Épisode 6 - Rien ne va plus ! (Partie 1)
Le petit chat sentait décidément très bon, se dit Lars alors que la terre cessait soudain de gronder autour d’eux. Le gamin était affalé tout contre lui, ses cheveux lui chatouillaient le nez et ce n'était pas désagréable du tout…
Lars en profita d'ailleurs pour inspirer les effluves boisés qui s'en dégageaient. C’était terriblement excitant. Et soudain, il ressentit l’envie de glisser ses doigts dans la tignasse blonde, de l’agripper à pleines mains ! Cela devait être tellement plaisant…
— Alors, Strøm ! Tu fais moins le malin maintenant, hein ?!
La voix si horripilante de Déchet l’arracha à ses douces pensées. Et Lars ne put retenir un claquement de langue agacé. Il en avait marre de cet imbécile. En plus de gâcher sa soirée orgie avec Cédès, il l'empêchait aussi de fantasmer en paix !
Bon d’accord, il est vrai que l'heure n'était pas aux frivolités pour l'instant !
Le magicien jeta un bref coup d'œil autour de lui pour constater l'état des lieux : un léger halo rougeâtre finissait de disparaître dans l'air. S'ajoutant au silence de mort, les corps qui gisaient au sol offraient un tableau des plus charmants. Les moutons du regretté pasteur n'avaient pas eu le temps d'aller bien loin... Tous les autres villageois devaient être dans le même état. Ce qui n'était pas bon du tout pour lui et le petit chat...
Mais bon sang ! Cet imbécile de Déchet avait ouvert un portail donnant sur les enfers de Dante ! Brièvement certes, mais le mal était fait. Plusieurs de ses immondes congénères avaient sûrement eu le temps de se faufiler à travers la brèche… ce qui voulait dire encore et toujours plus de problèmes sur les bras !
Et Lars poussa un long soupir à fendre l’âme en repoussant le gamin. Sans se gêner, il prit ensuite appui sur ses épaules pour se remettre sur pieds, récoltant un regard mauvais au passage. Il lui offrit un charmant rictus en réponse. Son ravissant acolyte se releva à son tour, tout en grommelant il ne savait quoi à son encontre.
Lars se détourna, un petit sourire amusé au coin des lèvres. Il s'occupera de ce délicieux petit chat plus tard. Quand il en aura enfin terminé avec cette maudite Poubelle qui n’en finissait décidément pas de lui pourrir la nuit. Son rictus se mua d’ailleurs en grimace dès que ses yeux se posèrent sur cet espèce de petit morpion dégoûtant.
Toujours debout au milieu du pentacle, le cadavre égorgé du révérend à ses pieds, le démon avait retrouvé toute sa superbe. Il irradiait d’une énergie nouvelle, tout cela grâce à l’aura infernale libérée par l’ouverture du portail. Ses blessures guéries, il se pavanait devant eux. Sa queue fourchue avait repoussé et se balançait joyeusement dans son dos.
— Strøm, Strøm, Strøm, ricana-t-il en toisant Lars d’un air réjoui. Ørjan m’avait prévenu de ton arrogance ! Tu aurais dû me tuer quand tu en avais eu l’occasion ! Maintenant c’est trop tard, ce pitoyable village est à ma merci. Et notre ravissante maire que voici n’aura pas d’autre choix que de me donner l’anneau. N’est-ce pas… ma douce ?
Il prononça les deux derniers mots d’une voix suave, en fixant un point derrière Lars. Celui-ci se retourna pour constater que Liv et sa gamine étaient toujours conscientes et n’avaient aucune égratignure… et ce n’était pas grâce à son champ de force dont la puissance n’offrait pas le genre de protection efficace contre l’invocation de Poubelle.
Non, c’était autre chose. C’était elles.
— Putain, c’est quoi ce bordel… souffla le petit chat. Il s’était également retourné et fixait désormais la mère et la fille avec une fascination non voilée.
— Des Alfes, murmura Lars pour lui-même.
Il ne pouvait, lui aussi, détacher son regard d’elles. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait plus croisé cette race de créatures… si magnifiques.
