Elle eut à peine le temps d'amorcer une dizaine de pas qu'une bouffée d'odeur lui envahit le nez, occultant le reste de ses sens.
Les fragrances étaient capiteuses, elles lui montaient à la tête. Individuellement, Noémie n'avait aucun doute quant à la qualité de ces parfums, mais le bouquet combiné était vraiment trop pour elle.
Elle toussa une fois, deux fois, remonta le col de son vêtement sur son nez.
Qui a idée de mélanger les odeurs comme ça ?
La réponse lui vint lorsque autres sens se réveillèrent.
Devant elle s'étalait une immense route, bordée d'étals bigarrés. Et allez que ça criait, que ça s'apostrophait, que ça négociait, que ça vantait la qualité de ses produits... Une cohue sans-nom se déroulait devant elle, une foule fiévreuse qui déambulait à tout va sans jamais s'arrêter.
A-Teint était un marché.
Et pas n'importe quel marché, songea Noémie en s'engouffrant dans l'essaim. L'endroit était... immense.
Où que la jeune femme ne tourne la tête, elle ne voyait que le souk qui s'étendait jusqu'à l'horizon.
- Eh, mam'zelle ! ça vous intéresserait pas, d'connaît' un peu la saveur du bonheur, rien qu'une fois dans vot' vie ?
Noémie tourna la tête. Un petit homme grotesque l'observait avec intérêt, gesticulant dans sa direction. Il n'était pas un Monochrome, mais pas tout à fait en couleurs non plus. Seul deux nuances les bariolaient, lui et son costume : un camaïeu de vert et de violet, qui lui donnait l'allure d'un bouffon. Voyant qu'il avait capté l'attention de sa future potentielle cliente, il renouvella d'ardeur et remua avec encore plus de conviction.
Elle s'approcha.
L'homme lui tendit un petit coffret d'ivoire, remplie d'une étrange poudre vermeille.
- Allez-y, essayez ! lui enjoignit-il avec enthousiasme.
- Qu'est-ce que c'est ? s'enquit Noémie en récupérant le boîtier, plus méfiante.
- La solution à tous vos problèmes, mam'zelle, voilà c'que c'est !
Elle le dévisagea, perplexe.
- Comment vous pouvez savoir mes problèmes ? On ne se connaît pas, à ce que je sâche !
Il balaya la question d'un revers de la main.
- Tout l'monde a les mêmes, ma p'tite. Vous comprendrez ça avec l'âge... En attendant, essayez ! Vous allez voir, ça va changer vot' vie!
Trop tard pour ça.
- Qu'est-ce que je dois faire ?
- C'est pas bin compliqué, j'vous montre.
Le marchand se pencha par-dessus son étal, et souffla délicatement à l'intérieur du coffret, enveloppant le visage de Noémie dans un nuage de poudre.
Après deux-trois toux et un étouffement en bonne et dûe forme, celle-ci se tourna autour d'elle, en quête du miracle promis.
- ça ne fait rien, constata-t-elle en se retournant vers le commerçant.
- Comment ça, rien ? s'étrangla l'homme. Vous ne voyez vraiment rien de différent ?
Haussement d'épaules.
- Non, rien. Enfin, je vois toujours les mêmes couleurs, quoi.
Elle était un peu déçue. Elle aurait bien aimé que cette poudre fasse tout revenir à la normale, ou résolve tous ses problèmes. Qu'elle prenne la place du Prisme, en somme.
Joli, gentil prisme... très pratique pour épater le voisinage et s'attirer à ses trousses un cinglé en puissance, et après, quoi ?
Un mouvement dans le coin de son oeil - enfin, de son champs vision - attira son attention. Un éclair de fourrure rouge, qui disparut dans la seconde.
De la fourrure ? Rouge ?
"Quand tu trouveras le cerf rouge, laisse-le te guider..."
Son sang ne fit qu'un tour. Aussitôt, elle se mit à courir, à la poursuite de ce qu'elle espérait être son guide, fendant l'attroupement en deux. C'est tout juste si elle entendit le marchand s'écrier :