Chapitre 22 : La plage verte

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Les pieds au sol, Matthew se détache du harnais.

« Parfait, je suis prêt Litz. Où en sont les robots ?

-Ils ne devraient pas tarder. »

En ce début de matinée, une légère averse arrose le désert. Le bruit des gouttes résonne dans son casque, des ruisseaux s’écoulent sur sa visière. Des vents de l’océan déplacent des filets de sable entre les dunes, ajoutant un léger mouvement aux étendues de roches grises. Pour cette seconde sortie, l’explorateur a choisi une combinaison plus légère. Elle lui confère toujours une protection suffisante, avec moins d’épaisseur de fibres. Il lutte plus facilement contre son poids, et peut avancer plus longtemps sans s’épuiser. Dans son sac : des kits de prélèvement, ainsi qu’un appareil photo. Litz l’a autorisé à s’éloigner de cinq kilomètres et demi, pour une durée de quatre heures au maximum.

Lorsque l’humanité a commencé à coloniser d’autres planètes, elle était certaine qu’une rencontre avec d’autres êtres arriverait tôt ou tard. La Fédération a donc formalisé l’article 90 il y a longtemps, un protocole à suivre en cas de contact extraterrestre. Puis les siècles se sont écoulés, et l’occasion ne s’est jamais présentée. Aucun explorateur n’a eu à s’en servir. Son contenu détaille une suite de scénarios, en fonction de la nature des formes de vie découvertes. En premier temps, la priorité consiste à observer et décrire. Maintenant que la vie sur Meg 15 a été révélée, il faut la considérer sous toute ses formes. Recueillir un maximum d’information aidera à la mise en place de nouvelles mesures de sécurité, et l’adaptation de la mission aux nouvelles contraintes. Aujourd’hui, Matthew compte suivre le littoral et collecter plus d’échantillons. Plus il capturera de spécimens planctoïdes, plus vite il complètera ses études. Comme début de son enquête, il souhaite répondre à la problématique la plus critique : n’est-il pas seul sur cette île ? Des êtres vivants ont-ils élu domicile sur la terre ferme ? Pour effectuer cette tâche, Litz a mobilisé des rovers en renfort. Après leur propulsion initiale depuis leur hangar, leurs capsules de lancement sont retombées une centaine de mètres en amont de la vallée. Les robots supplémentaires ont rejoint leurs semblables déjà sur place, et formé un peloton de douze unités. Avec eux ont été déployé les sondes aquatiques. Un de leurs homologues terrestres les transporte grâce à une remorque. Matthew les lancera à la découverte du récif, convaincu que de plus grosses créatures y résident.

Le groupe arrive devant lui, rangé par modèle.

« - Bien. Veuillez tous me confirmer votre état. »

Dans son oreillette, une voix préenregistrée liste les unités en détaillant leurs paramètres. Tous sont opérationnels et parés. L’homme vérifie leurs ordres de mission. Tandis qu’il partira avec un robot et les sondes aquatiques, les autres se diviseront en trois groupes et quadrilleront toute la surface de l’île Pan. En chemin, ils prélèveront régulièrement des fragments de roche à la recherche de traces, de fossiles, ou d’organismes étrangers. Matthew ne dissimule pas sa satisfaction. Depuis petit, il apprécie voir ces engins en action. Il se sent tel un général, aux commandes de sa petite armée.

« Tout est prêt à ce qu’il me semble. Je veux un rapport détaillé toutes les heures. »

D’un salut militaire, il ordonne à ses troupes de se mettre en mouvement. Accompagné de son escorte, l’explorateur escalade la colline et rejoint le lit de rivière asséché qu’il a emprunté la première fois. Alors qu’il marche, ses yeux arpentent les courbures des reliefs, les sinuosités du désert, à la recherche d’un quelconque signe, d’une vie. Les lieux affichent une tranquillité déconcertante. Hier à peine, Meg 15 était un monde vide. Il prend à présent conscience de l’imprudence de son excursion précédente. Toute la nuit, Matthew a rêvé de bêtes fantasmagoriques. Des êtres évoluant ici, dans ces plaines, sous les pierres, dans la terre. Une chaîne alimentaire existe. Certains planctoïdes qu’il a remarqué sont carnivores. Que fera-t-il s’il vient à tomber sur un prédateur de sa taille ? Quelle serait la réaction de ce dernier ? S’enfuir ou l’attaquer ?

Matthew ne s’interroge pas très longtemps. Sur le chemin, pas la moindre trace d’une plante ou d’un animal.

