à effet de serre. Jamais atmosphère si idéale n'a été rencontrée sur d'autres mondes. Si elle n'était pas recouverte d'eau, Meg 15 serait parfaite. Cette idée persiste à l'esprit de Matthew.
Si seulement Eva la voyait, si seulement elle le voyait.
La femme lui manque, son cœur se déchire. Des larmes coulent sur ses joues.
Il en a assez vu pour aujourd'hui. La fatigue le gagne, il se retire.
DAP3 continue seule. Les orages ne cessent de défiler, interminables. Puis, finalement, des éclaircis. La mer de nuage se dissipe. Le visage de Meg 15 se présente aux caméras. Un océan de bleu profond se meut au rythme de vagues géantes. Des masses d'eau se soulèvent en rang. Elles traversent le globe, paisibles. La lumière court sur ce paysage jusqu'à la tombée de la nuit.
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