Cette nuit d’hiver promettait d’être glaciale. Le vent fouettait doucement ses longues mèches corbeau, tandis que des flocons se déposaient sur son visage. Mais cela ne le dérangeait pas du tout. Au contraire ! Lars aimait le froid, la neige, l’hiver… C'était tellement plus agréable que la chaleur dont il avait une sainte horreur.

Bon, le soleil, il devait bien s’en accommoder, parce que vivre dans la nuit éternelle, non merci. Du moment que l’astre ne tapait pas trop fort, Lars pouvait s’y faire.

Tout en savourant le froid sur sa peau, le jeune homme écarta les bras, paumes tendues vers l’extérieur. Il rejeta ensuite la tête en arrière, les paupières closes, tandis qu’un immense cercle de la même couleur que ses yeux se traçait autour de lui, sur la neige. Des rayons de lumière s’y élevèrent, l’enveloppant et décuplant ses pouvoirs.

Parfait, il allait enfin pouvoir localiser avec précision l’endroit où se terrait sa cible.

Dès son arrivée au village, Lars avait ressenti son aura partout. Telle une odeur nauséabonde, elle empestait l’air, s’était imprégnée dans chaque recoin, sur chaque habitant… Impossible de savoir derrière lequel de ces bougres se cachait le démon. Cela pourrait bien être la ravissante maire… l’aura démoniaque était particulièrement forte sur elle.

Si c’était vraiment le cas, Lars se désolait d’avance de devoir tuer une aussi belle femme. Il aurait bien aimé lui faire passer de charmants moments, l’aider à évacuer toute cette tension qui semblait l’écraser depuis des jours, des semaines ou peut-être même des mois ? Vraiment dommage. Pour elle, mais aussi pour lui.

Le magicien secoua la tête de dépit à cette pensée. Enfin, bon, dans une autre vie peut-être. Même si la Mort n’était pas encore prête de lui mettre la main dessus. Pas avant plusieurs centaines d’années en tout cas. Peut-être même jamais.

Bref !

— Senke, murmura-t-il en ramenant lentement ses mains vers lui dans un mouvement ample et élégant.

À première vue, on penserait qu’il capturait l’air au creux de ses paumes et qu’il le portait ensuite à son nez. Ses yeux restèrent fermés lorsqu’il inspira lentement. Il s’imprégnait de l’aura pour mieux la sentir et la traquer, à défaut de pouvoir localiser son propriétaire.

Lars devait agir vite, il ne restait plus beaucoup de temps. Le démon comptait neuf victimes à son actif et s’il avait vu juste, un dixième enfant allait être sacrifié cette nuit à minuit tapant. Le jeune homme avait tout de suite deviné que l’autre pratiquait un rituel d’invocation. Mais pour invoquer qui ? Ou quoi ?

Quelque chose se préparait et ce n’était pas bon du tout. Et Lars se demanda s’il n’aurait pas mieux fait de rentrer tranquille chez lui, retrouver Cédès pour une petite orgie… Malheureusement, les ordres de ses foutus mandataires étaient clairs : retrouver l’anneau et le rapporter à tout prix. Ciel, comme il les détestait !

Il lâcha un long soupir contrarié en rouvrant les yeux. Il fit ensuite disparaître le cercle de lumière d’un claquement de doigts, puis se dirigea d’un pas nonchalant vers la balançoire grinçante où il avait déposé son long manteau noir. Lars le saisit, en chassa quelques flocons et poussières d’une pichenette puis l’enfila d’un geste élégant.

Il quitta ensuite l’aire de jeux du village d’un pas tranquille. En toute logique, c’était l’endroit idéal pour réaliser le sort de localisation. Le démon avait sûrement dû y rôder souvent pour repérer ses futures victimes. Et Lars avait vu juste : l’atmosphère empestait l’aura démoniaque encore plus qu’ailleurs. Il n’avait eu aucun mal à s’imprégner de l’essence infecte et tisser un fil d’Ariane pour remonter jusqu’à l’autre.

Le jeune homme tendit une main devant lui. De sa paume ouverte se déroula un fil brillant d’une belle couleur violine. Le trait lumineux s’étira rapidement, zigzagant entre les bâtiments, puis disparut de sa vue. Pendant ce temps, l’extrémité du fil magique restait sagement ancrée à ses doigts. Parfait !

Avec un sourire satisfait, Lars s’enfonça dans la nuit pour suivre la piste.

***

Lars resta un instant planté devant l’endroit où l’avait conduit le fil d’Ariane : une maison de banlieue tout ce qu’il y avait de plus banale avec sa toiture en tuiles, ses fenêtres tout en fleurs et ses murs dont la peinture pimpante piquait horriblement les yeux. Il y avait même un ridicule petit balcon fleuri, tiens ! Le tout était complété par un jardin coloré et très bien entretenu. Entourés d’une barrière trop parfaite, les lieux étaient d’une mièvrerie affligeante.

