Nandel
La mage amarante joua avec ses doigts, son visage poupin illuminé d’un sourire malicieux, empreint d’arrogance, jeté à la face du capitaine en mauvaise posture. Les nombreuses bagues brillèrent sous les rayons du soleil matinal. Elle avait déniché le fameux duc des Mers, le terrible Nandel, le résistant le plus recherché des Territoires, après la comtesse des Rives. Le roi Liotir serait content de voir son cadavre rejoindre sa collection de héros de l’ancien monde. Elle serait récompensée, peut-être même promue au rang d’Exécutrice, comme Kimrah… La magicienne activa le pouvoir de ses bagues, absorbant la puissance qui lui permettrait de terrasser le marin qui venait de mettre son ridicule sabre au clair.
Nandel n’en menait pas large. Foutue malchance. Se retrouver à terre, loin de son équipage, loin de la mer, dans un coin paumé des Territoires, et tomber sur une mage ennemie. Foutue malchance. Il recula, pas après pas, sans quitter l’ennemie des yeux. Il faisait attention car le coin était connu pour ses trous de Démons, des cavités dans les rochers qui plongeaient loin sous la terre. La légende voulait qu’on tombe dans un puit sans fond, pour l’éternité, périssant à petit feu dans une souffrance indescriptible. Fichue malchance. Il écarta les mèches blanches qui gênaient sa vision puis sa main glissa vers le torque en marbre des océans pour tenter d’y trouver un peu de courage. Il était loin l’adolescent qui s’était pavané devant Arstène, la comtesse des Rives. L’insouciance de la jeunesse n’avait pas laissé une grande trace en lui. Il avait perdu tant d’amis, de valeureux compagnons dans la lutte contre Liotir le Maudit. Cette fois-ci, son tour était venu. Heureusement, il portait sa chemise blanche favorite. Il mourrait dans un élégant ensemble taillé sur mesure par le couturier du duché des Mers. Crever, certes, mais crever avec style.
Il tira son sabre et le fit bravement tourner devant lui. La mage claqua des doigts et il sentit sa main brûler. Il lâcha la lame qui cogna contre un rocher recouvert de mousse glissante pour disparaître dans la bouche obscure d’un trou de Démons. Elle s’avança et ponctua chaque sort d’un ricanement obscène. Nandel reculait, tombait, se relevait, tombait encore. Il grimaça sous la douleur. Il constata qu’il ne portait aucune marque, pas de blessures apparentes, pas de sang, néanmoins le mal irradiait dans tout son corps. Fichue magie.
La mage se passa la langue sur les lèvres, avec un plaisir non dissimulé. Le Pat Nandel allait mourir. Pat… Drôle de titre honorifique qui signifiait Chef dans la langue du duché des Mers. Elle le ferait se relever d’entre les morts et l’enverrait comme cadeau à son roi. Elle inspira, prise d’un frisson qu’elle attribua à la jouissance inattendue de la gloire imminente.
Cruelle et ironique erreur.
Comment pouvait-elle deviner qu’elle venait de ressentir le froid qui annonçait la venue du Lam ? Nandel, à bout de souffle, une main sur l’estomac, plié en deux sous la torture des coups de boutoir de la sorcière, arrêta de respirer. Le Lam. Il se mit à rire à gorge déployée : les trous de Démons communiquaient avec l’océan… Le pouvoir du Lam, ce dragon des mers qui fusionnait avec des marins à l’âme noble, se frayait en ce moment même un chemin à travers les méandres souterrains pour venir en aide à son ami. Le Pat Nandel se releva. La mage lança un sort pour tuer. Le duc se protégea avec sa main droite. Aussitôt, une énorme vague jaillit des trous environnants, formant une impressionnante patte de dragon au bout de son bras droit.
La dernière chose que vit la mage fut le regard impitoyable d’un Lam, en arrière-plan alors que Nandel portait un coup mortel, la découpant en une multitude de morceaux qui disparurent dans les cavités mousseuses.
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