Visite surprise
Il était assis adossé à la table, la regardant aller et venir dans la pièce au gré de ses occupations, quand elle se dirigea vers la porte. Comme il se levait en soupirant pour la suivre, elle se retourna.
« Tu n'as pas besoin de me suivre partout où je vais, » fit-elle. « Tu peux rester là, je n'en ai pas pour très longtemps. »
Et elle sortit sans attendre de réponse.
Il resta un moment à regarder la porte close, ne sachant quoi penser de ce soudain départ. Est-ce qu'elle était partie chercher de l'aide pour le faire partir ? Ça n'avait pas de sens, elle avait eu bien d'autres occasions de le faire. Mais si elle avait changé d'avis ? Avait-il fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? Avait-il gaffé sans s'en rendre compte ?
Il s'était mis à tourner en rond en ressassant tout ça, sans parvenir à décider s'il devait vraiment s'inquiéter, ou si elle était juste partie faire quelque chose qui n'avait rien à voir avec lui.
Comme ses réflexions ne le menaient nulle part, il chercha de quoi s'occuper en son absence. Il commença par visiter les lieux. Il n'y avait pas grand chose à voir en fait. D'un côté l'âtre, de l'autre l'escalier menant à l'étage et au milieu une table flanquée de deux tabourets, sur laquelle trônait une lampe à huile. Son regard se porta du sol recouvert de paille, aux murs à nu faits d'un mélange de bois et de torchis construit sur une petite hauteur de pierres. Une construction rudimentaire en somme, sans la moindre fioriture, sans finition.
Il soupira. C'était quand même un peu mieux que le cachot où il avait séjourné. Au moins il était libre de partir. Il alla ensuite jeter un œil à l'étage. Les marches grinçaient sous ses pas, mais il arriva en haut sans encombre, pour se rendre compte qu'il n'y voyait pas grand chose. Il redescendit pour remonter avec la lampe. L'escalier débouchait directement dans une chambre. La seule chambre en fait, car il ne voyait ni porte ni autre ouverture. Il leva les yeux et découvrit la toiture de bois et de tuiles directement au dessus de lui. En fait de chambre, il avait plutôt l'impression d'être dans un grenier. Il en eut soudain un frisson et regarda sa main. Il ferma le poing après quelques secondes et redescendit. Il ne voulait pas voir l'anneau qui le retenait ici. Il essayait de ne plus y penser.
Il retrouva sans grand enthousiasme la pièce sombre du rez-de-chaussée. La seule fenêtre était minuscule et occultée par une toile de jute qui faisait office de rideau. Il l'écarta juste le temps de voir qu'il faisait encore jour dehors, puis le laissa retomber avant que le peu de chaleur de la maison ne s'échappe par cette ouverture sans carreau.
Il remit du bois dans le feu et resta devant le temps de cesser de frissonner. C'était l'une des deux seules sources de lumière dans la pièce, l'autre étant la lampe à huile qu'il avait reposée sur la table en passant. Si cet endroit y ressemblait, il commençait à comprendre pourquoi on disait du moyen âge que ça avait été un âge sombre.
Il reprit la lampe pour refaire un tour de la pièce et regarder plus en détail la structure de cette maison. Il étudiait les murs quand on frappa à la porte. Il fit machinalement quelques pas vers la porte avant de se raviser. Il n'était pas chez lui, peut-être qu'il ferait mieux de ne pas répondre et faire comme s'il n'y avait personne.
Quand les frappements recommencèrent avec plus d'insistance, il réalisa qu'il pouvait difficilement faire comme s'il n'y avait personne après avoir baladé la lampe à l'intérieur. Il la reposa sur la table, se sentant un peu bête, puis se décida à aller ouvrir. Et le regretta dès qu'il se retrouva nez à nez avec le capitaine de la garde.
En quelques instants, celui-ci passa de la surprise à la colère et dégaina aussitôt son épée pour la pointer sur le jeune homme.
« Que fais-tu ici ? Où est-elle ? » vociféra-t-il en s'avançant dans la pièce.
Frédéric reculait, les bras écartés, la gorge nouée par la peur. Il dut s'arrêter quand il butta contre la table et sentit la pointe de l'épée appuyer durement sur son ventre.
« Où est-elle ? » répéta le capitaine, menaçant.
