Aujourd'hui, un nouveau jour se lève. Ce jour, Matthew l'a attendu avec impatience toute sa vie. Aujourd'hui, son vœu le plus cher se réalise. Il entre dans le panthéon des explorateurs, ceux dont on parle dans les récits qui l’ont bercé. Il se range aux côtés des plus grands, a enfin droit à sa délivrance. Toutes les épreuves ont été surmontées, le grand vide de l'espace a été vaincu. Après ses années de conditionnement, les torpeurs, les doutes, la Fédération, son périple dans l'infini, le Darwin a enfin atteint sa destination : Meg 15.

Matthew bondit de son lit, le sourire aux lèvres. Une énergie nouvelle le possède. Litz l'accueille en musique.

« Bonjour Litz !

-Bonjour Matthew, bien dormi ?

- La meilleure nuit de ma vie !

-Aujourd'hui est un jour spécial.

- Ce n’était pas un rêve, on a bien atterri ! J’ai encore du mal à le croire. On a réussi ! Notre premier jour sur Meg 15 ! Ha ha, s’exclame l’explorateur en sautillant dans tous les sens !

-Alors ? Qu'est-ce que cela te fait ? Une première réaction ?

-En pleine forme, quelle question ! J’ai jamais été aussi bien de toute ma vie !

-Je suis ravie de l'apprendre.

- Nous sommes les meilleurs ! On a réussi ! Ha ha ! Ouais ! Eva serait si fière !

-Affirmatif, elle serait très fière. La Fédération tout entière est très fière de toi. Tu fais la grandeur de l’humanité Matthew !

- Vite ! Savourons cet évènement comme il se doit ! Prépare le petit déjeuner s'il te plaît.

-Tout de suite ! »

S'habillant d'une tenue confortable, il trottine dans les couloirs en chantant et rejoint la salle à manger. Agité par l’euphorie, il peine à tenir en place. Le cryoconservateur lui tend son plateau de portions. Au menu, des fruits déshydratés, une gelée, mais surtout une grosse pâtisserie sucrée préparée spécialement pour l'occasion, un pain garni d'une substance divine baptisée chocolat. Les fèves de cacao ont quasiment disparu depuis l'Expansion, une confiserie rarissime qu'il n'a jamais goutée auparavant.

« Délicieux !! On m'a dit que c'était un met exquis, mais il faut l'avoir en bouche pour y croire. Ça méritait bien de l’attendre !

-Tu l'as bien mérité.

- On est sur Meg 15 ! On est sur Meg 15 ! On y est, répète-t-il. Il y a trop à faire ! Commençons tout de suite ! Etat de la situation.

-Les amortisseurs d’urgence se sont dégonflés. Le Darwin n’a pas bougé de sa position depuis l’atterrissage. Aucune brèche détectée dans le blindage, mais je suggère une vérification rapidement. Les réserves de carburant sont épuisées. L’alimentation a été redirigée sur la pile nucléaire. La navigation est inopérante, je crains bien que sa réparation soit impossible.

-Tant mieux, je ne comptais plus repartir dans l’espace ! Y-a-t-il eu de nouveaux dégâts à signaler cette nuit ?

-De nombreux systèmes ont été endommagés, je liste déjà les éléments réparables. Mais rien de vital.

- Bon, ce n’est pas mal alors. Aucun problème d’énergie, ni de nourriture. On peut appeler ça un franc succès ! Nous allons pouvoir nous occuper de nos projets.

- Doucement Matthew. Au programme d’aujourd’hui, tu dois passer des examens médicaux, et effectuer une liste de tâches de maintenance et d’état des lieux.

-Oui, bien sûr. Et après, on se lance !

-Et après, je suggère que tu te reposes.

-Quoi ? Me reposer ? Maintenant ? Tu n'y penses pas !

-Tu dois te remettre de l’atterrissage.

- Voyons Litz, un monde rien qu'à nous nous attend dehors ! Pas de temps à perdre ! Allons-y ! En plus, je ne sens presque plus mes bleus. On poursuit les opérations dès que possible.

-Impossible de sortir immédiatement. On doit d'abord réfléchir à notre programme, lister les risques, et définir nos nouveaux objectifs.