A l’approche du promontoire, les sonorités d’une mer agitée caressent ses oreilles. Elle l’attend, juste derrière. L’homme prend un temps pour apprécier les fracas de l’eau, le sifflement du vent, avant de pénétrer sur la plage de sable noire. Sa splendeur le saisit immédiatement.

« Toujours aussi belle… »

Il inspire, s’abandonne au spectacle des éléments qui s’affrontent. Les empreintes de pas de sa précédente visite s’effacent au fur et à mesure que le sol s’éloigne. Elles disparaissent complètement aux marques humides laissées par les vagues. La météo a doublé la hauteur des murs d’eau, s’y aventurer signifie mourir à tous les coups. Le rover s’arrête près de Matthew.

« La mise à l’eau des sondes aquatiques est impossible sur cette plage, constate Litz.

-Oui, si nous nous approchons, nous serons pulvérisés par les vagues. On ne peut pas faire ça ici, il nous faut un endroit plus calme. Il y en a peut-être un plus loin sur la côte, un coin mieux protégé. »

Matthew s’assoit et examine les extrémités de la baie. Des deux côtés s’élèvent des parois rocheuses bien trop abruptes pour grimper. Il doit retourner dans les terres, et trouver un passage sûr vers les plages plus au Nord. Mais avant d’opérer un demi-tour, il s’accorde quinze minutes pour admirer la vue et prendre des photos.

« Ce lieu a vraiment quelque chose de spécial.

-Il est tel que tu me l’as décrit Matthew. »

Pendant trois longs quarts d’heure, le duo traverse les collines, en veillant à conserver sa proximité de l’océan. Sur deux kilomètres, la côte devient une suite de hautes falaises. Une mer déchaînée s’abat à leurs pieds. Un ressac puissant transforme le bleu liquide en un chaos mousseux. Là, tourbillons et courants dévorent à petit feu les frontières de la terre. Les échos de ce combat perpétuel résonnent jusque dans son casque. L’homme en frémit. Matthew aimerait se rapprocher. Mais plus il se penche près du gouffre, plus le sable laisse place à des roches tranchantes. Un faux pas serait fatal. Les appels d’air l’attirent vers le vide, son instinct et Litz lui ordonnent de s’écarter avant de trébucher. Les précipitations corsent de temps à autre la marche. Lorsque le souffle lui manque, Matthew fait une halte et immortalise sa progression avec son appareil photo. Avec de l’avance, son compagnon roulant cartographie les nouveaux reliefs, ce qui leur permettra de s’orienter pour le retour.

Les autres unités présentent leurs premiers rapports. Elles n’ont rencontré jusqu’ici que des terres désolées. Les tests sur les prélèvement minéraux n’ont indiqué aucune présence de bactérie. L’île Pan semble bel et bien inhabitée. Litz prétend qu’il s’agit d’une bonne nouvelle pour la mission, mais Matthew n’en est pas certain. Installer des zones de culture et terraformer l’île ne posera aucun problème. Néanmoins, la rencontre entre l’écosystème terrien et megien subsiste. Comment prédire ce qu’il adviendra ? Les conséquences dépassent son entendement. L’avenir s’est subitement brouillé. L’explorateur avance dans l’inconnu. Mais contrairement à d’habitude, cet inconnu l’inquiète.

Parvenu au sommet d’une bute raide, Matthew pose ses genoux à terre. La chaleur dans son casque le fait transpirer comme dans un sauna.

« -Ouf ! La montée était plus rude que prévu.

-Tout va bien ?

-Oui oui ne t’inquiète pas. Laisse-moi une seconde pour respirer. Tu as de la chance d’être en métal toi, dit-il en frappant la tête du robot à ses côtés. Où sommes-nous ?

-A quatre kilomètres environ au Nord du Darwin. »

Alors qu’il lève les yeux, l’homme aperçoit droit devant une nouvelle plage. A l’abri dans les rochers, elle forme une vaste zone peu profonde jusqu’à une ceinture de récifs. Cassées par cette dernière, les vagues n’y pénètrent pas.

« Ah enfin un endroit accessible ! Il était temps ! Tiens ? C’est étrange, la mer n’a pas du tout le même aspect ici. Je ne l’ai jamais vue comme ça. Est-ce que je rêve, ou est-ce que l’eau est… verte ? »

Matthew découvre un champ de milliers de petits cercles flottant à la surface de l’eau. Ils s’agitent dans les courants et augmentent en diamètre avec la profondeur.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

L ’homme dévale le versant à grandes enjambées.

« Alors là…. On dirait des plantes aquatiques. Mais oui, ce sont des végétaux !

- S’attendre à tout, n’est-ce pas ce que tu as dit ?

