Chapitre 30 : Souvenirs (part 3)
Un bruit grave retentit dans l'air, au point de couvrir les musiques de son vieux lecteur. Qu'est-ce que c'était ? Matthew retire ses écouteurs et se relève de son lit d'un bond. La lampe de nuit éclaire sa chambre d'enfance. Une chaise, une table, une pile de manuels traînant sur son bureau, des uniformes pliés dans l'armoire, rien à signaler. Le sol tremble sous ses pieds, les vibrations s'intensifient. Qu'est-ce qu'il se passe ? De nouvelles salves sonores lui déchirent les tympans, comme si le plus violent des tonnerres s'abattait sur sa tête. Il ouvre le volet métallique de sa fenêtre. Des lumières s'agitent dans le ciel au-dessus des lotissements. Cela n'a pas l'air d'être un exercice ! Des agents quittent les bâtiments voisins et se rendent au point de rassemblement d'urgence dans la cour en contrebas. L'alarme d'évacuation se déclenche dans son couloir. Matthew enfile ses chaussures, fourre son lecteur et ses écouteurs dans la poche de son habit de nuit, et court rejoindre la foule à l'extérieur.
Lorsqu'il sort, un spectacle terrifiant et magnifique perce la pénombre. Des étoiles filantes rayent l'espace par centaines. Autour de lui, les autres recrues admirent les gerbes étincelantes en se sondant du regard à la recherche de réponse. A en juger la propagation du son et le décalage avec les lumières, Matthew suppose que cela provient de la haute atmosphère. Des objets en orbite se disloquent avec fracas puis se consument en chutant vers la planète. Un tel vacarme ne correspond pas à une banale pluie de météores. Les détonations s'apparentent plutôt à des ondes de choc. Certains soutiennent qu'il s'agit d'explosions. Le phénomène persiste pendant une trentaine de minutes. Comment se fait-il que ces débris soient si nombreux ? Ce n'est pas naturel, c'est quelque chose de gros... Le cœur de Matthew s'accélère. L'image de la station spatiale émerge dans son esprit. Par tous les astres.... Est-on en train de regarder la station spatiale s'embraser dans l'atmosphère ? L'hypothèse germe ça et là dans les murmures. Un agent localise un officier supérieur parmi la densité du groupe et l'interroge sur la nature de ces feux stellaires. L'interlocuteur, la mine stupéfaite, ne daigne pas tourner la tête pour lui répondre.
Une heure s'écoule sous ce feu d'artifice constant. Les alarmes n'ont pas cessé, interdisant de regagner les quartiers. Matthew et les autres se sont assis dans la cour, attendant les ordres ou une bride d'explication. Le jeune homme perd son regard dans la beauté des tracés sur la toile d'infinie. Sa curiosité joue avec l'inquiétude. La tranquillité apparente des autres donne à l'ambiance de la base une nuance d'étrangeté. On aurait déjà dû nous donner des informations. Peu à peu, les pensées du jeune homme se tournent vers Eva. Une situation comme celle-ci n'est jamais advenue par le passé. Elle doit de son côté aussi patienter quelque part, à un autre point de rassemblement. Il prie pour qu'elle se porte bien. Ses doigts serrent machinalement le lecteur dans sa poche, le seul cadeau d'anniversaire de sa vie. Les étoiles filantes s'étiolent dans le fond obscur. La friction avec la couche d'air les pulvérise avant qu'elles ne touchent la surface. Les trajectoires de certaines s'approchent dangereusement de la base. Matthew se demande s' il ne vaudrait mieux pas se réfugier dans les sous-sols. Combien de temps cela va-t-il encore durer ?
Soudain, le bouquet final. Une explosion immense irradie le firmament. Une seconde, les cieux s'allument comme en plein jour. Matthew se protège les yeux, tandis qu'une voix répète dans les hauts parleurs généraux.
« Que tout le monde rejoigne les voies d'entrée vers les niveaux inférieurs de toute urgence. Gagnez les points de rassemblement souterrains. Ceci n'est pas un exercice.»
D'un seul mouvement, la troupe s'exécute. Tous rejoignent en rangs serrés la bouche la plus proche. Matthew ferme le pas. Une onde de choc le pénètre jusque dans ses os. Le jeune homme étourdi manque d'être plaqué contre le béton. Ses oreilles sifflent. Les évènements s'emballent très vite. Une tempête de poussière se soulève et avale la base. L'air s'échauffe dans ses poumons. Avant qu'il ne s'enfonce à son tour en sécurité derrière les portes, Matthew remarque une boule de feu géante envahir le ciel, une masse de métal titanesque en incandescence et hurlante. Sa seule impression cohérente sur le moment est celle d'halluciner. Cette dernière heure ne pourrait se résumer qu'à un rêve, et cette chose en serait la fin avant de se réveiller. Celle-ci survole les bâtiments pour aller s'écraser derrière les remparts. Son allure n'a rien d'un débris quelconque. Sa forme fuselée évoque un cockpit de vaisseau spatial. L'avant de son blindage ressemble aux vitres d'un poste de commande, et sur ses flancs se dressent des séries de colonnes déformées par la fusion. Qu'est-ce que c'est que ça ?
