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LES RANDONNEURS

I.

ELLE DIT QU’ELLE IMAGINAIT, plutôt qu’elle voulait, des enfants avec lui : « Alexandre, je veux des enfants avec toi », et son prénom ainsi prononcé le glaça. Il aurait voulu lui dire que lui aussi, il voulait, mais l’existence d’une telle intimité le saisissait d’une peur extrême du malheur, ou pire encore, de la rendre malheureuse. Des promesses non tenues — des jours plus tard, bien sûr, il réaliserait que le bonheur c'étaient ces instants lovés sur son matelas à même le sol, à la mansarde qui tissait un filet d'air à leurs corps ensués — et que le malheur c’était ce vide qui le saisissait dans la plaine — son poing ferme sur la bride.
Il la caressa de son mutisme, du bout des doigts comme sous la menace d’une fissure, d’une froissure qui sourdait des draps à leurs poitrines. Il dit qu’elle était belle mais elle se tourna sur le côté. Il embrassa son dos. Elle l’accepta sans l’accepter. Elle était tendue et il dut à plusieurs reprises se retirer d’un centimètre pour la pénétrer de deux jusqu’à pouvoir enfin être totalement en elle. Une fois elle lui avait dit : « J’aime quand tu es en moi » et aujourd’hui malgré son corps sous son corps elle l’obstruait, ses yeux qui s’effaçaient par-delà, dans le plafond et les dendrites d’humidité. Il demanda si elle était sûre, « Oui, je veux, je veux des enfants », et ils firent l’amour avec gravité, son buste émergeant du naufrage de son buste, ses hanches de la caverne de ses hanches. Il sentait qu’elle le haïssait. Il sentait qu’il avait cette peur au ventre, peur de sa colère et de ses crises qu’il était incapable de maîtriser. Il la serra aussi fort que possible et elle l’enserra de ses cuisses, accueillant son sperme qui vint par à-coups : un, deux, trois — l’idée d’un moi sombré en toi. Puis l’angoisse succéda. Trop tard pour lui dire que, lui aussi, il voulait. Il avait été lâche. L’instant était passé.

Par la mansarde on entendait des chevaux des chiens la neige qui tombait dru. Il devait aller au bureau mais voulait s’enrouler minuscule contre le ventre d’Imane. Il voulait prendre ce Remedios Varga qui traînait sur la table de chevet et qu’il n’avait toujours pas ouvert et vivre dans le repli de son bassin, sur ce cercle d’os comme sur la planète lune. Un espace hors du temps. Je t’aime dit-il. Elle ne répondit pas.
Son estomac le brûlait.
Elle s'entortilla dans la couverture.
Sous la douche il découvrit son sexe couvert de sang. Je crois que tes règles ont commencé. Elle dormait. Il imaginait lui couler le sang et le sperme mêlés. Il pensa la réveiller lui dire d’aller se rincer pisser se recoucher mais il se tut. Il écrivit sur un post-it désolé Imane // moi aussi je veux // je veux vraiment enfila son pantalon sa veste ses couvre-chaussures et referma aussi doucement que possible la porte de la chambre.
Dans cette chambre il avait essemé ses coudes et ses genoux et ses deux yeux et ses dix doigts et des milliers de cheveux et de peaux en pellicules fines et friables et qui s’étaient incrustées dans les interstices du parquet gondolé, mêlées à ses particules à elle, ses petits bouts, son odeur de café, d’épices, de poivre, son odeur puissante et lourde et noire et qui le prenait toujours avec la même surprise lorsqu’il pénétrait sa chambre pour l’embrasser à toute vitesse — Tu m’as manqué — « Tu m’as manqué aussi » — et il partait avec cette sensation subite et oppressante du manque, avec cette culpabilité de l’abandonner, furieuse et endormie, parce que, comme toujours, il avait agi (elle ne le savait pas, et il cherchait à tout prix à lui cacher) par peur. Et il partait avec cette peur renouvelée, être oublié de la chambre, ses particules si discrètes qu’elles s’enfouiraient sous celles d’Imane. Il partait, et seul un pisteur perspicace aurait pu remonter jusqu’à ce studio.

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