Chapitre 14 : L'île
Litz repère la terre en question sur la carte de la planète.
« As-tu des images ?
-Affirmatif. DAP3 a filmé son survol. »
Vue du ciel, il s'agit bien d'une petite île, perdue quelque part près de l'équateur. Impossible de la confondre, elle s'élève des flots comme une tâche noire sur une toile bleue. La nouvelle libère Matthew d'un poids énorme. Lui qui se voyait dépérir en orbite, toutes ses peurs s'envolent d'un seul coup. Finis le plan de secours, plus de station spatiale. SysMeg va suivre son plan initial. Prochaine étape : atterrir sur Meg 15 une bonne fois pour toute. Enthousiaste, l'homme se focalise sur la suite des opérations.
« -C'est parti Litz, on a du travail. Tout d'abord, faisons un peu de repérage. »
Sans perdre de temps, Matthew reprend les commandes du Darwin et positionne le vaisseau au-dessus du site. Avant de se poser, il lui faut un endroit sûr où installer sa future base. Les données de DAP3 ont rapporté une géographie grossière de l'île. Heureusement, la météo était dégagée lorsque le robot l'a croisée. Sa forme générale ressemble à celle d'un hameçon, un bras allongé dont une extrémité remonte comme un crochet. Sa surface avoisine les cent kilomètres carrés, suffisante pour cultiver des champs. La « tête de l'hameçon », à l'extrémité Sud est un large dôme culminant à plus de deux mille mètres. Un léger filet de fumée se dégage en continu de son sommet. Cette montagne ressemble plutôt à un volcan.
Pour en avoir le cœur net, Matthew effectue un balayage infrarouge des lieux. En effet, les lignes de chaleur intense coïncident. L'une d'entre elle traverse l'île et se poursuit encore sur des milliers de kilomètres. Ce profil s'apparente à une chaîne de volcans sous-marins, une dorsale océanique ou un bord de plaque tectonique. Ce volcan a été plus actif que les autres et a expulsé de la matière jusqu'à émerger de la mer, ce qui a fait naître l'île.
Malgré le danger qu'il puisse représenter, Matthew n'est en réalité pas surpris. Un volcan est le seul moyen d'obtenir une terre solide sur une planète recouverte d'eau. Au contraire, sa présence pourrait même s'avérer bénéfique. Les sols doivent être riches en minéraux, excellents pour faire pousser des végétaux en abondance. Il devra néanmoins respecter une distance de sécurité avec ce dernier. Les images de DAP3 manquant de précision, l'explorateur met les instruments satellites du vaisseau à contribution.
« Est-ce que tu la vois Litz ?
-Un instant, j'oriente mes télescopes sur ses coordonnées.... Affirmatif, l'île est localisée.
-Montres-moi ce que tu as. »
Sur les photographies, la terre se limite à un minuscule petit point. Matthew augmente le zoom jusqu'à obtenir une topographie nette.
« Te voilà… »
Hormis le volcan, une chaîne montagneuse coupe l'île en son centre. Elle forme une crête escarpée qui s'amenuise en montant vers le Nord. Au « crochet de l'hameçon », la formation rocheuse n'est plus qu'un ensemble de vallées et de collines. Cette disposition montre les vestiges d'anciens territoires volcaniques. Possible que le volcan se soit déplacé avec les mouvements géologiques vers le Sud.
« Regarde l'extrémité Nord de l'île. Il y a beaucoup moins de reliefs. En plus, nous sommes à environ dix-huit kilomètres du volcan, une distance de sécurité plutôt acceptable. En tout cas, si on doit installer notre base ici, mieux vaut le faire à cet endroit.
-Affirmatif. Etant donné les conditions météorologiques de la planète, on doit se préparer à des scénarios de tempêtes fréquentes. On doit impérativement trouver un emplacement calme et protégé, le plus loin des rivages que possible.
-Tu as raison. Voyons ce qu'on a. »
Matthew examine de plus près la partie Nord. Le point le plus éloigné du volcan se situe dans la courbure de l'hameçon. Par-là, le terrain semble assez plat. Des bosses d'une trentaine de mètres de haut se succèdent, avec entre elles des creux de tailles variées. Matthew énumère des emplacements et les classe en fonction de leur potentiel. Il prend en compte la position, mais aussi la difficulté de l'atterrissage. Après trois heures de débat, trois candidats sortent du lot. Des espaces suffisamment larges pour y poser le module-maison et entourés de boucliers naturels. Il les nomme sites 1, 2 et 3.