Une fois dans les voies souterraines, Matthew suit son groupe au pas de course. Pas le temps de s'attarder sur son corps, il ignore les vertiges et l'acouphène qui l’assourdit. Un séisme de grande emplitude frappe, plongeant toute la structure dans le noir une dizaine de minutes. L'appareil que j'ai vu vient de toucher le sol, songe Matthew. Malgré la situation, aucun agent n'exprime sur son visage la moindre peur. Leur instinct affûté par les années de simulation les ont dotés de la meilleure lucidité en période de trouble. Pas besoin de réfléchir, seulement d'appliquer l'entraînement. D'autres détachements fourmillent dans les corridors vers leurs points de rassemblement. Au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent, les grognements de la surface s'étouffent entre les cloisons de roche et d'acier. Ils pénètrent finalement dans une chambre de bunker désignée par leur formation. Ses salles géantes contiennent les vivres et commodités nécessaires pour garantir la survie d'une armée des semaines durant. Une fois alignés au garde à vous, un haut gradé appelle chacun d'eux, puis les consigne ici pour la nuit. Un briefing complet leur sera communiqué demain matin. Au retour du calme, un long flottement s'installe. Les esprits réintègrent le présent chacun à leur manière. Les murs blindés, les éclairages pâles au-dessus de rangées de lits, et l'air auto-purifié de cet endroit nourrissent la tension latente. Tout s'est enchaîné en quelques minutes, et aucun ne comprend ce qui vient d'arriver. Le protocole de retranchement en sous-sol est un plan pour les scénarios graves. Difficile de prédire l'étendue des dégâts là-haut, ni combien de temps ils pourraient rester dans les tunnels. Matthew espère que tous les agents ont pu gagner leur abri, et qu'aucune perte ne sera à recenser. Le jeune homme observe les traits de ses collègues, entre la retenue protocolaire et la confusion. Aucun ne sait clairement exprimer ce qu'il ressent, leur discipline de la Fédération lutte contre leurs émotions. Les échanges s'épuisent, la seule conclusion valable est d'attendre les ordres. La soirée finit peu à peu par reprendre un brin de normalité. Chacun choisit une couchette et reprend tant bien que mal ses occupations dans son coin.
Matthew s'allonge dans les draps. Le son aigu dans ses oreilles rage jusque dans son crâne, mais les exercices de vol et les décollages d'engins l'ont habitué à pire. Il se concentre sur son souffle et relâche ses muscles encore tremblants à cause de l'onde de choc. Le futur explorateur s'interroge sur cette mystérieuse boule de feu. Il revoit clairement la chose qui a filé à peut-être trois kilomètres au-dessus d'eux. Un vaisseau spatial sans nul doute, il a reconnu la forme d'un cockpit et d'une coque. Était-ce un vaisseau civil ? Ou peut-être un transporteur de fret ? Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver ? Ces choses sur ses côtés, qu'étaient-elles donc ? De longues excroissances, Matthew est persuadé d'avoir déjà vu ces formes quelque part, pas dans les manuels, peut-être les archives ?
Les archives , voilà des mois qu'il ne s'est plus accordé une pause pour s'y évader, ou même y penser. A dix huit ans, ses permissions ne lui servent plus qu'à manger et dormir. Ses premiers pas dans l'âge adulte ont apporté la rudesse des responsabilités d'agent confirmé. Les hautes instances annonceront la décision finale des dernières candidatures pour SysMeg dans deux ans. Matthew touche au but au prix d'une labeur extrême. Il a traversé tant d'épreuves pour conserver sa place que chaque jour paraît aspirer une part de sa vie. Joie comme tristesse, les sentiments ne prennent plus part à son être. Son âme, comme anesthésiée, se satisfait dans la réalisation de ses tâches jour après jour. Son corps se meut souvent comme un automate. Il se transforme en une succession d'instincts, de réflexions logiques. L'univers pourrait s'écrouler autour de lui, en aurait-il conscience ? Sa seule flamme est une volonté indestructible de réussir. Elle le guide comme une marionnette, incapable de s'en détourner. Les questionnements d'adolescent rebel l'ont déserté, reclus quelque part dans un coin de son cerveau. Plus le temps pour les débats existentiels, plus le temps pour rien. Il n'existe que pour SysMeg. Certaines nuits, entre le sommeil et l'éveil, il songe à la mort si on ne le juge plus apte à la mission. Il ne faillira pas à sa destinée. Il surpasse ses formateurs, caresse l'essence même de ce que la Fédération projetait en lui. L'agent Truman et les autres le couvrent de félicitations. Il se sent prêt à porter le titre illustre d'explorateur. Le mystère de ce soir représente sa première vraie distraction depuis des années. Elle titille son attirance pour l'inconnu. Comme avec un jouet, il se triture les méninges en parcourant sa bibliothèque de souvenirs. Il navigue dans les résidus d'images et de mots qui n'ont pas disparu de sa mémoire des archives pour une piste éventuelle sur le vaisseau spatial.
