Épisode 14 - Un bain et plus si affinités (Partie 1)
C’est en poussant un long soupir exaspéré que Lars rejoignit sa chambre. Il ouvrit la porte d’un geste brusque et pénétra dans la pièce à grands pas. Les réactions démesurées de Noro l’énervaient au plus haut point ! Il fallait pourtant qu’elle réapprenne à se mêler aux gens. Bon, la communauté surnaturelle était un véritable nid de guêpes certes, mais Noro avait du caractère. Elle était forte et contrôlait parfaitement ses pouvoirs maintenant. Enfin, presque parfaitement. Si elle arrêtait juste d’en avoir peur !
Nouveau soupir tandis que Lars traversait ses appartements pour foncer vers la salle de bains. D’habitude, il s’accordait un petit moment pour admirer la beauté et l’élégance des lieux. Savourer la quiétude, respirer l’odeur de menthe et de citron qui flottait dans l’air. A chaque fois, il avait l’agréable impression de retrouver la maison de son enfance, d’être à nouveau près de son père, au cœur d’un doux océan de boiseries et de fourrures…
Il passa devant son lit, puis dépassa l’immense fenêtre qui donnait sur le parc. Sa chambre occupait le sommet de la tour Est et offrait une vue des plus époustouflantes. Mais à cet instant précis, Lars n’avait pas la tête à en profiter. Il ne souhaitait qu’une seule chose : quitter enfin ses vêtements crasseux et prendre un bon bain chaud ! Certes, le retour de sa magie avait requinqué ses muscles endoloris, mais son corps n’arrivait pas à oublier l’horrible sensation des sales pattes de Déchet sur lui. D’incontrôlables frissons ébranlèrent sa colonne vertébrale lorsque Lars repensa au contact de ses lèvres immondes…
Stop ! Le jeune homme secoua furieusement la tête pour tempérer son cerveau en ébullition. Il avait vraiment besoin de se détendre, se vider l’esprit, ne penser à rien le temps de quelques heures. A rien de désagréable du moins.
Sa bouche s'étira malgré lui en un léger rictus alors qu’il se retrouvait enfin dans sa salle de bains, son petit coin de paradis ! A l’instar de sa chambre, l’endroit était spacieux et magnifique, rien à voir avec la misérable boîte à sardines chez Liv. Les lieux faisaient davantage penser à des thermes avec leurs colonnades en marbre blanc. Gravés de runes et de symboles, les piliers soutenaient une voûte entièrement vitrée d’où se déversait un flot de lumière matinale.
Au centre de la pièce, creusée à même le sol, trônait un bassin circulaire qui devait faire dans les trois mètres de diamètre. La piscine était taillée dans une étrange roche noire striée d’une myriade de points et de filaments améthystes. Quatre loups en pierre se dressaient en cercle sur le rebord, la tête levée vers le ciel. Chaque duo encadrait des marches qui descendaient dans le bain encore vide. L’ensemble offrait un superbe contraste avec la blancheur immaculée du marbre et sa mosaïque étincelante.
Lars déposa le blouson du petit Chat sur le rebord du bassin, puis se débarrassa de ses vêtements qu’il jeta dans un coin sans ménagement. Le jeune homme descendit ensuite dans le bain, agita une main nonchalante. De l’eau chaude jaillit aussitôt de la gueule béante des loups. Elle se déversa sur lui dans un grondement sourd, pour son plus grand plaisir. Pendant ce temps, Lars fit apparaître sa bouteille de gel douche, il entreprit ensuite de se frictionner vigoureusement de la tête aux pieds avec une généreuse quantité de savon. Le doux parfum citronné l’aida à se détendre, pendant que l’eau coulait sur sa peau, emportant avec elle les toutes dernières traces de cette horrible nuit.
Une fois bien propre et rincé, Lars vida le bassin d’un claquement de doigt, avant de le remplir à nouveau. Il se laissa ensuite couler dans l’eau chaude, s’immergeant jusqu’à la taille. Le magicien ne put retenir un soupir d’aise en s’installant confortablement. Il s’accouda contre la paroi en pierre, rejeta la tête en arrière puis ferma un instant les yeux. La température était parfaite, la chaleur caressait délicieusement sa peau, délassait ses muscles tendus par le stress… C’était exactement ce dont il avait besoin pour oublier, chasser l’angoisse qui continuait de le tenailler, surtout lorsqu’il repensait au moment où Déchet avait essayé de… La nausée le prit à la gorge.
Vite ! Des pensées agréables ! Et Lars songea aussitôt au petit Chat et ses magnifiques yeux verts. A ses lèvres toutes douces, son odeur si addictive… Un flot d’excitation le submergea dans la seconde suivante, enflammant son bas-ventre. Le tourbillon de sensations exquises fut cependant bien vite balayé par une immense frustration.
Maudit petit Chat ! Pourquoi a-t-il fallu que cet idiot fasse son enquiquineur jusqu’au bout ?! Résultat : Lars avait fini par perdre patience et l’envoyer quelque part… très loin. Loin de lui et de son lit ! Et pourtant, ils se seraient si bien amusés ensemble. Dans son bain, dans ses draps… Lars aurait savouré chaque centimètre carré de sa peau aux senteurs boisées. Il aurait passé la nuit à le cajoler, le faire ronronner de plaisir. Encore et encore. Et encore.
