Interrogatoire

8 minutes de lecture

Quand il revint à lui, la première chose qu'il ressentit fut une terrible douleur à l'arrière du crâne. Sa tête bourdonnait tellement qu'il resta incapable de quoi que ce soit pendant un moment. Peu à peu, la douleur devint plus sourde et presque supportable.

C'est alors qu'il entendit des voix près de lui. Il essaya de bouger, mais dut y renoncer quand il réalisa qu'il était solidement ficelé.

« Philippe, » appela-t-il faiblement.

Aussitôt, les voix se turent. Il appela à nouveau, un peu plus fort cette fois, espérant que son frère lui répondrait et le sortirait de ce cauchemar. Mais cet espoir était vain. Il entendit quelqu'un se lever et s'approcher pour s'arrêter juste à côté de lui, si près qu'il pouvait sentir sa présence, mais il ne pouvait rien voir car on lui avait bandé les yeux.

Retenant son souffle, il attendit la suite. L'autre parla un peu et se tut, attendant manifestement une réponse, mais n'en eut aucune car le jeune homme n'avait rien compris. Ce dernier reçut alors un coup à l'estomac qui le fit se recroqueviller sous la douleur. Le temps qu'il reprenne son souffre, l'homme avait reposé sa question d'un ton impatient :

« Qui es-tu ? »

Cette fois il avait compris, il ne savait pas comment, alors que les mots étaient les mêmes qu'avant, prononcés dans une langue qu'il n'avait jamais entendue, il en était certain. Mais il se ressaisit aussitôt et s'empressa de répondre, de peur de recevoir un nouveau coup :

« Fr... »

Mais le reste ne venait pas. La terreur lui nouait l'estomac et bloquait les sons dans sa gorge. Il respira un bon coup et se força à parler :

« Frrré... dd... Frédér... ric, » parvint-il enfin à sortir d'une voix tremblante.

« Frédric, » répéta l'autre. « Un nom étrange, il ne doit pas être d'ici, » ajouta-t-il en s'adressant à quelqu'un d'autre.

Le jeune homme, pétrifié par la peur, l'entendit s’asseoir ou s'accroupir tout à côté de lui. Sa voix était plus proche quand il lui demanda :

« Eh bien, Frédric, tu vas me dire où se cache ton complice. »

« Qu... qui ? »

C'est à peine s'il se rendit compte qu'il avait parlé dans la langue inconnue de son interlocuteur, tant il était terrifié. Mais, insatisfait de cette réponse, l'homme s'approcha encore de lui pour lui souffler à la figure :

« Ne fais pas l'innocent, nous t'avons entendu l'appeler plusieurs fois, d'abord à l'entrée de la grotte, puis encore ici. Inutile de nier. »

« Philippe, » avoua-t-il d'une voix cassée. « C'est... c'est mon frère. »

« Phlip, c'est ça. Alors, où est-il ? »

« Je... je ne sais pas. »

Il ne mentait pas, mais il se doutait que cette réponse n'était pas celle qu'on attendait de lui. Ce qui se confirma aussitôt. L'homme lui agrippa les cheveux et lui tira violemment la tête en arrière, lui arrachant un cri de douleur.

« Tu mens ! »

Le souffle court, il ne trouvait rien à répondre. L'autre tira alors de plus belle, ce qui le fit gémir. Désespéré, il répliqua :

« Je ne sais même pas où je suis ! »

Il avait presque hurlé ces paroles, n'en pouvant plus. Il tremblait comme une feuille et sa tête commençait à tourner. De tous les pores de sa peau suintait la peur, une peur telle qu'il n'en avait jamais connue.

Son tortionnaire dut le sentir car il le relâcha, lui laissant quelque répit. Dans le silence qui suivit, face contre terre, il ne pouvait entendre que son halètement, son cœur affolé cognant dans sa poitrine. Un mouvement de l'homme à côté de lui le fit sursauter.