Son impression de déjà vu ne trouve pas satisfaction, l'épuisement gagne la lutte en une heure à peine. Matthew se réveille le lendemain aux aurores. Ses oreilles ne sifflent plus, l'acouphène a laissé place à une migraine persistante et des douleurs musculaires. Est-ce que c'est l'onde de choc, ou juste les exercices dans le simulateur de gravité artificielle ? Peut-être bien les deux en fait.... Les agents se lèvent comme si hier ne s'était pas produit. Ceux qui ont emporté leurs uniformes lors de l'évacuation les enfilent après un passage aux douches collectives. Une cargaison est apportée aux autres par du personnel d'entretien. A l'heure du petit déjeuner habituel, le même haut gradé que la veille se présente à l'entrée du bunker. Matthew se range au garde-à-vous, content d'enfin entendre des explications.
« Bonjour à tous. Voici les dernières informations. Au début de la nuit dernière, un problème technique a été détecté sur notre satellite de communication Alpha V en orbite autour de notre planète. Nous soupçonnons une défaillance dans les systèmes de navigation, qui aurait entraîné une manœuvre incontrôlée de ses propulseurs. Alpha V a déstabilisé son orbite et percuté Beta III, le plus gros satellite de notre flotte . La collision a éparpillé leurs morceaux un peu partout dans la haute atmosphère, d'où la pluie que vous avez pu observer. Heureusement, la zone de crash des débris était située majoritairement à dix kilomètres au sud de notre base. Pour des raisons de sécurité, le retranchement dans les niveaux inférieurs a été ordonné, et brillamment réalisé. Aucune perte humaine ni matérielle à signaler.»
Par tous les astres, plus de peur que de mal donc, pense Matthew.... Alors cette chose n'était qu'un satellite ? Pourtant, j'ai bien vu un cockpit non ? Les satellites ne sont pas dotés d'habitacles, ils sont pilotés à distance et gérés par intelligence artificielle.
« Les vols dans l'espace sont pour le moment suspendus, précise le supérieur, mais les activités au sol peuvent reprendre pour chacun de vous. Vous pouvez intégrer vos quartiers d'ici ce soir. Veuillez vous rapprocher de vos formateurs pour de plus amples informations à vos heures de démarrage habituelles. Des questions ?
-Monsieur, appelle Matthew en levant la main ? L'un de ces satellites était-il habité ?»
Le supérieur hausse un sourcil, typique des gradés face à une question qu'ils jugent idiote.
« -Bien sûr que non. Nos satellites sont entièrement automatiques.»
Pas de cockpit, c'est étrange.... Ce n'était pas un vaisseau tout compte fait. J'ai dû rêver...
« D'autres questions, demande le supérieur ? ... Dans ce cas, commencez le travail.»
La troupe se disperse. Dans les yeux, Matthew peut lire une satisfaction collective. Le briefing a apaisé les esprits. Tout le monde semble ravi de reprendre le cours normal de sa vie. Cette étrange nuit sera rapidement oubliée, quelques heures isolées sans importance. Le jeune homme partage ce soulagement, malgré cette image de cockpit en feu. Les explications tiennent la route, mener une enquête sur une simple impression l'embarasserait pour rien. Et puis, il ne dispose ni du temps ni de l'énergie. Il a dû mal interpréter dans l'action. Après tout, cela n'a duré qu'une fraction de seconde, alors qu'il venait d'encaisser une onde de choc. Sa raison range cette expérience dans un coin, une nouvelle journée intensive et bien réelle l'attend. Les agents abandonnent les bunkers et regagnent la surface. La base s'anime à nouveau.
Après un petit déjeuner et une auscultation en infirmerie, il profite des dernières vingt minutes avant le début de ses cours pour rendre visite à Eva. Celle-ci n'a pas rejoint ses quartiers. Matthew la cherche au hasard du réfectoire à la bibliothèque, en passant par les couloirs où elle aime se promener. Il finit par la retrouver seule, marchant sur les bords d'un bassin en marge des jardins agricoles. A peine l'aperçoit-il que le jeune homme devine que quelque chose ne va pas. Eva s'isole naturellement lors de ses temps libres, mais une aura différente émane d'elle cette fois. Sa marche erratique se ponctue de pauses, comme perdue dans des pensées. Ses traits n'ont jamais été aussi écrasés par le poids des années. Une fatigue se lit sous ses paupières, comme si elle n'avait pas pu fermer l'œil de la nuit. Son regard inexpressif fixe le vide, se contentant parfois de lever les yeux sur l'eau du bassin pour se rattacher au monde. Inquiet, Matthew accourt vers elle. Son visage s'illumine d'un sourire aussitôt qu'elle le remarque. La femme s'efforce tout à coup de masquer ses troubles, de mîmer sa chaleur habituelle.
« Eva ? Est-ce que ça va, demande Matthew en l'enlaçant brièvement ?
-Bonjour Matthew. Oui je vais bien, et merci le câlin n'est pas de refus ! D'ailleurs, tu as enfreint le protocole, remarque-t-elle dans un brin de rire, ça faisait longtemps.
-J'ai senti que ça n'allait pas. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as passé une mauvaise nuit ?
