Chapitre 1: Un moment difficile pour Monsieur K

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L’homme pleurait, à chaudes larmes qui mouillaient sa chemise. Il pleurait, comme un enfant, avec de longs silences , de lourds sanglots.

Catherine ne lui donnait pas d’âge, avec ses yeux rougis,  son visage défait, un homme détruit , brisé .En lisant son dossier , elle eut envie de pleurer avec lui : il avait son âge , la cinquantaine.

Elle prit une voix douce : «  sodomie, fessée, bondage ? »

L’homme acquiesça.

« Vous savez, Monsieur K, tout le monde a les mêmes fantasmes. 

- Je ne suis pas pervers ?  

- Non « 

Non, il n’était pas pervers ! Des pervers, elle en voyait tous les jours, des sadiques qui torturaient à mort les enfants,  avec le même argument : « c’est virtuel ! « 

Elle aurait pu lui ressortir l’argument, mais il était sensible, subtil, intelligent, cultivé.

Catherine reprit ; «  c’est tardif !

-        j’ai respecté la loi ! 

-        Vous avez respecté toutes les lois, sauf celle qu’il ne fallait pas transgresser !

-        Elle est absurde

-        Certes « 

La loi sur la sincérité numérique se défendait . Il y avait eu tant d’abus ! Tout était permis, sauf le manque de sincérité .

Après, après Catherine voyait défiler tous ces hommes qui passaient leur nuit à violer de jeunes enfants, dans le monde virtuel et se retrouvaient perdus dans le monde réel ! Son cabinet de psychologue n’allait pas faire  faillite.

« Vous n’avez pas à rougir de vos réalisations virtuelles « 

Monsieur K sourit.

Catherine n’osa pas lui avouer, qu’elle avait fait partie de ses « amis « .

Elle appréciait ses créations, nostalgiques, ancrées dans la pop, sixties/seventies.

Notre génération ! 

Elle aimait ses longues dérives musicales, colorées, oniriques. Elle avait adoré sa mise en scène sur le golden hair de Syd / Joyce .

Lean out your window, golden hair

I heard you singing in the midnight air 
My book is closed, I read no more 
Watching the fire dance, on the floor 
I've left my book, 
I've left my room 

”Je préfère You and I !

-Pardon? dit Catherine .

-Vous chantiez Golden Hair !

-Ah, oui ! « 

« You and I était une fabuleuse création, la voix de Monsieur K se fit nostalgique, j’avais repris tous les dessins de Roger Dean. J’ai harmonisé les sonorités, les couleurs, les odeurs...

J’ai fait un travail d’arrangeur, d’artisan du son et de la lumière.

-Et Sophie ?

- Sophie c’était ma muse, mon inspiratrice, elle suivait tout ! J’ai même pris conscience du fait qu’elle avait commencé à me suivre, bien avant.

- Amoureuse ?

- Je l’ai cru, vu ce qu’elle m’a fait…

-Elle, c’était légal !

-Et la sincérité ?

- Elle était sincère, elle pense, sincèrement, être entourée de pervers narcissiques, que votre amour l’étouffe, que votre désir la viole .

- Elle a tout fait pour me rendre fou d’amour !

-Oui, elle y pensait dès le départ « 

Tardif, tout cela avait été bien tardif : 20 mois,  Catherine recalcula , 20 mois  numériques , 20 ans dans la vie réelle , 20 mois  avant de se déclarer.

« Elle a pris le temps de détruire toutes vos défenses.

-Elle me disait « Ya polubila tiebia »

-Je t’aime en polonais ?

-Non, en russe, elle avait des origines russes. Elle ne cessait de me dire qu’elle était tombée amoureuse de moi, qu’elle me désirait ...

- Et vous la croyiez ?

- Pourquoi ne pas la croire ? C’était tellement beau, inespéré, romantique ? « 

Catherine eut envie de le secouer, de l’invectiver, de le traiter d’idiot , de naïf. Elle se retint, cela serait fort peu professionnel ! Son contrôleur lui rappellerait, cruellement, qu’elle ne serait pas en plein divorce, si elle n’avait pas cédé aux sirènes de l’amour virtuel.

Elle trancha : droit au but.

« Une vampire sentimentale !

-Comment ?

-Votre blonde Sophie est une vampire sentimentale. C’est une pathologie fréquente.