« Parle, et tâche d'être convainquant. »

L'homme s'était baissé pour lui parler. Son ton menaçant ne fit rien pour l'aider à retrouver son calme. Frédéric était prêt à dire tout ce que l'autre voulait dès qu'il réussirait à aligner plus de deux mots sans bégayer. Il inspira profondément avant de commencer à raconter du mieux qu'il pouvait le peu qu'il savait. Sa visite d'une vieille maison avec son frère. Comment il s'était senti mal alors qu'il était seul dans le grenier, puis l'instant d'après s'était retrouvé debout, en pleine campagne, au milieu d'un orage.

« J'ai couru pour me mettre à l'abri et je suis arrivé à la falaise... »

« Comme par hasard ! »

L'interruption le déstabilisa. Il commençait à paniquer, mais continua avec empressement son récit :

« Je l'avais aperçue de loin... Je ne savais pas où j'étais... J'ai finalement trouvé refuge dans une grotte... »

« Encore un heureux hasard : justement NOTRE grotte ! »

« Je... je n'ai pas fait exprès. Je... j'ai pris la première grotte que j'ai vue... Je vous le jure ! »

Il sentit la terreur l'envahir. C'était fichu. Cette histoire abracadabrante ne tenait pas la route, même si c'était la vérité telle qu'il la connaissait. Il se raidit en attendant les représailles, mais quelqu'un d'autre intervint :

« Attends, calme-toi. Tu vois bien qu'il est mort de trouille, ce gamin. C'est peut-être pas complètement faux ce qu'il raconte. »

Un silence tendu figeait l'atmosphère. Frédéric retenait son souffle. Il n'osait pas bouger de peur d'attirer l'attention de l'homme à côté de lui.

« D'accord, j'te le laisse, si t'as une meilleure idée pour lui tirer les vers du nez. »

Il respira à nouveau quand l'homme se leva pour laisser sa place à l'autre. Mais son angoisse le reprit quand il le sentit s'installer tout contre lui.

« Frédric, hein, c'est ça ? »

Il acquiesça, n'osant pas rectifier son nom.

« Dis voir, l'ami, y'a comme un trou dans ton histoire... Comment ça se fait que d'une maison tu te retrouves tout d'un coup au milieu de nulle part ? »

La question, posée calmement d'une voix traînante, le terrifiait. Il n'avait pas de réponse à y donner.

« Alors ? »

« Je... je sais pas. Je ne comprends pas ce qui m'arrive... »

« Quoi, on t'a jeté un sort ?... Une femme, peut-être ? »

Il entendit plusieurs hommes, un peu plus loin, s’esclaffer à cette suggestion. Un autre ricanait. Mais lui n'avait pas le cœur à rire. Il avait beau réfléchir, impossible de trouver une explication. Ça ne pouvait pas être un coup de son frère, ce n'était pas son genre de blague, et il n'imaginait pas non plus Joëlle impliquée dans tout ça. Il essayait de se remémorer chaque pas qu'il avait fait avant de se retrouver sous la pluie, mais il ne se voyait pas quittant la maison. C'est à ce moment qu'il repensa à l'anneau.

« J'ai trouvé une bague, » dit-il brusquement.

A leur silence, il comprit qu'il avait toute leur attention. Encouragé, il continua :

« C'était dans la maison. Je l'ai ramassée et je l'ai passée à mon doigt... Je crois... C'est là que tout a commencé... »

C'était insensé. Il était en train de leur suggérer qu'une simple bague était à l'origine de tout. Cette histoire-là était encore plus folle que la première. Il était sûr que le deuxième homme allait s'énerver à son tour et le frapper. Mais au lieu de ça, l'homme à la voix traînante lui demanda calmement :

« Une bague ? Étrange... Et pourquoi l'avoir enfilée ? »

« Je ne sais pas. Je crois... que c'était plus fort que moi, je n'ai pas pu m'empêcher... »

Il déglutit avec effort en se souvenant de la scène : il n'avait jamais voulu ramasser l'anneau, et encore moins l'enfiler.