-Oh, lâche-t-elle dans un soupir, c'est ça... J'ai mal dormi dans le bunker. J'étais dans mes quartiers quand l'alarme s'est déclenchée avec cette... pluie de météores. On a pu évacuer jusqu'à notre point de rassemblement, mais j'ai choisi le lit le moins confortable...Désolée de t'avoir inquiété, mais je vais bien. Tout s'est bien passé de ton côté ? »
Le jeune homme connaît suffisamment sa formatrice préférée pour percevoir la faiblesse de sa voix. Il sait comment elle s'exprime lorsqu'elle est exténuée, il ne s'agit pas de ça.
«-Oui, à peu près la même chose que toi. Je suis content qu'il n'y ait pas eu de pertes. Cette pluie de débris de satellites hier, c'était quelque chose...
-Oui...»
Ses yeux s'égarent à nouveau dans le vague un instant. Plus que de la fatigue, il lit de la tristesse, une émotion qu'elle dissimule sous une couche de légèreté et d'humour. Matthew a appris à la détecter dans ses moments, son intensité n'a jamais été aussi forte.
«Tu es sûre que ça va ? Je ne t'ai jamais sentie si....
-Si épuisée ?
-Si déprimée.»
Eva esquisse un sourire.
« -Je suis simplement fatiguée, je t'assure.
-Tu ne me dupes pas. Depuis le temps tu devrais le savoir ! »
La femme rit sans réponse.
« Qu'est-ce qu'il y a, insiste-t-il ?»
Le silence écrase ses derniers mots. Le semblant de lumière qu'elle peine à maintenir s'étiole, remplacé par une fébrilité palpable. Matthew se surprend à découvrir une autre personne, loin derrière la facette bienveillante et chaleureuse. Un spectre sombre sans précédents l'entoure, il alourdit l'air dans les poumons et la brise matinale sur la peau. Ses lèvres, prises de spasmes, cherchent à plusieurs reprises leurs mots. Eva se tourne vers le bassin et se perd dans les reflets du ciel.
« Rien que nous ne puissions faire, prononce-t-elle.
-Est-ce que c'est lié à la nuit dernière ?
- Je suis fatiguée de tout ça...
-De tout ça ? De la mission ?
-De tout... Je suis fatiguée des missions, fatiguée de former des recrues, d'organiser des opérations... Fatiguée de suivre le protocole...Je suis fatiguée de la Fédération et de ce monde. Je n'en peux plus.»
Fatiguée de ce monde ? La voix d'Eva vacille, une larme tombe de ses joues. Cette image frappe Matthew comme une lame dans le cœur. Eva pleure devant lui pour la première fois de sa vie. Que faire ? Que penser ? Les émotions franchissent la retenue réglementaire. Ses bras la serrent. Contre lui, la femme renforce l'étreinte et libère sa peine. Les minutes s'allongent ainsi, seulement ponctuées par les remous de l'eau, et le vent sur les feuillages des jardins. L'agent ne réfléchit pas, le mur de ses années d'apathie se fissure. SysMeg le déserte. Il n'y a que le petit garçon, prêt à tout pour effacer le malheur dans l'âme de celle qu'il aime comme sa mère. Le corps d'Eva se décharge tandis que sa douleur résonne en lui. Les yeux de Matthew s'humidifient à leur tour. Ce tourment ne date pas d'aujourd'hui, il mesure le poids de son accumulation. Depuis combien de temps lui cache-t-elle ce fardeau ? Peut-être que celui-ci a toujours existé. Chaque temps passé dans la solitude lui a permis de l'évacuer. Peut-être n'est-ce que grâce à cela qu'elle a gardé la face, s'est toujours donnée dans son travail et pour lui. D'où vient le mal ? Pourquoi souffre-t-elle ? Une des ces choses dont elle ne lui a jamais parlé, tant de secrets subsistent à son sujet. Une fois calmée, Eva se sépare de lui.
« J'aurais aimé que tu ne me vois jamais comme ça, murmure-t-elle encore en sanglots.
-Ne dis pas ça. J'aimerais t'aider, mais je ne comprends pas ce qu'il y a.
-C'est mieux comme ça. Tu as cet avenir devant toi, je ne veux plus interférer avec ça. Tu vas bâtir un nouveau monde là-haut, un monde meilleur.
- Interférer ? Je ne comprends pas, tu n'as jamais interféré... De quoi est-ce que tu...Oh, tu fais allusion à Terre II c'est ça, il y a trois ans ?
-Je regrette de t'avoir fait ça Matthew. Je n'aurais pas dû te montrer les archives. Je n'ai fais que te blesser... Je n'aurais pas dû te faire te poser toutes ces questions. Je ne sais pas ce que je cherchais...
-Qu'est-ce que tu racontes ? Tu dis n'importe quoi ! Grâce à toi, j'en sais plus sur l'humanité et la culture que n'importe quelle autre recrue dans cette base. Tu m'as appris à aimer les choses, à aimer la vie, tu m'as appris à m'aimer et à toujours interroger le monde autour de moi. Je... Je suis seulement désolé que la Fédération ne nous parle pas de ce monde.
-A quoi cela t'a servi ? A te faire du mal...
-A me rendre plus humain Eva. C'est toi qui me l'as dit.