-Bien sûr, la procédure avant tout... »

Au fond de lui, Matthew n'a plus qu'une envie : s'échapper de son vaisseau, ce lieu étriqué dont il connaît par cœur les moindres recoins. Il a été sa prison bien trop longtemps. Désormais, la planète entière est à portée de main, il désire plus. Il veut explorer l'île, la toucher, entendre les sons de cette nature inconnue autour de lui. Il veut réapprendre à vivre sur un vrai sol, à ciel ouvert. Son esprit bout d'aventure. Cependant, Litz a raison. Avant de se lancer, un explorateur prévoit tout. Plus rien ne sera comme avant à partir de ce jour, il devra s'adapter aux règles de Meg 15 et à ses dangers. Le plan de la mission est simple : étudier l'environnement, analyser chaque trouvaille, et dès que possible, initier la terraformation. La dernière étape peut s'amorcer très rapidement, avec de l'organisation. Son cerveau impatient s’active déjà sur une stratégie.

« Où sommes-nous là dehors ?

-Nous nous sommes posés à environ deux kilomètres à l'Ouest du site prévu, dans une vallée. Il semblerait que l'avant du vaisseau soit enfoncé sous la terre, et que la coque soit fortement inclinée vers tribord. Le champ de gravité artificielle empêche de percevoir cette inclinaison.

-L'aile tribord est-elle aussi enterrée ?

-Possible. Je ne peux pas l'affirmer. Les caméras de la coque ont été détruites. La surface photovoltaïque aussi est également touchée.

-On ne sait pas du tout à quoi ressemble le Darwin de l'extérieur ?

-Négatif.

-Voilà qui est embêtant. Mais l'habitacle est toujours opérationnel, c'est l'essentiel. Le matériel de terraformation est intact ?

-Affirmatif. Les soutes ont bien été sécurisées avant la descente dans l'atmosphère. Les conteneurs blindés ont protégé les équipements. Rien à signaler de ce côté.

-D'accord, et le hangar des capsules de lancement, comment vont les robots ? Peux-tu les réactiver ?

-J'essaie à distance.... Les unités répondent correctement.

-Super ! Est-ce qu'elles peuvent toujours être déployées ?

-La salle de contrôle a perdu ses fonctions. Leur hangar peut néanmoins être ouvert manuellement via l'ordinateur central. Les capsules s'ouvriront automatiquement si elles n'ont pas de directives.

-C'est une bonne chose. Elles nous serviront. En premier, il faudrait examiner le Darwin de l'extérieur. Mais j'y pense, avant de descendre nous avions envoyé depuis l'orbite trois sondes terrestres sur l'île. Elles ne sont pas loin normalement. Parviens-tu à capter leur signal ?

-Affirmatif, elles sont en veille à leur point de rendez-vous, à environ mille-neuf-cent mètres à l'Est de notre position.

- Ordonne-leur de venir vers nous et d’explorer les environs.

-A tes ordres.

-Qu'elles prennent des images précises. Nous cartographierons et préparerons une première sortie humaine au plus vite. On en profitera pour estimer l'état extérieur du module. Combien de temps penses-tu que cela va prendre ?

-Certainement les douze prochaines heures.

-Fournis-moi un rapport toutes les cinq heures.

-Affirmatif. Et toi, tu as du travail qui t’attends. Ensuite tu te reposeras.

-Tu as gagné, robot ! Je prendrai la journée… »

Alors qu’il finit de savourer sa pâtisserie, l’homme se revoit enfant. Avec Eva, il s’est représenté ces instants tellement de fois. Son petit héros a bien grandi. J’espère que tu me vois. C’est grâce à toi, grâce à vous tous… Nous avons réussi ! Je suis enfin sur Meg 15, la Meg 15 ! Voilà alors ce que ça fait... Une onde de bonheur l’envahit. Si sa vie se résumait en une seule expression, elle serait le sourire sincère et inébranlable qui illumine son visage. Pas celui de l’explorateur qui voit sa quête aboutir, mais celui du bambin qui a touché son étoile.

« Meg 15, jour un. »

Matthew rie à sa dernière phrase.

« -Qu'y a-t-il ?

-Rien. J'ai toujours voulu dire ça. »