La porte s'ouvre
Il fut réveillé au petit jour quand les gardes vinrent rechercher le cinglé d'à côté. Il regarda partir ce bonhomme décrépi qui se laissa emmener en marmonnant et gémissant tout à la fois. Il était pathétique. Frédéric se demanda s'il avait fait une pause pour dormir, mais décida qu'il avait probablement continué à délirer tout en dormant. Il ne savait pas ce qu'ils allaient faire de lui, mais il était en tout cas enfin débarrassé de ce pénible voisin.
Il se livra à ses exercices matinaux, impatient de se poster à la lucarne. Quand il fut assez réchauffé, il se plaça sous la lucarne et sauta. Il commençait à tirer sur ses bras, quand le bruit de la porte le surprit et lui fit lâcher prise. Il se retrouva le cul par terre, mais ne s'attarda pas sur ce qu'il s'était cogné en tombant et se releva aussitôt, le cœur battant.
Trois gardes s'arrêtèrent devant sa cellule et l'un d'eux commença à déverrouiller la porte. Frédéric s'était avancé mais s'était arrêté à quelques pas des barreaux, incertain.
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-il au moment où la porte s'ouvrait.
« Sors de là, dépêche-toi ! » fit celui qui venait d'ouvrir.
« Est-ce que vous me laisser partir ? » insista le jeune homme, que l'attitude des gardes inquiétait d'autant plus.
« Non, le capitaine veut te voir. Assez discuté, sors ! »
Comme il s'exécutait avec réticence, un garde l'attrapa par le bras pour le faire sortir plus vite, puis, coincé entre deux gardes, le troisième ouvrant la marche, il n'eut d'autre choix que de les suivre.
La façon dont on était venu le tirer de sa cellule le perturbait. En plus, peu de temps après que l'autre ait été emmené...
« Qu'est devenu l'autre prisonnier ? » demanda-t-il soudain.
« Il se balance au bout d'une corde, voilà ce qu'il est devenu, » répondit nonchalamment l'un des gardes.
« Bon débarras ! » ajouta un autre.
Il en était estomaqué. Au point qu'il en oublia de marcher, ce qui lui valut une brusque poussée dans le dos qui manqua de le faire tomber. Il s'aperçut alors qu'ils étaient à l'extérieur. Enfin pas tout à fait. C'était une sorte de cour entourée de hautes murailles de pierre, comme on pouvait en voir autour des anciens châteaux médiévaux, mais il n'eut guère le temps d'en voir plus avant qu'ils n'arrivent devant un autre bâtiment.
Ils entrèrent pour se présenter devant un homme tête penchée, occupé à inspecter ce qui pouvait être un harnais en cuir. Frédéric le reconnu quand il releva la tête.
« Capitaine, » salua le garde entré en premier. « Voilà le prisonnier. »
Le capitaine regarda brièvement le jeune homme avant de faire signe aux gardes de sortir, les laissant seuls. Frédéric subissait en silence le regard scrutateur qui s'était à nouveau posé sur lui. Un regard qu'il ne parvenait pas à déchiffrer. Pourquoi l'avait-il fait venir ? Mais il se garda bien de poser à haute voix une question dont il risquait de ne pas aimer la réponse. Il était plus prudent de se taire, même si ce silence commençait à lui être pesant.
« Tu as eu tout le temps de réfléchir, maintenant, » dit soudain le capitaine. « Ce séjour au cachot ne t'a-t-il pas inspiré une meilleure histoire ? »
Une question d'apparence anodine qui lui parut cacher une menace. Mais comment y répondre autrement que par ce qui avait déjà fâché le roi ? S'il avait pu trouver un mensonge qui puisse le tirer de là, il n'aurait pas hésité à le servir, car la vérité était dans son cas une bien pauvre défense.
« J'ai dit tout ce que je sais, » finit-il par répondre, la mine désespérée. « Je n'ai rien fait, vous devez me croire, je ne comprends rien à tout ça. »
L'autre n'était visiblement pas convaincu, mais il pouvait difficilement l'en blâmer. Il aurait ri de cette histoire extravagante s'il n'en était pas la victime. N'ayant rien à dire de plus, il attendit le verdict avec une angoisse grandissante. Qu'allaient-ils faire de lui ? Quel genre de torture allaient-ils lui faire subir pour lui faire dire ce qu'il ne savait pas ? Son imagination nourrie de films l'assaillit d'images devenues insupportables au vu de sa situation désespérée.
Il sursauta quand le capitaine se leva brusquement pour s'avancer vers lui. Son visage buriné était maintenant si proche qu'il aurait pu en voir chaque détail, mais le regard perçant captait son attention. Mal à l'aise, il finit par baisser les yeux et remarqua alors la main posée sur le pommeau de l'épée.
« Il y a des moyens pour te rendre plus loquace. »
Il releva aussitôt les yeux à ces paroles et se força à soutenir le regard dur du soldat pour répondre.
« Je... je suis sûr que vous pourriez me faire dire ce que vous voulez... mais ce ne serait pas la vérité... parce que je ne sais rien. »
Le capitaine le fixa un moment.
« Peut-être, » finit-il par répondre. « J'aurais aimé m'en assurer, mais notre Roi en a décidé autrement. Tu es libre de partir. »
Le jeune homme mit un moment à réaliser ce que cela signifiait. Après les menaces qui avaient précédé, il n'était pas sûr d'avoir bien compris.
« Tu t'en tires à bon compte cette fois, mais je vais t'avoir à l’œil. Tu n'as pas intérêt à remettre les pieds dans l'enceinte du château. »
Après cette confirmation, le capitaine se détourna, fit les quelques pas qui le séparaient de la porte et l'ouvrit pour appeler un garde.
« Il est libre, mets-le dehors, » ordonna-t-il avec une pointe d'agacement.
Comme le jeune homme, étonné, n'avait pas encore bougé, il se tourna vers lui pour ajouter sèchement :
« Dehors ! »
Frédéric s'empressa alors d'obéir et sortit à la suite du garde. Il le suivait sans un mot, refusant de se réjouir avant d'être sûr qu'on le laissait vraiment partir.
Il ne put retenir une bouffée d'espoir en voyant s'approcher la sortie. Son guide s'arrêta juste avant, se retourna et lui fit signe de passer. Le jeune homme n'hésita qu'une demi seconde avant de s'avancer seul sous le portique. Il passa entre deux gardes qui ne firent rien pour l'arrêter – on le laissait vraiment partir !
De l'autre côté de l'enceinte se trouvait une ville, enfin ce qui pouvait passer pour une ville si on n'était pas trop exigeant. Les maisons de pierre et de bois, les pavés irréguliers, sans parler de l'absence totale de tout ce qui faisait le confort d'une ville moderne, tout cela faisait qu'il se sentait totalement déplacé, sans aucun repère.
Alors qu'il regardait autour de lui en quête d'un signe familier, il se retrouva face à une vision morbide. Un corps se balançait au bout d'une corde accrochée à une potence, entouré de quelques curieux semblant admirer ce spectacle macabre, d'autres quittant les lieux sans se presser. En s'approchant un peu, il reconnut le pendu : c'était le fou qui avait été son voisin de cellule.
Il s'en détourna, horrifié, et se dépêcha de quitter la place.
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