Prélir

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Le roi du Trône Veiné de Pourpre abattit son épée sur l’épaule gauche de l’ennemi, un homme trapu originaire de l’Empire, qui s’écroula, presque coupé en deux. Il écarta le corps qui recouvrait le jeune guerrier, lui tendant la main pour le relever. Le combattant se confondit en remerciements et en excuses. Le suzerain lui fit un clin d’œil accompagné d’une bourrade sur le bras. Prélir devait une vie à son seigneur, ce qui était inadmissible à ses yeux. Il chercha son épée et son bouclier alors que la bataille se déplaçait vers l’aile ouest. Le roi et sa fratrie étaient arrivés en renfort alors que tout était perdu. L’attaque des Dragons et de leurs alliés avait pris le royaume par surprise, l’ost royal étant déjà engagé sur les berges de la Mauve contre le puissant dragon Forteresse qui ressemblait plus à une montagne qu’à un être vivant. Prélir remit son casque, partant à la suite de la troupe principale, bien décidé à payer sa dette envers le roi. Il se hâtait, sa course rythmée par les battements affolés de son cœur, engoncé dans une armure qu’il n’avait pas l’habitude de porter, lui, le simple boulanger du château. Il l’avait revêtue, sur les conseils d’un garde, mais le regrettait amèrement, ne pouvant pas bouger convenablement. À travers la visière de son casque, son souffle paniqué résonnant à ses oreilles, il vit la chose la plus incroyable de sa jeune existence : des centaines de dragons plongeaient vers le sol, crachant un mur de feu. Prélir tenta de se protéger derrière son bouclier qui fondit sous l’intense chaleur. Il hurla de douleur quand sa peau s’enflamma à l’intérieur du métal qui était censé le protéger. Rendu fou par la douleur et la perspective d’une mort imminente, Prélir se jeta dans le lac, coula à pic, l’eau envahissant ses poumons. Il était toujours redevable d’une vie envers le roi, sans espoir d’un jour pouvoir la rendre…


Son esprit se réveilla à ce souvenir, comme s’il l’avait vécu inlassablement durant des siècles. Il n’y avait plus de douleur, juste la souffrance de ne pas avoir accompli son devoir. Quand il s’était levé, le lac avait disparu, transformé par le temps en un vaste marais. D’autres morts s’étaient dressés et ensemble, attirés vers un point précis, ils s’étaient soumis à Liotir, le Roi Maudit qui les commandait à travers un artefact ancien. Un jour, cet objet imprégné de magie maléfique fut récupéré par un certain Marl, Duc de la Marche du Sud, qui n’était autre que le descendant du Roi du Trône Veiné de Pourpre. Le boulanger, dans son armure, sut qu’il pourrait enfin payer sa dette.

Il pensait à tout cela, immobile devant la porte de Seltia, la fille de Marl et d’Arstène, quand le duc s’approcha de lui, le toisant, un doigt pointé sur le visage squelettique sous la visière.


— Toi et les tiens, vous n’oubliez pas à qui vous devez de ne pas avoir été consumés par les flammes. Je sais très bien, que ce bras que je pointe vers toi oblige certains des morts qui marchent sur mon territoire à être obéissants… Je sais aussi que ceux d’entre vous qui ont encore une âme, ou une cervelle là, quelque part, vous avez décidé, je ne sais pas pourquoi, de vous lier à moi. Je compte sur vous pour protéger ma famille. Si vous venez à… mourir, n’est pas le mot, enfin, un truc du genre, en défendant les miens, alors vous pourrez déguerpir dans le monde Gris…

D’ordinaire, le cadavre ne bougeait pas quand Marl se prenait à soliloquer avec lui. À la dernière phrase il dégaina son épée, la posa au sol, les deux mains autour de la garde et s’agenouilla, attendant quelque chose. Marl recula, haussant un sourcil.


— Il veut quoi le tas d’os ? En je ne sais combien d’années, il n’a pas bougé d’un pouce sauf pour me suivre et là, il réagit…

— Je crois qu’il veut que… tu le fasses chevalier, affirma Arstène un franc sourire fendant son visage.

Marl, incrédule resta silencieux un court instant. Après avoir dégainé son épée il la posa sur le pommeau de l’arme que tenait fermement l’armure :

— Sers les membres de la famille Nomic avec honneur.

Il rangea son épée. L’armure se releva, reprenant sa place comme si de rien n’était.


Quand Marl perdit l’artefact, Prélir et quelques morts qui avaient eu de leur vivant une âme noble, réussirent à rompre le sort qui les tenait assujettis à la magie noire. Ils décidèrent de suivre Marl, pour servir le Bien, même si leur nouveau maître en avait une étrange conception. L’ancien boulanger s’était petit à petit lié à la jeune Seltia, surtout quand elle était revenue de la capitale. Ils s’étaient entraînés ensemble, sous l’œil attentif de Marl, au maniement de toutes sortes d’armes. Quand venait la nuit, Prélir montait la garde devant la chambre de la jeune princesse. Quand elle faisait un mauvais rêve, il tapait à la porte de Marl pour que le duc fasse son devoir de père. Puis Seltia quitta le château… Prélir en fut extrêmement malheureux, errant comme une âme en peine dans les couloirs. Marl vint le trouver, un jour qu’il contemplait les montagnes à l’horizon.


— Ne sois pas triste mon ami… Je sais à présent qui tu es. Hier, pendant la Nuit Noire, le Voile Gris était particulièrement fin et une âme est venue à moi… C’était un ancien roi du Trône Veiné de Pourpre. Il a dit que Prélir le Boulanger n’avait plus de dette. Que tu étais un héros… Bon, j’espère vieille ferraille, que tu vas tout de même rester avec nous, hein ?

L’armure prit la main de Marl, comme un enfant submergé par l’émotion et acquiesça, lentement, plusieurs fois.


— Bon, fit Marl, c’est bien tout ça, mais on doit y aller. On a une guerre à débuter !

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