- Il va vraiment falloir que j’apporte des preuves solides pour expliquer ces choses à la Fédération. Tu les vois bien comme moi, hein ?

-Affirmatif. Je filme tout.

- J’ai déjà vu ce genre de forme, je crois. En cours de botanique… Comment cela s’appelait-il déjà ? … Nénuphar ! Ah oui ! On dirait des nénuphars !

-Il est très peu probable qu’un lien existe avec l’espèce que tu évoques Matthew.

-Oui, je sais, c’est bien ce qui est étrange. Comment deux organismes ont-ils pu évoluer vers la même anatomie sur deux planètes différentes ? C’est incroyable ! »

Sur la plage, le sable craque sous ses pieds. Des centaines de petits débris de calcaire blancs jonchent le sol. Matthew se penche plus près et remarque des formes étranges, trop complexes pour avoir été taillées par l’eau.

« Oh ! Regarde ça Litz, tu as vu ces pièces ? Cela ne me semble pas naturel. Certains motifs sont reproduits un peu partout, comme si on les avait moulés.

-A quoi tu penses ?

- Je pense qu’ils ont été charriés par la mer, et que ce sont des parties dures de formes de vie. Des coquillages extraterrestres, c’est merveilleux !

-Tu en es certain ? »

L’homme pioche deux fragments identiques et les présente à la caméra du rover. Les deux sont taillés en croissant de lune parfait, dont une extrémité se termine par une petite sphère.

« -Prends ça en photo et donne-moi le pourcentage de différence de ces deux cailloux. La probabilité qu’ils puissent être identiques par hasard est proche de zéro ! Si tu veux d’autres preuves, tu as juste à te baisser. Il y a au moins vingt de ces choses juste sous tes roues.

-Affirmatif, il est bien possible qu’ils proviennent d’organismes.

-Tu vois ! Il y en a tellement ! Je savais que la faune de cette planète était plus riche que du plancton ! Nous tenons une piste. Je suis sûr qu’on ne gratte encore que la surface. On doit continuer ! Je vais en ramener au vaisseau pour analyses.

-Tu vas avoir de quoi dessiner. »

Avec une pelle de son kit, Matthew remplit deux cuves de coquilles et squelettes d’êtres inconnus. Avec de la chance, il retrouvera peut-être leurs propriétaires.

L’explorateur marche jusqu’à l’eau. A l’orée de la forêt de nénuphars, un tapis vert recouvre le fond. Pareil à de l’herbe, une algue s’est emparée du moindre emplacement où la lumière s’engouffre. Son aspect évoque un pré d’été engloutit. L’homme n’a pas vu autant de verdure depuis les jardins de la base de Terre II. S’il était un poisson, il s’y prélasserait jour et nuit. A trente centimètres de profondeur, il s’accroupit et cueille tous les échantillons à sa portée.

« Par tous les astres… Nous allons révolutionner la biologie avec Meg 15. Des végétaux extraterrestres ont adopté les modes de vie de nos plantes ! Ils prennent racine dans les sédiments, se nourrissent certainement des minéraux, poussent par une tige, ouvrent leurs feuilles près de la surface, sans doute pour la photosynthèse. Je veux dire, nous partageons littéralement les mêmes schémas ! Ils ont suivi la même évolution. C’est incroyable ! Nous allons changer tellement de choses lorsque l’humanité saura tout ça.

-Sois prudent, je te déconseille de rester trop longtemps dans l’eau. Ta combinaison risque d’être contaminée à un seuil élevé.

-Cette plage est un vrai trésor ! Je me demande pourquoi elle est si différente.

-Ici, il n’y a ni vague, ni vent. Les conditions sont calmes et propices au développement de la flore.

-Je vois, tu as sûrement raison. Je pense que d’ici nous pourrions facilement étudier l’écosystème megien. Je vais baptiser cet endroit : plage du Jardin.

-Est-ce un nom officiel ?

-Tout à fait ! Tu peux le noter sur la carte. »

Des galets difformes dépassent un peu partout. Des algues gluantes prolifèrent dessus. Matthew en saisi un, mais ce dernier résiste, comme s’il collait au sol. En le retournant, il sursaute et le lâche aussitôt.

« Par tous les astres !

-Matthew ? Que se passe-t-il ?

-Cette pierre, elle…. Elle a des pattes !

-Reviens immédiatement !

-Attends ! »

Avec précaution, il attrape à nouveau la chose. Elle se replie sur elle-même à la manière d’un escargot. Un million de petits tentacules grouillent sur son ventre.