Il était 22 heures passé, la maisonnée était plongée dans un épais silence qui ne présageait rien de bon. Le démon aurait-il massacré sa pseudo famille sous le coup de l’excitation ? Sûrement une de ces saletés qui se laissaient gouverner par leur côté sauvage et primaire. Lars les avait en horreur, ces petites raclures étaient tout simplement dégoûtantes. Le genre avec lequel il ne coucherait jamais, même sous la torture.

Il poussa un long soupir puis se décida enfin à passer le portail qu’il ouvrit par magie d’un petit geste négligeant de la main. Puis ses iris s’illuminèrent et le magicien repéra quatre faibles auras à l’étage. Autant y aller de suite plutôt que de passer par la porte du rez-de-chaussée. Un cercle de lumière violette apparut sous ses pieds et le fit s’élever dans les airs, jusqu’au petit balcon qui devait donner sur l’une des chambres de la maison.

Il entendit des chuchotements plaintifs de l’autre côté, et décida d’entrer sans tergiverser. Pas pour jouer les preux chevaliers et sauver ces gens, non. Il avait juste hâte d’en finir au plus vite et de pouvoir enfin rentrer chez lui.

Une fois à l’intérieur, Lars se figea un instant, à la vue du spectacle qui l’attendait. Serrés les uns contre les autres dans un coin de la chambre, la maire, son mari et leur fille étaient tenus en joue par le gamin du lampadaire. Mais qu’est-ce que cet idiot faisait là ?

Une cigarette à moitié entamée aux lèvres, il pointait négligemment deux pistolets sur les trois autres. Il affichait un air blasé, malgré les jérémiades de la gamine à qui il avait fait des mamours à peine une heure plus tôt.

— Pourquoi, Leo ? pleurnichait-elle, en se blottissant davantage dans les bras de sa mère. J-je croyais qu’il y avait un truc entre nous ! Je voulais te présenter mes parents ! Et toi t-tu...

— Désolé ma toute belle, répondit l’autre avec un petit sourire en coin. C’est pas contre toi, c’est juste que… je dois flinguer tes vieux. C’est le business, tu vois… Mais avant…

Sans crier gare et avec une rapidité étonnante, il tourna l’une de ses armes vers Lars et pressa sur la détente. Ce dernier eut juste le temps de lever une main pour entraver la lancée du projectile avec ses pouvoirs. Il s’écarta ensuite légèrement. La balle passa près de son visage au ralenti, avant de reprendre sa course à un rythme normal et se loger dans le mur derrière lui dans un “bang” retentissant.

Tiens, tiens… ce petit avait de bons réflexes. S’il n’était pas aussi jeune, Lars aurait tout de suite pensé à un tueur professionnel. Un apprenti chasseur peut-être ? Mais qui serait assez bête pour engager un gamin et l’envoyer liquider un démon ?

— Intrigant, murmura-t-il en s’approchant de sa démarche nonchalante. L’autre le regarda faire d’un air à la fois surpris, mais aussi vaguement intéressé.

— T’es qui toi ? demanda-t-il alors que Lars se plantait devant lui pour mieux l’examiner.

La vingtaine tout au plus, très beau garçon avec une tignasse dorée et des yeux verts vraiment magnifiques. À part d’agréables effluves boisés, il n’émanait de lui aucune énergie démoniaque et encore moins magique. Ce gamin n’était ni une créature surnaturelle, ni un chasseur. Mais dans ce cas, qu’est-ce qu’un simple humain comme lui faisait dans cette maison ? Il disait avoir été payé pour éliminer la maire et son mari...

Lars fut tiré de ses réflexions par un cliquetis métallique au niveau de sa tempe. Le pistolet était désormais pointé tout contre sa tête.

Le morveux se pencha légèrement vers lui, avec cette fois-ci un sourire féroce sur son joli visage. On aurait dit un vilain petit ange échappé du paradis. Non, plutôt un ravissant petit chat dont les prunelles vertes brillaient d’une excitation malsaine à la vue de sa proie.

— M’oblige pas à me répéter, l’Aristo… t’es qui ? ou plutôt... t’es quoi ?

— Je te retourne la question, le nabot ? rétorqua l’interpellé en se rapprochant à son tour, de manière à lui parler presque au creux de l’oreille.

Son parfum lui chatouilla agréablement les narines… En d’autres lieux ou circonstances, Lars n’aurait pas hésité à flirter et s’amuser un peu avec ce beau spécimen. Mais il avait malheureusement d’autres chats à fouetter pour l’instant. Le jeu de mots le fit ricaner, tandis qu’il se reculait, nullement inquiété par le pistolet toujours pointé sur sa tempe.