« Tu l'as toujours ? »

« Je crois, oui... Je n'y ai pas touché depuis. »

C'était vrai : dans sa précipitation, il l'avait complètement oublié. Il entendit les autres s'approcher, sans doute intéressés eux aussi, tandis que l'homme se penchait pour regarder derrière son dos. Il y découvrit certainement l'anneau car il poussa une exclamation en s'écartant brusquement.

Inquiet, Frédéric les entendait discuter à l'écart, mais ils ne parlaient pas assez fort pour qu'il puisse saisir ce qu'ils disaient, à part quelques bribes qu'il aurait préféré ne pas entendre.

« ... faut s'en débarrasser... »

« ... qu'à le tuer, ça lui rendra service ! »

Il reconnut la voix du premier homme qui l'avait interrogé, celui-ci ayant sans doute parlé plus fort à dessein. Il ne pouvait pas entendre la réaction des autres, aussi commença-t-il à imaginer toutes sortes de façons de se faire tuer. Il se demanda de quoi ils étaient armés... armes à feu ou armes blanches ? Une balle dans le cœur ou dans la tête, et ce serait vite réglé. Mais s'ils décidaient de le torturer avant, ce serait plus probablement avec un couteau... ce qui lui amena la vision d'une lame fouraillant dans ses entrailles qu'il ne parvint pas à chasser complètement. La noyade, sinon. Une pierre attachée à son cou, ils le balancent au milieu d'un lac, comme ça ils se débarrassent du corps au passage. Il espérait seulement qu'il serait déjà mort à ce moment-là, l'idée de mourir noyé...

Plongé qu'il était dans ses lugubres pensées, il n'avait pas remarqué tout de suite qu'ils avaient cessé de parler et étaient retournés vaquer à leurs occupations, sans plus s'occuper de lui. Il ne connaissait pas le verdict, mais ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre, avec pour seule compagnie les idées sombres qui continuaient à lui torturer l'esprit.

Un peu plus tard, il entendit quelqu'un s'approcher et se raidit.

« Tiens, mange. »

On venait de mettre sous son nez quelque chose qui avait une odeur de volaille rôtie. Il n'était pas sûr d'avoir faim, avec le nœud qui lui serrait l'estomac. La première bouchée eut un peu de mal à passer, mais il se força à continuer, malgré sa position inconfortable, tant que l'autre lui présentait le morceau. Puis l'homme le redressa un peu pour lui proposer à boire.

« Bois ça, c'est du vin. »

Si ce qu'il avait sous le nez était du vin, alors ils ne devaient pas fréquenter les mêmes caves. Des effluves acres lui agressèrent les narines et lui piquèrent les yeux, mais n'osa pas refuser. Il ne put retenir une grimace en buvant une gorgée. Cette piquette était pire au goût qu'à l'odeur.

« Vas-y, bois tout, faut pas gâcher. »

Il n'eut pas d'autre choix que boire le reste, réprimant un haut-le-cœur, en espérant que l'acre liquide ne lui ferait pas de trous dans l'estomac. Et quelques secondes plus tard sa tête commença à tourner. Ce qui était étrange car il tenait assez bien l'alcool habituellement.

« Je me sens... bizarre... »

Sa voix aussi lui parut bizarre, elle semblait résonner dans sa tête comme dans un tunnel. Alors que l'autre le reposait au sol et qu'il sentait son corps s'engourdir peu à peu, il prit conscience qu'il n'avait pas envisagé cette éventualité : le poison. Dans un sursaut de panique, il voulut protester, se rebeller, mais il pouvait à peine bouger et le cri qu'il tenta de pousser ne sortit que comme un pitoyable gémissement.

« Calme toi, p'tit, laisse toi aller. »

Il sentit une main sur son épaule en même temps que ces paroles prononcées d'une voix lente l'enveloppaient, l'apaisaient. Il cessa de lutter, son angoisse s'estompant peu à peu, oubliée.

« Laisse toi aller. »

La voix semblait si lointaine maintenant. Il ne sentait plus la main... ni son propre corps. Il se sentait disparaître... dans le néant.


Annotations

Vous aimez lire bigsissy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0