« Elle... elle est sortie, » réussit-il finalement à répondre. « Elle va rentrer bientôt... je crois. »
« Qu'est-ce que tu es venu voler ici ? »
« Rien ! » répondit-il aussitôt, paniqué. « Elle m'a permis de rester, je le jure ! »
« Vraiment ? » rétorqua l'autre d'un air dubitatif. « Dans ce cas elle devrait le confirmer quand elle va rentrer. »
Il le regarda dans les yeux quelques secondes avant d'aboyer :
« Assis ! »
Frédéric se dépêcha de trouver le tabouret à tâtons, ses yeux ne quittant pas l'épée, et se laissa tomber assis. Le capitaine s'éloigna alors juste le temps de refermer la porte, puis se planta à nouveau devant lui. Pendant un moment, il se contenta de le fixer sans rien dire, ses doigts se crispant et se décrispant sur le poignée de l'épée. Quand il se décida à la remettre au fourreau, Frédéric en respira plus librement, mais n'osa pas bouger ni parler pour autant.
« Tu as prétendu ne pas être d'ici, » reprit le capitaine d'un ton plus calme mais encore chargé de menace. « Comment la connais-tu ? Depuis quand ? »
Le jeune homme hésita. Devait-il parler des "visites" de Lya devant les barreaux de sa cellule ? Ne risquait-elle pas des ennuis ?
« Je l'ai rencontrée peu après avoir été libéré, » répondit-il finalement, ce qui restait relativement vrai. « Elle m'a paru être du genre à aider les autres. »
« Je crois plutôt que tu l'as repérée comme une proie facile. Mais n'imagine pas pouvoir abuser d'elle sans que personne ne réagisse. N'importe quel garde viendrait à son aide si elle le demandait. »
Frédéric avait secoué la tête en entendant ces accusations.
« Non, ce n'est pas ça, » dit-il quand il put enfin parler. « Je... »
Il s'interrompit quand la porte s'ouvrit. Surprise, Lya resta sur le pas de la porte à les regarder sans comprendre.
« Capitaine Aresh ? » fit-elle, étonnée.
« Lya, » répondit le capitaine en la saluant d'un hochement de tête.
Elle entra et referma la porte. Elle semblait sincèrement surprise de voir le capitaine ici. Ce n'était donc pas elle qui l'avait fait venir. Ou bien elle était bonne comédienne.
« Lya, on m'a signalé qu'un homme te suivait, et voilà que je trouve cet homme dans ta maison. Tu n'as qu'un mot à dire pour que je le fasse sortir et m'assure qu'il ne t'importune plus. »
Frédéric priait pour qu'elle ne dise pas ce mot. Il ne savait pas encore à quoi s'en tenir avec elle. Se sentait-elle contrainte de l'aider ? Il n'avait pas réussi à la faire assez parler pour savoir ce qu'elle avait dans la tête.
« Non, ça va, » répondit-elle après ce qui avait paru une éternité. « Il m'a aidé à ramener du bois. »
« Sais-tu qu'il sort du cachot ? »
« Oui, il m'a dit qu'il a été libéré ce matin. C'est qu'il est innocent, non ? »
Frédéric était incroyablement soulagé de l'entendre prendre sa défense. Il avait hâte que le capitaine parte avant qu'elle ne change d'avis, mais celui-ci ne semblait pas encore prêt à lever le camp.
« Je n'en suis pas vraiment convaincu, » fit-il contrarié. Puis, se tournant vers le jeune homme, il ajouta : « Il cache quelque chose. »
Mais Frédéric s'abstint de répondre à ça. Quoi qu'il dise, on ne le croyait pas, c'en était frustrant. Il soutint le regard du capitaine, jusqu'à ce que celui-ci se tourne à nouveau vers Lya.
« Si tu as besoin d'aide, tu sais que tu peux toujours compter sur nous. » Comme elle acquiesçait, il continua en posant une main sur son bras : « Teyl était un bon soldat et un homme honnête. N'essaie pas de le remplacer par le premier venu. »
« Non, ne t'inquiète pas. »
Mais son regard triste disait autre chose.
« Hum... Si tu ne veux pas que je m'inquiète, ne manque pas de passer à la garnison demain matin. Je ne t'ai pas vue ce matin, je tiens à t'y voir demain. C'est d'accord ? »
« Oui, c'est promis. »
Il allait sortir, mais s'arrêta devant la porte pour ajouter :
« Ne m'oblige pas à revenir jusqu'ici, hein ? »
« Je passerai, promis. »
Comme il ouvrait la porte, il jeta encore vers Frédéric un regard sévère en le pointant du doigt.
« Toi, tu as intérêt à bien te comporter. Je t'ai à l’œil. »
Puis, il sortit après un dernier regard vers la jeune femme.
Frédéric resta un moment à regarder la porte dans la crainte qu'elle ne s'ouvre à nouveau. Puis il regarda Lya qui vaquait à ses occupations comme si rien ne s'était passé.
« Merci. »
Ce fut tout ce qu'il réussit à dire.
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