-Elle est malade ?

- Plus que vous ! Elle ne suce pas votre sang, mais votre vie affective ! Elle adore vous forcer à confesser vos secrets les plus intimes.

- Elle ne m’a jamais aimé ?

-Compliqué . Elle croit aimer, mais vous lui demandez trop , alors elle rejette tout , à commencer par votre amour !

- J’ai eu tort d’essayer de la contacter ?

- Dans la vie réelle ? C’est plus déconseillé qu’interdit et son mari en a vu d’autres . Votre crime est tout autre « 

Enfin, on arrivait à l’essentiel .Catherine se sentait coupable de collaborer avec la police .

Mais elle se rassura, en se disant qu’elle lui évitait le pire , l’interdiction définitive de toute vie virtuelle : la mort numérique.

« C’est elle qui a…

-prévenu la police ? Evidemment.

-Elle m’aime donc ?

- Elle ne veut pas aller en prison ! Vous avez commis l’irréparable, détruire des années d’identité numérique : seul le suicide pouvait suivre.

-Je l’ai fait pour elle !

- Elle ne vous a rien demandé .

- Je pensais avoir tout détruit ?

- Non, vos créations deviennent anonymes .

- L’idée me  plait .

-Vous êtes un rêveur, Monsieur K . « 

Dreamer, you know you’re a dreamer ! Je deviens comme lui, je chante au lieu de réfléchir. Un patient attachant, mais qui s’est mis dans un sacré pétrin.

Elle prit sa voix la plus douce :

« Racontez  moi, Monsieur K .

- J’ai voulu mourir à la romaine, comme jim, last ride on the storm.

- Il n’est pas mort dans la baignoire !

- Je sais, mais qu’importe . Jeune j’ai tenté l’héroïne. On m’avait dit que se trancher les veines, c’était mieux !

- Alors ?

- C’est une …expérience, surtout avec la Toccata 914 par Gould.

-La fugue ?

-Vous connaissez ? Essayez une belle musique pour mourir.

- De l’humour. Bon signe, vous allez mieux.

-La fin est étrange, je me vois partir,  et mes parents, ma famille, mes amis , ma femme ,mes enfants, sont là , ils me font une standing ovation !

-Et la police est arrivée ?

- Oui, hélas, c’était si bon ! »

Une belle névrose, il va y avoir du travail ! Et un travail peu agréable, car il faudrait rendre des comptes ...

Le vieil homme tenta de se justifier :

« C’était légal .

-Dans la hiérarchie des crimes, le suicide a dépassé la pédophilie.

-Je sais, la voix monocorde Monsieur K commença à réciter le NDO ( nouveau discours officiel)  : notre nouvelle économie suit la loi ses trois tiers, un tiers inapte au travail,un tiers chômeur, un tiers travailleur intensif qui a …

- l’interdiction absolue de se suicider ! Et,  encore,  moins, d’y prendre un plaisir pervers, Monsieur K !!! « 

Catherine sourit. Il était mûr, il serait le premier cobaye, un homme sensible, intelligent , cultivé , une excellente recrue .

« J’ai une solution.

-J’éviterai la sanction ?

- je vous le promets.

- j’accepte !

-Attendez ! La nouvelle loi, le partage intégral des souvenirs , va être votée . Il nous faut un volontaire, il y a des risques .En échange, l’amnistie est totale.

-Même pour le suicide !

- Pour tous les crimes, y compris la suprême transgression !

- J’accepte .

-Bien . « 

Elle le raccompagna. Tous les deux souriaient, comme deux amoureux ! Monsieur K , se voyait retourner dans la matrice, partager sa vie passée , qui sait ?, retrouver Sophie , qui , étrangement avait , maintenant, les traits de la Sylvie de Nerval .

Catherine voyait loin, beaucoup plus loin . Son cabinet de psycho vivotait, cette loi était la chance de sa vie !

Elle avait accepté de fournir un volontaire, contre un contrat d’exclusivité, elle aurait le droit de soigner tous les pauvres types,  détruits par la perte de leurs souvenirs . Et tous ces vampires sentimentaux, prêts à se ruiner pour jouir de cette chair fraîche.

Gourmande,  elle se passa la langue sur les lèvres : son chiffre d’affaires allait exploser ....

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