« Oh ! Quelle merveille ! Ce n’est pas un galet, c’est un animal ! HA ! Litz, c’est un megien ! Je le savais !

-Relâche-le Matthew.

-Ne t’inquiète pas, je le tiens par la carapace. Enfin, je crois. Il n’a pas l’air dangereux. On dirait un mollusque marin ! Salut toi ! »

La créature n’a ni yeux, ni tête. Ses seuls orifices sont un trou au centre de son ventre, ainsi qu’une paire de tubes par lesquels des jets d’eau s’échappent. Matthew conclut qu’il s’agit de sa bouche et de ses narines. Ses pieds disposent de minuscules ventouses. Lorsqu’il approche un doigt, celles-ci s’agrippent à la combinaison. Une solide coquille ovale protège l’intérieur de son corps et lui donne la couleur de la boue. Une couche de crasse s’est accumulée par-dessus.

« C’est un invertébré, symétrie bilatérale. Il doit faire approximativement quinze centimètres de diamètre. Je ne vois aucune dent ni aucun membre pour la nage. Cette bête est un herbivore probablement. Son apparence lui confère une bonne protection et un bon camouflage pour se fondre dans le décor. Je n’aurais même pas vu qu’il était vivant si je ne l’avais pas soulevé. Nous avons affaire à un stade d’évolution très avancé. J’aurais aimé le rapporter jusqu’au module, mais il est trop gros pour tenir dans un caisson de confinement. On aurait dû prévoir plus d’équipement.

-Matthew, ton attitude est imprudente. Tu te mets en danger en manipulant cette entité. Je t’ordonne de la relâcher.

-Je vais le faire ! C’est pour ça que nous sommes là non ? Etudier la vie sur Meg 15 ? Tu t’en souviens ? »

L’explorateur le photographie sous toutes les coutures, puis le redépose à sa place sur son lit de vase.

« Voilà regarde, il ne m’a pas mangé ! Et en plus, on a un nouveau megien à ajouter à notre base de données ! Comment vais-je l’appeler ? Et pourquoi pas le bouteur ?

-Affirmatif, je note qu’il sera désigné sous cette appellation.

-C’est génial ! Voyons s’il n’y a pas d’autres bêtes dans les parages.

-Tu joues avec le feu !

-Ne t’inquiète pas ! Je sais ce que je fais. »

En vadrouillant sur quelques mètres, Matthew identifie quatorze nouvelles espèces. Le champ accueille une véritable ménagerie. Différentes variétés de brouteurs partagent leur territoire avec un autre herbivore : un gros être mou en forme de serpent qui peut atteindre un mètre de long. L’homme ne parvient pas à repérer sa tête. Il le baptise simplement : limace megienne. Une panoplie d’êtres semblables à des vers marins construisent des réseaux de galeries dans les sédiments. Matthew en emporte quelques-uns pour le laboratoire. Cette pêche au trésor inespérée renforce ses craintes.

« -Je le savais ! Cet océan grouille d’une vie macroscopique ! Nous en avons la preuve. Il y a sûrement plein d’autres animaux sur cette planète. Ici, c’est parfait pour lancer nos sondes aquatiques ! Je vais le faire maintenant, amène la remorque s’il te plait.

- Viens la chercher toi-même. La baignade est finie, sors de l’eau.

- ça va, ça va ! »

Matthew immerge les sondes aquatiques une par une. Contrairement aux autres robots du Darwin, celles-ci ne possèdent pas de charge initiale. Les démarrer prend quelques minutes. Leurs surfaces photovoltaïque captent les rayons de Meg Alpha.

A cent pour cent de batterie, elles s’animent. Aucun itinéraire ne leur a été attribué. Bien plus simples que les rovers terrestres, les sondes aquatiques fonctionnent avec un mode autonome de base. Celles-ci effectuent en liberté des trajets aléatoires. Leurs seules indications : éviter les zones risquant de les endommager ou de les bloquer, et ne pas s’écarter de plus de deux kilomètres de leur point de départ. Litz suivra leur position en temps réel, mais ne pourra accéder aux données collectées que toutes les heures. Leurs signaux transmettent ponctuellement pour économiser l’énergie.

Les engins s’élancent entre les tiges. Matthew les observe plonger sous les ombrelles depuis la berge.

« -Lancement réussi.

-Allez, c’est parti. On verra bien les images qu’elles rapporteront.

-Continuons de notre côté Matthew. Je tiens à te prévenir. A notre retour, tu auras le droit à trois séances de nettoyage dans le sas de stérilisation. Tu les auras mérités.

-Tu sais quoi ? Aucun regret. Ça en valait la peine ! »

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