— Que fais-tu dans cette maison où un démon se fait sûrement passer pour l’honorable parent de ta petite amie ? s’enquit le magicien en se décalant légèrement, pour profiter d’une meilleure vue sur le joli minois de son agresseur. Un démon contre lequel tes ridicules petits pistolets ne sont d’aucune utilité, je précise... ajouta-t-il ensuite en écartant l’arme de sa tête, d’un doigt autoritaire. Sais-tu au moins à quoi tu as affaire ?

— Peut-être bien, répondit lentement le blondinet avec un regard de défi.

Puis d’un geste nonchalant, il ramena le canon de son pistolet à sa place initiale, c’est-à-dire contre la tempe de Lars. Ce dernier lui adressa un petit sourire moqueur devant sa belle assurance feinte.

Mais oui bien sûr. Il lui faudrait encore des cours de comédie supplémentaires pour être vraiment convaincant. Lars voyait très bien l’incertitude dans les prunelles vertes. Ce gamin n’était pas du tout sûr de ce à quoi il avait affaire. Un véritable boulet en somme.

Tout en soupirant, le magicien esquissa un petit geste négligeant de la main. Et sa magie envoya valser le petit chat à l’autre bout de la pièce. Il alla s’échouer sans aucune douceur dans un placard, sous une avalanche de vêtements et de chaussures.

Lars se tourna ensuite vers les trois autres, rictus aux lèvres. Ils étaient restés tétanisés durant les quelques minutes qu’avait duré son échange avec l’insupportable gamin. Ils n’avaient même pas essayé d’en profiter pour s’enfuir. Déprimant.

— Strøm ? Mais… qu’est-ce que vous faites ici ? finit par demander la charmante maire en reprenant ses esprits. Je veux dire… comment avez-vous su… ?

— Je ne suis pas là pour vous sauver si c’est ce que vous pensez, coupa-t-il d’un ton affable en tendant les deux paumes en avant. Je suis ici pour honorer notre contrat, c’est tout.

Le trio ne répondit pas, se contentant juste d’écarquiller les yeux comme des soucoupes. Ces gens étaient visiblement très lents à la détente. Navrant. Enfin, bref ! Lars souffla d’exaspération en avisant l’adolescente, coincée en sandwich entre ses parents.

— Écarte-toi, petite, ordonna-t-il, sa voix s’adoucissant malgré lui. Et ferme les yeux.

— Mais qu’est-ce que vous allez faire… ?!

Nouveau soupir et Lars agita une main impatiente. Une faible aura violette enveloppa aussitôt la jeune fille et la souleva dans les airs, avant de la déposer sur le lit, de l’autre côté de la chambre. Sans tenir compte de ses braillements paniqués, Lars reporta son attention sur le couple, croisant les grands yeux horrifiés de la si belle, si ravissante maire…

Elle avait compris.

— Non… s’il vous plait… attendez !

— Vous m’en voyez navré, mais les affaires sont les affaires… la coupa le jeune homme.

Et ses mains s’illuminèrent d’un puissant halo améthyste sous le regard paniqué de ses futures victimes. Mais Lars s’en fichait complètement. ll n’avait ni le temps ni l’envie de faire dans les sentiments. Le duo empestait l’essence infecte du démon. Le mieux était de tous les éliminer, histoire d’en finir au plus vite. Et ne pas prendre de risque.

Mais c’était sans compter l’autre enquiquineur qui ne s’était malheureusement pas rompu le cou durant son vol plané au pays des chemises et des escarpins bon marché.

— Enfoiré, ce putain de contrat est pour moi ! cracha-t-il en se précipitant vers Lars.

En bon petit crétin, il trébucha cependant sur une pantoufle tombée du placard.

Le magicien n’eut pas le temps de réagir que le gamin lui tombait dans les bras. Mais ce ne fut pas le pire, non. Dans le feu de l’action, leurs bouches se retrouvèrent en effet plaquées l’une contre l’autre en une grossière parodie de baiser. Sérieusement ?!

Mais c’est qu’il avait les lèvres toutes douces le petit chat ! ne put cependant s’empêcher de songer Lars dans un bref moment d’égarement. Il s’empressa aussitôt de chasser ces pensées parasites de son esprit tout en repoussant l’indésirable d’un geste agacé.

Trop tard, car cet intense moment de distraction fut tout ce qu’il fallut au démon pour se manifester. Lui donner l’ouverture dont il avait besoin pour attaquer. Tuer.

Alooooooooooooors ? Comment avez-vous trouvé ces premiers épisodes ? ^o^ Quelles sont vos impressions sur Lars ? J'espère que ce début vous a plu et vous donne envie de poursuivre l'aventure :3 Je vous dis à dimanche prochain pour la suite !