-Humain ne veut plus rien dire aujourd'hui....
-De quoi est-ce que tu parles ? »
Ils marquent une pause les yeux dans les yeux. Le jeune homme décèle un rapport entre son trouble, et ce qui s'étend hors de la base. "La confusion est dangereuse", des bribes de paroles de Truman lors de son entretien maudit ressurgissent. Avec le temps, Matthew n'a plus souhaité aborder le sujet, de peur de nourrir des énigmes sans fin. La dernière fois a failli lui coûter cher, et l'angoisse de ce jour le hante encore. Quelques soient les mystères de dehors, il s'est convaincu que rien n'importait autant que SysMeg. Peut-être l'a-t-elle déçu ? Mais comment faire autrement ? Matthew estime avoir écouté son devoir. Leurs échanges se sont alors peu à peu réduits à des formalités, ou des conversations légères sur leur travail quotidien. Les fois où elle tentait de renouer le dialogue, il éludait, prétextant de ne plus pouvoir se le permettre, que seule la mission et le présent comptaient. Eva n'a plus insisté, il devine à présent par culpabilité. Une partie de lui regrette que leur relation ait tourné ainsi. En s'éloignant des archives, de son envie d'apprendre sur l'humanité, Matthew se reproche d'avoir effrité l'intimité de leur lien. Mais il ne s'agit pas de lui cette fois. La détresse d'Eva de cet instant compte plus que les interdits. Seuls à seuls, le futur explorateur s'accorde à s'ouvrir à tous ses mots.
« Je sais que tu ne m'as pas tout dit sur les planètes là dehors. C'est vrai, Terre II a été pour moi un vrai choc lorsque je l'ai appris, avoue-t-il. Et c'est vrai que quelques temps après, je t'en ai voulu de me l'avoir montré. Mais ensuite, j'ai compris que tu n'avais cherché qu'à me montrer la vérité avec mes propres yeux, une vérité que tout le monde ignore ici dans tous les sens du terme, et ce n'est pas juste. Je sais que je suis quelqu'un de meilleur grâce à ça, et je sais que je suis prêt à en apprendre plus. Qu'est-ce qu'il y a d'autre là-haut que nous devrions savoir ?
-J'ai failli t'attirer des ennuis la dernière fois, je ne veux pas recommencer Matthew.
-Tu viens de me dire que l'Humanité ne voulait plus rien dire aujourd'hui, et tu ne vas pas m'expliquer ?
-Oublie ça, s'il te plaît.»
Le visage d'Eva crie tout le contraire. Son corps se retourne frénétiquement. Matthew voit bien qu'elle retient ses mots de toutes ses forces.
« De qui as-tu peur ? On est tous les deux Eva, rassure Matthew. Il n'y a personne. Je me fiche que ça m'attire des ennuis. Je sais que tu veux m'en parler.
-Ta journée va bientôt commencer. Je pense que tu devrais...
-Ce n'est pas important, coupe-t-il. Laisse moi comprendre ce qui ne va pas.
-Non, je ne peux pas.
-Pourquoi ?
-Parce que tu perdrais foi en l'Humanité toi aussi ! »
Eva le coupe dans son élan. Matthew se tait, décontenancé. L'atmosphère se refroidit.
« Ce qui se passe là-haut est... très compliqué, poursuit Eva en refoulant au mieux de nouveaux pleurs. Notre crise de ressources empire, et je n'ai plus la force de faire comme si cela ne m'affecte pas, parce que c'est ce que la Fédération nous demande pour votre bien ! Je suis épuisée de ça... Mais je ne peux pas t'en dire plus, aussi fort que j'aimerais Matthew. Après t'avoir montré Terre II et les archives, j'ai compris que t'en dévoiler plus ruinerait toute ta vie, et cette mission pour laquelle tu te bats tant.
-Voilà que tu parles comme les autres agents ? Je croyais que tu voulais que les nouvelles générations sachent.
-On est bien au-delà de ça maintenant. J'étais déjà idiote de jouer sur tes émotions avec Terre II. J'ai réalisé à quel point cela pouvait être dangereux. Aujourd'hui, tu vas devenir l'un des plus grands hommes de ce siècle. Je ne veux pas que tu perdes cette flamme en toi, je l'aime tellement... Je n'ai pas le droit de te faire du mal comme ça. Je ne me le pardonnerais jamais... »
Ce n'est pas toi Eva, ce n'est pas toi... Qu'est-ce qui t'arrive ? Des paroles aussi pessimistes de sa part le reversent à l'intérieur. Un évènement doit avoir brisé ses espoirs, un évènement si traumatisant que la femme en contredit ses valeurs passées. Elle veut me protéger de quelque chose...
« Qu'est-ce qu'il s'est passé Eva ?
-Arrête maintenant, ordonne-t-elle.
