À l’ombre des maris
Les dragons de vertu n'en prennent pas ombrage
Si j'avais eu l'honneur de commander à bord
À bord du Titanic quand il a fait naufrage
J'aurais crié "Les femmes adultères d'abord"
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Car, pour combler les vœux, calmer la fièvre ardente
Du pauvre solitaire et qui n'est pas de bois
Nulle n'est comparable à l'épouse inconstante
Femmes de chefs de gare, c'est vous la fleur des bois
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Quant à vous, messeigneurs, aimez à votre guise
En ce qui me concerne, ayant un jour compris
Qu'une femme adultère est plus qu'une autre exquise
Je cherche mon bonheur à l'ombre des maris
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
À l'ombre des maris mais, cela va sans dire
Pas n'importe lesquels, je les tri, les choisis
Si madame Dupont, d'aventure, m'attire
Il faut que, par surcroit, Dupont me plaise aussi
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Il convient que le bougre ait une bonne poire
Sinon, me ravisant, je détale à grands pas
Car je suis difficile et me refuse à boire
Dans le verre d'un monsieur qui ne me revient pas
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Ils sont loins mes débuts où, manquant de pratique
Sur des femmes de flics je mis mon dévolu
Je n'étais pas encore ouvert à l'esthétique
Cette faute de goût je ne la commets plus
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Oui, je suis tatillon, pointilleux, mais j'estime
Que le mari doit être un gentleman complet
Car on finit tous deux par devenir intimes
À force, à force de se passer le relais
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Mais si l'on tombe, hélas, sur des maris infâmes
Certains sont si courtois, si bons si chaleureux
Que, même après avoir cessé d'aimer leur femme
On fait encore semblant uniquement pour eux
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
C'est mon cas ces temps-ci, je suis triste, malade
Quand je dois faire honneur à certaine pécore
Mais, son mari et moi, c'est Oreste et Pylade
Et, pour garder l'ami, je la cajole encore
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Non contente de me déplaire, elle me trompe
Et les jours où, furieux, voulant tout mettre à bas
Je crie "La coupe est pleine, il est temps que je rompe"
Le mari me supplie "Non, ne me quittez pas"
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Et je reste, et, tous deux, ensemble on se flagorne
Moi, je lui dis "C'est vous mon cocu préféré"
Il me réplique alors "Entre toutes mes cornes
Celles que je vous dois, mon cher, me sont sacrées"
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière
Et je reste et, parfois, lorsque cette pimbêche
S'attarde en compagnie de son nouvel amant
Que la nurse est sortie, le mari à la pêche
C'est moi, pauvre de moi! qui garde les enfants
Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
- Georges Brassens -
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