La damnation éternelle.

Voilà ce que j’endurais depuis des lustres. Maudit par les dieux odieux eux-mêmes, j’errais dans ce train des damnés, ce train bondé et truffé d’âmes qui vivaient un calvaire sans nom. Condamnés à divaguer autour des neuf cercles des Limbes, nous partagions la même peine.

Qu’avaient-ils fait pour mériter cette punition infernale ? Je ne cessais de m’interroger. Qu’avais-je fait pour me retrouver ici ? Un mystère ésotérique de plus.

Je me trouvais donc dans cette locomotive méphistophélique où la pâleur et le froid se mélangeaient aux effluves atroces des flammes de l’Enfer.

Le temps n’existait plus.

Je me levais de mon siège satanique. Aucune entrave, aucune attache, nous étions libres de parader dans cette machine démoniaque. Le vacarme assourdissant des braises claquant sur les fenêtres dénotait avec le silence oppressant qui régnait. Mais plus je m’approchais des autres sièges, plus j’entendais leurs pensées.

Une femme à la chevelure chatoyante et aux yeux vairons repensait à son existence. Elle se rappelait avoir été pendue haut et court, brûlée vive sur un autel sacrificiel. Tout ça pour quoi ? Car elle pratiquait la sorcellerie et avait sauvé tout un village de la peste noire. Cette même peste noire lancée par les divinités pour s’amuser.

Plus loin, un enfant aux cheveux bruns fixait une toupie cramoisie. Elle vacillait sans jamais s’arrêter. Je m’approchais et découvris ses pensées. Âgé d’une dizaine d’années, il se remémorait son enfance inachevée. Enfant de l’obscur, le Tout-Puissant avait été obligé de le noyer dans l’océan.

Deux sièges plus loin, un homme élégant et d’une beauté angélique me regardait. Son regard était si intense qu’il sondait mon âme même. Qui était-ce ? Pourquoi me voyait-il ? Pourquoi étais-je inexorablement attiré vers lui ?

À peine mes interrogations entamées, je me trouvais assis devant lui. Ses yeux étaient d’un noir abyssal. La bouche pâteuse et les genoux tremblotants, je réussis néanmoins à bredouiller :

• Qui êtes-vous ?
• L'on me donne bien des noms : Samael, Azazel, Belzebuth, Sheitan... mais appelle-moi Lucifer.

Pas un son ne sortait de ma bouche tordue par l’effroi. Un frisson me parcourut l’échine, je transpirais à grosses gouttes. Pourquoi le Diable en personne était là et me parlait ?

• Je suis là parce que je le veux, parce que je le peux. C’est moi qui ai créé ce Train des Damnés. J’ai façonné cet appareil afin de sauver les âmes perdues et massacrées par les dieux.

Je restais pantois. Je ne comprenais pas où Lucifer voulait en venir.

• Nous allons converser pour l’éternité. Je n’ai pas vraiment l’habitude de parler avec les morts mais ma curiosité prend parfois le dessus et je leur ôte les chaînes temporelles qui les retiennent. Ceci est mon tourment. Je suis l’Ange Déchu, rejeté pour avoir pensé être l’égal de Dieu. Tu vas faire partie de mon armée afin de faire tomber l’Éternel. L’Apocalypse est pour bientôt.

*Madame, Monsieur. Votre attention s’il vous plaît. En raison d’un petit incident technique, votre train aura 1 heure de retard. Merci de votre compréhension*

Je m’extirpais de mon rêve en sursautant. Les sens aux aguets, je suais à grosses gouttes. Comment un rêve pouvait être aussi réel ? Alors que je me relevais difficilement afin de mieux me caler sur mon siège, le livre que j’avais posé sur mes jambes tomba. C’est vrai que j’étais en train de lire lorsque j’avais sombré dans les bras de Morphée. Qu’est-ce que je lisais déjà ?

« L’Evangile selon Satan » de Patrick Graham.

C’est fou ce que notre imaginaire peut faire. Je dévorais un thriller et plus tôt dans la journée je venais de visionner le début de la saison 5 de « Lucifer ». Tout s’imbriquait dans mon esprit sans avoir la moindre emprise.

Que je sois damné d’avoir une imagination comme celle-ci.