-C'est si grave que ça... »
L'expression battue de la femme rend toute autre confirmation inutile. La minute suivante, chacun se plonge dans la contemplation du décor. Mal à l'aise, Matthew n'ose plus la regarder. Une colère s'insurge au fond de lui, mais est-ce à cause du refus de sa formatrice à s'exprimer, ou bien contre lui-même et son obstination ? Eva, si proche, est devenue en l'espace d'une conversation une lueur lointaine, une lune qui ne lui a montré qu'une face éclairée toutes ces années. Comme tous les agents, elle a grandi dans le programme de formation des recrues, mais l'a intégré tard, à quatorze ans. Eva a connu ses parents biologiques, sa colonie natale, la planète Alion qu'aucune source ne mentionne dans cette base. En de rares occasions, la femme évoque un détail de cette époque avec une pointe de mélancolie, mais il soupçonne qu'elle s'interdit d'en parler plus, peut-être à cause de ses obligations ou de la douleur. Sa maîtrise des deux mondes, de chaque côté des remparts de la Fédération, en fait une personne si unique, si sensible au bien des autres, mais aussi si torturée. Beaucoup verraient cela comme une faiblesse, mais Matthew sait que là réside sa vraie humanité. Lui aussi souhaiterais avoir goûté au vaste monde, à une histoire ordinaire du commun des mortels sur sa planète d'origine. Peut-être aurait-il alors été capable de mieux l'écouter, de mieux la consoler, de compatir au plus profond de lui, car il aurait compris sa détresse. Quelque chose d'horrible s'est produit, à nouveau dans la désinformation et l'indifférence totale de tous les agents. Si Eva elle-même tient à l'en sauvegarder, de peur que sa propre foi en la cause en soit détruite, alors peut-être qu'il doit s'incliner cette fois. Creuser de force n'engendrerait que plus de tort. Matthew prend la femme par les mains.
« Je te demande pardon, prononce-t-il les yeux dans les yeux. Je n'aurais pas dû te pousser comme ça à me parler. Ce qui est arrivé t'a beaucoup touché j'ai l'impression. J'espère simplement que tout ira mieux bientôt. »
Après quelques dernières larmes, ses lèvres lui renvoient un premier sourire teinté de sincérité.
« Crois moi, je regrette de te laisser dans le flou. Ça va Matthew, ce n'est pas grave. Et puis, c'est un peu de ma faute. A ta place, je crois que j'aurai fait pareil.
-Là dessus, je pense que tu as bien déteint sur moi en effet. Tu sais que si un jour tu veux m'en parler, je serai là pour toi, Eva. On est une équipe tu le sais. Peu importe ce que c'est.
-Je sais Matthew, on est une équipe, petit héros des étoiles.
-J'ai dix-huit ans ! Tu n'es plus obligée de m'appeler comme ça, plaisante le futur explorateur ! »
Le teint d'Eva retrouve un début de couleur. Une nuance de leur complicité habituelle se lit sur leurs visages. Un vent plus chaud remue les hectares de potagers. Ses ondulations se dessinent sur les mouvements des épis des plantes les plus basses. Chacun retrouve les bras de l'autre une seconde fois. Un éclairci perce les ténèbres. Matthew se satisfait de ce petit rayon. Il s'assurera qu'il grandisse, prendra le temps au quotidien pour la voir plus souvent, malgré la fatigue de son entraînement. Il ne règlera pas le problème, mais peut-être que son soutien l'aidera à guérir. De son côté, il n'avait pas expérimenté autant d'émotions depuis un moment. Son cœur s'est réveillé, et cette sensation lui fait du bien. Matthew se promet de mieux le protéger contre la dureté de SysMeg, ne jamais perdre ce qu'elle a inculqué en lui.
« Merci de comprendre Matthew. Je ne sais pas qui je serais sans toi.
-Et moi donc Éva. Nous irons sur Meg 15 ensemble, je te le promets.»
La tendresse dépensée, le rappel à sa mission le frappe comme un boomerang. Il réalise son retard imminent pour ses exercices du jour. Dans un élan embarrassé, il salue Eva et s'éloigne à reculons.
« Il faut vraiment que j'y aille!
-Je voulais te prévenir tout à l'heure.
-Que vas-tu faire de ton côté ?
-Je n'ai pas de cours ni d'entraînement ce matin, je pense que je vais rester là encore un peu. Mais ne t'inquiète pas, ça va aller. J'ai aussi besoin de me remettre de cette nuit.
-Je comprends, c'était une nuit très étrange. D'ailleurs, je ne t'ai pas raconté, j'ai vu un débris passer très près de nous hier soir, un peu après que l'alarme se soit déclenchée. C'était fou ! J'ai halluciné, j'ai cru que c'était un vaisseau spatial, explique Matthew.
-Quoi ?»
Tout à coup, les traits d'Eva se raidissent à nouveau.
« Oui, j'ai cru voir filer dans le ciel un cockpit de vaisseau en feu. Il y avait des sortes de colonnes sur les flancs, je ne sais pas.... »
Un retour de tension dans l'air. Subitement, l'éclairci qu'il a entrevu s'affaiblit. Les yeux noisettes qui le fixent s'emplissent de terreur. Une seconde, le visage d'Eva se crispe dans une expression effarée, comme s'il venait de raconter la plus terrible des anecdotes. Un frisson parcourt Matthew. Il ne comprend pas sa réaction face à ce qu'il ne voulait être qu'une simple histoire amusante.