A genoux sur le sol, Liv avait toujours le mioche inconscient dans les bras. Elle le serrait contre elle d’une main, telle une petite chose précieuse. De l’autre, elle entourait l’épaule de sa gamine d’un geste protecteur. Elles étaient complètement transformées.
C’était comme si des milliers d’étoiles scintillaient désormais sous leur peau diaphane. Leurs cheveux étaient devenus d’un blanc aussi pur que les cristaux de glace et leurs yeux… ils étaient de toute beauté ! Tels des saphirs qui brillaient avec intensité dans la nuit.
Mais bien sûr, il aurait dû s'en douter. Odin et sa clique n’auraient jamais confié l’anneau à n’importe qui. Les Alfes étaient le choix logique : ils avaient toujours été excellents dans l’art de dissimuler des artefacts, mais aussi pour se cacher des autres. La preuve : même lui, Lars Strøm, n’avait rien vu venir pour ce qui était de la véritable nature de Liv et sa fille. Or cela faisait des heures qu’il les avait sous le nez. Impressionnant.
Et terriblement vexant. Surtout que Déchet, lui, ne semblait pas du tout surpris…
— Tu savais, conclut Lars d’un ton sec en reportant son attention sur le démon.
Ce dernier souriait de toutes ses dents, ou plutôt de tous ses crocs, en le toisant avec arrogance. C’était fou comme sa tête n’en devenait que plus affreuse encore !
— Bien sûr que oui, fanfaronna-t-il en exécutant une ridicule petite pirouette de joie. Sinon, pourquoi aurais-je pris l’apparence de son pathétique et pitoyable mari ?
— Espèce de sale rat, comment oses-tu… ! cracha aussitôt Liv avec colère, mais Lars la coupa dans son élan sans la moindre délicatesse.
— Pourquoi toute cette mise en scène ridicule ? demanda-t-il en haussant un sourcil agacé. Tout ce que tu avais à faire, c’était utiliser la gamine pour forcer la mère à te remettre l’anneau. Mais non. A la place, tu te compliques la vie (et la mienne !) en fomentant un plan idiot pour ouvrir un portail… et faire sortir quelques chiens. Franchement… pourquoi ?
Il avait besoin de comprendre les véritables motivations de cet adversaire aussi imprévisible que tenace. Déchet était pire qu’un cafard : increvable et avec une chance monstre. Lars avait beau l’écraser sous ses pieds, cette saleté arrivait toujours à s’en sortir. C’était exaspérant.
— Pourquoi ? répéta le démon en le fixant avec une incrédulité amusée. Mais parce que c’est beaucoup plus amusant ! Si tu savais comme c’est devenu ennuyeux aux Enfers ! Cela dure depuis 10 ans ! Depuis que le Maître… (Il s’interrompit aussitôt, l’air frustré, mais retrouva bien vite le sourire et poursuivit comme si de rien n’était.) Enfin… j’avais besoin de faire un peu la fête, tu vois ?
Sans quitter Lars des yeux, il se passa ensuite la langue sur les lèvres. Une lueur à la fois lubrique et moqueuse s’alluma dans ses horribles prunelles jaunâtres.
— Et puis…je me disais qu’un petit massacre de mioches là où l’anneau était caché ne manquerait pas d’attirer l’attention de tes Dieux… qu’ils enverraient aussitôt leur petit chien préféré pour voir ce qui se passe… et c’est exactement ce qui est arrivé ! Tu es là, devant moi. Et je constate que les rumeurs ne te rendent absolument pas grâce, Lars Strøm : tu n’es pas seulement magnifique. Ta beauté est tout simplement irréelle ! Même Rukkia, le prince du huitième cercle de Dante, ne t’arrive pas à la cheville. Tu es éblouissant…
Il prononça les derniers mots d’une voix presque gémissante en fixant Lars avec intensité. Avec un désir de possession qui frisait la folie. Et pendant une fraction de seconde, cette lueur dans ses yeux arracha des frissons d’horreur au principal intéressé. Elle lui rappelait de lointains souvenirs, un passé qu’il essayait tant bien que mal d’enterrer dans un coin de son esprit. Mais ce n’était pas simple, il avait constamment affaire à ce genre de regard.
