3.
Après avoir frôlé l'oeuvre suivante de mes doigts, l'effet fut le même qu'avec la première. Aspiration et naissance de ma personne dans un décor, une scène.
Il y avait là quelque chose de particulier qui me caressait les narines. Un parfum de rose traînait dans l'air, mélangé à une odeur de thé à la menthe. Mes yeux commencèrent à distinguer de la couleur. Du rouge , à ma droite, on aurait dit un rideau, un sol grisâtre sous mes pieds. Cette pièce me semblait féminine. Au fur et à mesure que je recouvrais la vue, j'ai remarqué un lit, deux places, recouvert d'une couverture qui unifiait les deux premières couleurs qui m'avait frappées, très simple. C'était donc une chambre. Une petite table de chevet au design moderne hébergeait, sur elle, deux livres qui m'avait l'air d'y dormir depuis des lustres. Un peu à gauche du lit, une porte, derrière laquelle j'entendais quelqu'un monter des escaliers. Soudain, une sonnerie de téléphone portable, et la personne accéléra ses pas pour répondre au plus vite.
J'ai eu un mouvement d'effroi, je me suis senti comme un voleur. Pourquoi j'étais là ? Mon coeur voulait me mettre dans l'embarras. La porte s'est ouverte, brusquement. La voilà, c'était encore la belle jeune femme des dessins. J'ai su alors d'où venait l'odeur de thé à la menthe, elle en avait une belle tasse pleine dans la main. Sourire aux lèvres, elle décrocha, sans même vérifier le numéro. Étrangement, elle n'avait pas réagi à ma présence. J'avais capté cette scène, j'y étais en tant qu'observateur, non pas en tant qu'acteur, à contrario de la première. Pour elle je n'étais qu'un fantôme, inexistant. Et quoi ? Une voix me chatouilla l'oreille droite, et tout le son autour avait disparu.
- Tu sais qui est au téléphone avec elle ?
C'était le fou, l'artiste. J'observais pour essayer de comprendre.
- Euh, ben, non, je ne sais pas... Je devrais ?
- Mais quel imbécile ! C'est toi ! Tu l'as eu son numéro ! Ce que je veux que tu voies, surtout c'est à quel point elle a hâte de savoir où tu comptes l'emmener pour votre "premier rendez-vous".
- Oh, pardonne-moi de ne pas avoir ton intuition, pour tout deviner avant tout le monde. Laisse-moi le temps de m'y habituer, rétorquais-je ! Tu sais très bien que je n'ai plus l'habitude de penser à ce qu'une femme peut se dire, ni à pourquoi elle ne sourit, ni à pourquoi elle ne pleure. Cela fait des mois, des années que je m'en fous. Si je pouvais entendre ce qu'elle dit au téléphone, ça me faciliterait la tâche déjà !
J'étais très réactif, comme en colère. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi, mais c'était ainsi.
- Tu n'as pas à l'entendre dans l'immédiat. En premier lieu, la ressens-tu ?
Comment aurais-je pu la ressentir, déjà ? Certes, elle était belle, merveilleuse comme je l'ai dit, mais je ne la connaissais pas encore et au fond, dans l'immédiat je n'avais pas envie de la connaître. Comme à mon habitude, si ça ne tenait pas qu'à mon coeur, je n'en aurais fait qu'à ma tête. Avec son corps de rêve, le seul endroit où j'aurais aimé la ressentir, c'est dans mon pieu. Les premiers instants d'une histoire d'amour d'accord, mais je ne suis pas mon coeur, moi. Elle n'a rien de spécial au final...
Mon coeur m’a immédiatement interrompu dans ma réflexion, il s'est montré radical en haussant le ton :
- Rien de spécial, dis-tu ? Voilà ce qui t'a toujours perdu dans tes relations ! Tu as toujours voulu quelqu'un de spécial, tout de suite, maintenant ! Tu ne prends jamais le temps... mais tu veux prendre ton pied !
Je me suis senti brûlé de l'intérieur, juste là où le coeur devrait-être chez tout être humain lambda, dans la poitrine. Tordu dans la douleur, j'ai dû me mettre à genoux. La souffrance s'est ensuite teintée d'une chaleur douce et agréable. C'était une petite pique, qui devenait caresse. Le coeur avait parlé. C'était bel et bien l'attitude de ce passionné de sentiments. Un coup il est doux, un coup il est brutal et inversement. Dur de le saisir...
Un battement de cils, et j'étais de retour dans la prison du taré. Ce bon vieux taré... Que me réservait-il encore ?
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