« Eva, tu es sûre que ça va, l'interroge-t-il ? Tu as l'air d'un coup...»
Un masque souriant se reforme aussitôt pour esquiver cet égarement. Je crois que j'ai touché quelque chose.
« C'était bien un satellite, demande-t-il la mine innocente ? »
La femme, nerveuse, lui répond après un flottement.
« Tu as entendu le briefing.
-J'ai une imagination débordante.
-Comme toujours ! Allez, va-t-en ! »
Avant de se retourner, il jette un dernier regard sur la femme. Il a espéré l'avoir sortie de la tempête un instant, mais son allusion à l'incident d'hier l'a ramenée dans son errance. Elle se remet à avancer comme un fantôme sur les chemins qui bordent les champs. Que s'est-il passé cette nuit ? Qu'est-ce qui l'a mis dans cet état ?...
Le temps s'arrête.
Qu'est-ce qui t'as mis dans cet état cette nuit-là ? Je me suis douté que tu n'allais plus jamais m'en parler.... Mais je crois que c'est à partir de ce moment que tu n'as plus été la même. Ta tristesse est devenue de plus en plus lourde. Je l'ai sentie dans tes yeux grandir d'année en année. Je pensais que me voir réussir les épreuves était ce qui pouvait te faire sourire.Et ça a marché, tu m'as toujours dit que tu étais fière. Et moi, j'étais fier de faire rayonner ton visage. Mais ce n'était pas assez. Ce n'était pas lié à moi. Je ne pouvais rien faire de plus. J'ai oublié avec le temps le jour précis où cela a démarré en toi. C'était donc après cette fameuse pluie de débris....
Maintenant, je sais. Si cette nuit-là t'a changé, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une collision accidentelle de satellites. La version officielle cachait quelque chose, et ce quelque chose t'a rongé en silence. Ta réaction quand je t'ai parlé de ce que j'avais vu.... Je n'avais pas halluciné sur cette boule de feu. C'était bien un vaisseau. Et tu as eu peur parce que j'ai vu la vérité.
Je me souviens très nettement de l'image de cet appareil en train de s'écraser. Je revois la forme de son cockpit, de son blindage, et ses colonnes sur les côtés... Je suis certain que j'avais déjà vu ça dans les archives.... Hé mais, si je suis dans mes souvenirs, peut-être que je peux le retrouver ? Si je me concentre ?... Concentre.... Allez !
La lumière se matérialise face à lui. Encore toi ! Cette fois ça suffit, j'en ai assez d'être transporté comme ça d'un souvenir à un autre ! Ramène moi dans la réalité ! Je sais très bien ce que tu es ! Tu es la sphère qui m'a attiré. Mon corps est endormi dans la base Aloe, et là tu joues avec mon cerveau. Qu'est-ce que tu cherches à faire exactement ? Laisse-moi me réveiller, quoi que tu sois !
Matthew se jette sur la source. Du même temps, les champs agricoles, les bâtiments et le ciel orange se fissurent comme du verre, sombrant dans l'abysse. Une tornade puissante les engloutit. Un véritable réseau d'arcs électriques danse autour d'eux. Des faisceaux de plus en plus nombreux le pénètrent, des signaux de ses neurones. La matière, la vraie, reprend peu à peu sa substance. Sa respiration, la ventilation de la base Aloe, l'air froid et ses vêtements, son corps, il reprendra bientôt conscience. En sondant le centre de la lueur, l'explorateur attrape un orbe entre ses mains. Je te tiens ! Maintenant, fais moi sortir d'ici !
Soudain, la tornade se transforme en siphon inversé. Matthew est aspiré vers le haut, la sphère l'entraîne avec lui.
Un blanc. Il revient à la vie emmailloté dans un lit de coton.
Où suis-je maintenant ? Je peux à peine bouger… J’ai du mal à me concentrer.
Des visages se penchent vers lui par flash. Des hommes, des femmes, jeunes, vieux, ils se confondent. Des larmes, il crie. Un liquide chaud descend dans sa gorge. Une fenêtre le surplombe. De la verdure, des maisons, de l’eau. Des gens courent dans des champs. D’autres conduisent des tracteurs. Un village s’anime sous un ciel morne.
Je connais cet endroit. J’ai vécu tout ça… C’est en moi…. Plus loin, beaucoup plus loin...
Un objet déchire le ciel. Une véritable armada perce les nuages. Les bois craquent, la terre tremble.
Qu’est-ce qu’il se passe ? On dirait une flotte.
Il distingue d'énormes appareils blindés, il en arrive des centaines. Leurs allures menaçantes effraient la population en dessous. Sur leurs flancs, des colonnes crachent des ogives de métal.
Par tous les astres ! Ce sont les mêmes vaisseaux que celui que j'ai vu s'écraser ! Ce n'était pas à cause un article des archives cette impression de déjà vue.... Ces excroissances, ce sont des lance-projectiles. Ce n'était pas un satellite cette nuit-là, c'était un croiseur de combat !
Puis, la même histoire que dans ses visions précédentes se rejoue en boucle. Les cris d’horreur, la panique.
Non ! Mais que font-ils ? Pourquoi attaquent-ils ? Ils tirent sur le village !