— Putain, mais c’est une véritable déclaration d’amour ça ! s’exclama soudain le petit chat d’un ton ironique. T’as vu comment ce type est grave dingue de toi, l’Aristo ? Il a sûrement une bague planquée quelque part ! Ou alors c’est cet anneau qu’il va te passer au doigt…
Ce gamin avait décidément de l’humour, songea Lars dont les lèvres s’étirèrent malgré lui en un mince sourire face à la tête vexée de Déchet. Et pour une fois, le jeune homme fut ravi de se faire arracher à ses sombres pensées. Il s’empressa de les chasser, les repousser au fond du trou dans lequel il s’évertuait à les enterrer depuis plusieurs centaines d’années. Tout allait bien maintenant. Il devait juste éviter d’y penser, ne surtout plus y penser…
— Mais alors, tous ces enfants massacrés… ce n’était juste qu’un jeu ? s’écria Liv en se redressant brutalement, son précieux chargement toujours serré contre elle.
— Silence, femme ! répliqua l’interpellé d’une voix sifflante. Tu ne vois pas que je suis encore en pleine conversation ?! Et toi, tu te crois drôle, ajouta-t-il à l’intention du petit chat, le regard haineux. Je vais me faire un véritable plaisir de t’étriper vivant…
Le gamin lui répondit par un grand sourire carnassier. Il faisait preuve d’une telle assurance ! Aucune peur n’émanait de ses deux émeraudes. Juste une joie féroce qui mettrait presque Lars mal à l’aise s’il avait été une petite nature. Et le magicien se dit que Déchet devrait arrêter de le sous-estimer. Il y avait quelque chose de très dangereux et dérangeant chez ce petit…
Mais le démon reportait déjà son attention sur Liv. Celle-ci continuait de le fusiller des yeux, limite s’ils ne lançaient pas de véritables éclairs. Et d’ailleurs, pourquoi n’utilisait-elle pas ses pouvoirs contre cet abruti cornu ? Surtout que la magie des Alfes avait la réputation d’être puissante. Lars était curieux de voir ça. La jeune femme n’en fit cependant rien, elle se contenta juste de serrer les dents, tandis que Déchet affichait un rictus réjoui.
— Ma douce, lui susurra-t-il. Tu sais ce que je veux. Mais comme je suis gentil, je te propose un marché équitable : l’anneau contre l’âme de ce trou à rats que toi et tes ancêtres chérissez tant. Qu’en dis-tu ? Je vais te laisser réfléchir un peu, rendez-vous ensuite où tu sais… Mais ne tarde pas trop quand même, le temps presse. Tic-tac, tic-tac…
Il prononça les derniers mots en ricanant exagérément, puis après un dernier regard lubrique vers Lars, détala dans la nuit à toute vitesse. Et le magicien ne put s’empêcher de taper le sol de ses pieds comme un enfant. Mais zut alors ! Cet abruti venait à nouveau de lui filer entre les doigts ! Et qu’est-ce qu’il préparait encore ?!
— Hey, du calme, l’Aristo, on va le retrouver ton démon, fit alors le petit chat et Lars se tourna vers lui, les yeux plissés de mécontentement.
Le gamin le dévisageait d’un air amusé, tout en s’allumant une cigarette, tranquille, alors qu’il avait encore ses armes en main. Mais comment diable arrivait-il à faire ça sans se tirer une balle en pleine figure ? Mystère. Il aspira ensuite une longue bouffée de nicotine, avant de faire un signe de tête négligent vers Liv en soufflant des ronds de fumée dans l’air.
— Il suffit juste de lui demander où se trouve ce fameux point de rendez-vous et puis voilà.
Lars ne répondit pas, absorbé malgré lui par le spectacle qu’offrait le petit chat en train de fumer. Le blondinet était diablement sexy dans sa manière de coincer sa cigarette entre ses lèvres. Et ce petit sourire en coin qu’il affichait tout en tirant sur la tige ! Ses yeux verts tout pétillants !! Lars en aurait bien fait son quatre heures, là tout de suite… mais il n’avait pas le temps. Et puis quel enquiquineur, franchement ! Comment ça son démon ? Non mais !!
C’était navrant comment une aussi jolie bouche pouvait débiter autant de bêtises en une seule et unique phrase. Désolant. Affligeant. Les courants d’air devaient s’en donner à cœur joie de courir entre les quelques pauvres neurones qu’abritait son cerveau de petit chat… Au moins, le gamin était très beau. La nature s’était montrée généreuse avec lui sur ce point.