« Ces trois sites sont très similaires, ils ne sont d'ailleurs espacés que de trois kilomètres chacun. Lequel choisit-t-on ?
-Il nous faut une évaluation sur place. Inutile de prendre des risques.
- Utilisons trois sondes terrestres. Prépare les modèles les plus rapides et envoies-en un sur chaque site pour les départager.
-Bonne idée. Je m'en occupe tout de suite.
-Et dire que j'ai cru qu'ils ne serviraient pas. Je suis content de m'être trompé. »
Le Darwin canonne trois nouvelles capsules. Comme des balles, elles traversent l'atmosphère et atteignent l'île en quarante minutes. Au-dessus de leurs sites, elles déploient leur parachute et touchent le sol en douceur. Les premières traces de l'humanité à fouler Meg 15 sont des robots cubiques, ornés d'une caméra de grand angle et de grosses chenilles sur les flancs. Les trois rover s'attèlent à leur mission sans trainer. Ils étudient la disposition de chaque site : photos, exposition aux vents, en passant par la nature du sol. Le paysage est le même partout. Des terres stériles et grises sous un ciel bleu-vert, fouettées par des bourrasques poussiéreuses. Seule la hauteur des collines change, ce qui facilite la comparaison. Leur promenade terminée, les sondes se rejoignent à un point de ralliement près d'un rocher.
« - A en juger les rapports des unités, le site 2 est le plus éloigné du rivage et les reliefs aux alentours sont les plus élevés, remarque Litz. Ils nous assureront une meilleure protection. Cependant, cet avantage rend aussi la manœuvre d'atterrissage plus délicate.
-C'est vrai. »
Depuis la mise en orbite, il y a presque un mois, Matthew a révisé assidument tous les scénarios possibles en simulation. Atterrir sur une planète est l'action de base à laquelle tout explorateur est initié dès l'enfance. Il ne doute pas de s'en sortir avec beaucoup de sang-froid. L'homme ne veut pas s'éterniser plus longtemps à choisir.
« Je relève le défi pour le site 2, si tu es d'accord.
-Je le suis si tu l'es Matthew.
-Alors c'est validé. Nous nous poserons sur le site 2. Est-ce que les sondes ont repéré une autre terre émergée ailleurs sur Meg 15 ?
-Négatif. Les recherches se poursuivent. Je te conseille d'attendre qu'elles aient terminé avant de prendre ta décision finale. Il y a peut-être une île plus propice quelque part. »
L'explorateur soupire.
« -Ecoutes Litz, j'en ai assez de vivre enfermé dans ce vaisseau. On a beaucoup à faire là en bas et je ne tiendrai pas plus longtemps dans l'espace. J'ai besoin de la terre et c'est peut-être la seule qu'on trouvera sur cette planète. On a un endroit où se poser, je prends la décision.
-Bien reçu. Mais permets-moi de souligner ta précipitation.
-Tout se passera bien, on y veillera. J'y pense, nous n'avons pas donné de nom à cette île. C'est une découverte à part entière !
-Tu es son colon, l'honneur te revient. »
Matthew cogite à voix haute.
« -Hum... Sa forme me fait penser à un crochet. Je me rappelle une vieille histoire que me racontait Eva enfant. Je l'adorais. Elle m'a dit qu'elle l'avait apprise lorsqu'elle était petite fille au musée des arts de la PréExpansion, avant qu'il ne disparaisse. Il y avait un personnage avec un crochet à la place de la main. Une histoire d'enfants qui volaient vers une île merveilleuse. Quel était le nom de l'œuvre déjà... Pan ! Je crois que c'était Pan.
-Pan ? Je n'ai pas ce titre dans mes archives.
-C'est normal, tu es trop récente. Je dois être la dernière personne à m'en souvenir... En hommage à notre culture passée, j'aimerais appeler cette île Pan.
-Très bien, je nomme donc cette terre : île Pan.
-Parfait ! Maintenant qu'elle est baptisée, on va pouvoir s'y installer. Litz, initie la manœuvre d'atterrissage.
-Affirmatif.»
Sur ordre de Matthew, l'ordinateur calcule une trajectoire de descente.
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