Une vieille femme triste l’emporte contre sa poitrine, encore elle. Il saurait réciter son portrait comme une poésie maintenant.
Tu as existé, j’en suis sûr.
Sa vitalité s’épuise. Elle ne respire presque plus. Son visage tiraillé essaie tant bien que mal de sourire pour lui.
Je te connais. Tu m’as tenu dans tes bras.
Elle lui parle dans une langue inconnue. La fumée rouge l’avale comme à chaque fois. Elle s’insurge dans les maisons et les gens. Sa dépouille se liquéfie. D’autres mains le sauvent. Un homme en combinaison.
Je n’avais jamais vu tout ces détails avant.
Des bourdonnements de vaisseau. Matthew pleure toute l’eau de ses yeux. Des machines le blessent encore et encore. Il souffre dans le noir. Des seringues le transpercent, des fluides s’écoulent de force dans son estomac. On décortique son crâne. Son souffle s’apprête à se rompre.
Ça m’est arrivé…. Je m’en souviens… J’avais si peur…
Son cœur se remet à battre. A travers une vitre, une jeune fille lui sourit. Une adolescente, la peau pâle, une chevelure noire, des yeux noisette.
Eva… Est-ce que c’est toi ? Quand est-ce arrivé ? Tu étais si jeune !
La vision se désagrège.
Non ! Attends !
D’autres scènes aléatoires de sa vie se matérialisent en accéléré. L’homme les franchit comme un acteur jouant son propre rôle. Chaque épreuve de son entraînement couvre son corps de douleurs. Il se surpasse physiquement, soulève des poids, court à n’en plus respirer, supporte des gravités artificielles écrasantes, des ouragans, le manque d’oxygène, l’apesanteur, les vaisseaux, le stress, la peur de la mort, la solitude. Il réfléchit à des milliers de calculs en même temps, s’endort avec la migraine, ne rêve que d’encore plus de problèmes, encore plus de travail. Sa volonté le brûle. Son obsession de réussir, d’être le héros. Matthew combat pour un nouvel espoir, incarner un nouveau modèle pour l’Humanité. Il veut être à la hauteur de ce qu’Eva a vu en lui. Il s’en rend malade. Son sang coule, il vomit tellement de fois. Puis, SysMeg lui tend les bras. Il rencontre Litz, embarque dans le Darwin. La plus grande délivrance. Son bonheur irradie comme mille supernovas. Il paie le prix de son enfer, son ticket pour l’Histoire.
STOP !
Le réveil de la cryogénie, l'exode dans le système Meg, l'espace glacial, Meg 15, la planète bleue, l'île, l'océan, les megiens, la sphère...
J'AI DIT STOP !
Puis, plus rien. Enfin le calme. Matthew ouvre les yeux effondré contre une table. Les murs assemblés en panneaux métalliques de la base Aloe reflètent l'éclairage automatique de la pièce. Il ne sent presque plus ses fesses, des courbatures lui tiraillent les bras et le dos à force de garder une position inconfortable sur sa chaise. Il examine ses membres, son visage, les meubles, les écrans d'ordinateur. Il contrôle ses mouvements, s'étire, se relève et marche. Dans la section d'à côté, il retrouve son laboratoire, les échantillons d'organismes megiens, ses plantes. L'air sans odeur du recycleur et le souffle de la ventilation lui rapportent des perceptions familières. Le voilà de retour sur Meg 15, dans le vrai monde. Son soulagement éclate en un rire de délivrance.
« Je suis revenu... C'est fini ! C'est fini.... »
Une minute lui suffit pour remettre ses idées bien en place. Il se rappelle avoir succombé à l'ennui et s'être laissé sombrer dans le sommeil. Mais aussi actif que celui-ci lui a semblé, un sentiment étrange de paix embaume son corps, comme après une longue nuit réparatrice. Plus une douleur, pas de fatigue, il pourrait sortir courir l'île toute entière sans s'essouffler. Devrait-il s'en inquiéter ? Impossible, une telle sérénité inhibe tout songe.
« Je me sens si bien.... Litz ? Au rapport s'il te plaît. Litz ?»
Pas de réponse de l'intelligence artificielle. Matthew essaie de démarrer un ordinateur, son allimentation se coupe.
« Oh... ça recommence...»
Les éclairages et le recycleur d'air s'éteignent à leur tour. Aloe s'immerge subitement dans la léthargie. Seule une lumière subsiste près du plafond au-dessus de la table où il s'est assoupi. En levant la tête, Matthew remarque la sphère lévitante en suspension comme une petite luciole. Comment a-t-elle pu s'extirper de son caisson d'isolement ? Quoi qu'il en soit, son instinct ne l'a pas trompé, il devait rester avec elle. L'explorateur ne la craint plus, sa voix intérieure lui assure son absence d'hostilité. Elle cherche juste à communiquer, et n'en a pas terminé avec lui.
La chose se déporte jusqu'à la paroi du sas d'entrée, fond à l'intérieur avant de disparaître. Comme doté d'une boussole interne, Matthew décèle toujours sa position. Elle patiente de l'autre côté de la cloison. Un message étrange pénètre son esprit. Je dois la suivre.
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