— Primo, ce n’est pas MON démon comme tu dis et secundo, je suis parfaitement calme, merci, grinça finalement Lars. Il se détourna ensuite avec dédain, faisant claquer le pan de son manteau au passage dans un geste volontairement crâneur.
Plantant royalement le gamin sur place, le magicien se dirigea ensuite à grands pas vers Liv. Celle-ci le regarda s’approcher sans rien dire. Lars ne manqua cependant pas de noter que ses bras se refermèrent davantage sur les deux enfants serrés contre elle.
Elle se méfiait de lui, maintenant ? Il ne manquait plus que ça.
Enfin, peu importe ! Il était hors de question qu’elle rejoigne l’autre Poubelle et encore moins qu’elle lui donne l’anneau ! Lars leva les yeux au ciel, avant d’aviser l’enfant que la jeune femme continuait de garder contre sa poitrine, dans un geste désespéré.
— A votre place, je lâcherais ce marmot, dit-il d’un ton posé. Vous savez très bien que c’est trop tard pour lui… et que c’est dangereux de le garder dans vos bras, comme ça.
— Maman ? hoqueta sa fille d’une voix larmoyante. Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?
— Rien, ma chérie. Ne t’inquiète pas, ça va aller pour Sander, murmura Liv en relevant la tête avec défi et détermination. Le mouvement eut pour effet de rejeter ses cheveux en arrière et dévoiler ses oreilles désormais pointues.
Elle était encore plus captivante sous sa véritable forme. Et surtout lorsqu’elle prenait cette attitude rebelle ! Si ravissante… et en même temps si énervante.
— Lâchez cet enfant, Liv, répéta Lars, avec impatience.
— Sauvez-le ! Vous êtes Lars Strøm, vous pouvez le faire ! répliqua-t-elle avec virulence.
Le jeune homme haussa un sourcil irrité. Elle devait le confondre avec le bon samaritain, parce que là franchement, ça commençait à devenir ridicule ! Il ouvrit la bouche pour l’envoyer paître par la grande porte, mais le petit Sander choisit cet instant pour se réveiller.
Enfin… façon de parler.
Ses paupières s’ouvrirent soudain, dévoilant des pupilles jaunâtres et fendues. Vif comme l’éclair, il se dégagea ensuite des bras de Liv et bondit en arrière dans un grognement bestial. L’enfant – ou plutôt la chose qui occupait désormais son corps – se réceptionna à quatre pattes avec agilité, tout en crachant telle une bête enragée.
Des mains griffues qui raclaient le sol, une peau grisâtre et parcheminée, des yeux injectés de sang, des crocs dégoulinant de bave… Exit, le petit garçon mignon, c’était une véritable horreur tout droit sortie des entrailles des Enfers qui leur faisait désormais face.
— Sander… souffla Liv d’une petite voix étranglée et la posture figée.
Puis ses épaules s’affaissèrent soudain, ployant sous le poids de l’accablement. Pauvre femme, cette nuit ne lui aura décidément rien épargné entre son mari mort et son village désormais à l’agonie… Et pour couronner le tout, sa fille se blottit contre elle en sanglotant bruyamment. Ciel, comme ses braillements étaient une torture pour les oreilles ! Lars dut se faire violence pour ne pas lui coller un bâillon magique sur la bouche, tant ses larmes de crocodile l’exaspéraient.
Voilà pourquoi il avait horreur des enfants et des ados boutonneux : en plus d’être de véritables boulets, ils étaient râleurs ou pleurnichards, ou alors les deux ! Bref, invivables ! Lars était plus qu’heureux de ne pas en avoir dans les pattes.
Coucou ! Alors, toujours avec Lars et le petit chat pour la suite de leurs (mes)aventures ? XD Que pensez-vous de cet énième retournement de situation ? J'ose espérer que vous n'êtes pas en train de lever les yeux au ciel à vous dire "Mais bon sang, elle n'est pas prête de se finir cette nuit ou quoi ?" mouehehe
Gros bisous et je vous dis à Dimanche prochain pour la suite !
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