Tu ne sais même pas s’il est intéressé par les hommes ! se moqua une petite voix dans sa tête, coupant court à ses divagations érotiques. Et son nom ? Comment s’appelle-t-il déjà ?
Lars balaya la dernière remarque d’un haussement d’épaules agacé. Depuis quand était-ce obligatoire de retenir le prénom de quelqu’un pour partager sa couche ?! La curiosité vint toutefois le titiller et le magicien agita négligemment un doigt. Le blouson du petit Chat s’éleva dans les airs. Les multiples poches se vidèrent et le contenu flotta devant lui : un portefeuille, un paquet de cigarettes, des chargeurs de pistolet, un téléphone et même des préservatifs. Le petit Chat était prévoyant, à la bonne heure !
Lars ne put réprimer un rictus amusé en constatant qu’ils étaient parfumés à la menthe. Le ravissant blondinet avait bon goût en plus ! Il fallait absolument qu’ils se revoient pour pouvoir utiliser tout ça ! Cette simple idée suffit à faire de nouveau monter son excitation. Le feu revint le tourmenter sous la ceinture et des frissons hérissèrent délicieusement sa peau alors qu’il repensait aux émeraudes malicieuses...
Le jeune homme ravala tant bien que mal le sourire niais qui étirait ses lèvres en reportant son attention sur les affaires du petit Chat. D’un geste de la main, il renvoya les babioles dans les poches de la veste qui retourna ensuite sagement sur le rebord du bassin. Ne restait plus que le portefeuille, une belle pièce en cuir, mais au style très impersonnel. Qu’est-ce que son propriétaire pouvait bien y ranger… cacher ?
Lars hésita un instant, mais le peu de retenue qui l’habitait fut vite chassé par son intérêt grandissant pour le blond. Oui, la curiosité c’était peut-être mal, mais le petit Chat n’avait qu’à ne pas laisser traîner ses affaires n’importe où non plus !
C’est presque avec impatience qu’il vida le portefeuille de son contenu : des clés, des billets de banque, des papiers d’identité et des photos flottèrent aussitôt dans l’air. Les papiers étaient au nom d’un certain Taras Wayne. Taras, Taras… Rien à voir avec le prénom que le gamin n’avait cessé de lui rabâcher durant la nuit. Lars n’arrivait pas à s’en souvenir, mais c’était quelque chose de plutôt mignon avec un O à la fin. Un nom de chat…
Il écarta les papiers d’un geste nonchalant pour examiner les photos : il y en avait trois. L’une d’elle représentait un couple entourant un petit garçon. Lars reconnut aussitôt la tignasse blonde et les yeux verts. Serré entre ses parents, le petit Chat rayonnait littéralement de bonheur. Ses deux émeraudes transpiraient l’amour et l’innocence.
Sur la seconde photo, le petit Chat, adolescent, posait avec sa mère et deux marmots encore en couche culotte. Il souriait toujours, mais Lars voyait très bien que le cœur n’y était pas. L’étincelle de joie qui brillait si intensément dans ses yeux avait disparu. Ne restait plus qu’un sourire de façade. Lars savait très bien les reconnaître, il était passé maître dans l’art. Sans même s’en rendre compte, il avança une main et effleura le cliché du bout des doigts tout en repensant aux sourires que le petit Chat avait constamment affichés durant la nuit. En coin ou jusqu’aux oreilles, ses rictus n’avaient plus rien à voir avec celui du petit garçon rayonnant de la première photo. Ils étaient tout en joie oui, mais une joie féroce, sauvage, presque perverse.
Adorable petit Chat, songea Lars, en caressant doucement le sourire crispé du blondinet. Si ravissant, si intrigant, mais en même temps si irritant ! Il avait intérêt à venir chercher son blouson au plus vite. Lars avait l’intime conviction que le gamin n’aurait aucun mal à le retrouver. Ne serait-ce que pour récupérer ses photos. Pour ce qui était du reste, le magicien en faisait son affaire. Peu importe les goûts du petit Chat au lit, Lars était impatient de lui faire découvrir de nouveaux horizons encore plus excitants.
— Larsounet, tu es là ?
Du bruit en provenance de sa chambre le tira de ses rêveries. Lars renvoya le bazar du petit Chat dans son portefeuille, au moment où une douce et envoûtante odeur de jasmin envahissait l’air. Cédès. Cette dernière débarqua comme une tornade dans la salle de bains, sans la moindre gêne comme à son habitude. Elle se planta au bord du bassin, face à lui, les poings sur ses hanches voluptueuses. Ses iris mordorés le fixaient avec contrariété.
Lars dut faire de sérieux efforts pour ne pas lever les siens au ciel. Mais qu’est-ce qu’elles avaient toutes à le foudroyer du regard ce matin ? Il n’était vraiment pas d’humeur…
— Cece ? Qu’est-ce que tu fais ici à cette heure ? s’enquit-il en claquant la langue avec agacement et sans esquisser le moindre geste de bienvenue.
Au contraire, il se coula davantage dans son bain alors que son amie agitait un doigt irrité dans sa direction. Elle était magnifique dans sa longue robe fluide : la jupe fendue jusqu’en haut des cuisses et le décolleté vertigineux ne laissaient aucune place à l’imagination. Le tissu doré glissait sensuellement sur sa peau couleur bronze. Et pour compléter sa tenue aussi élégante qu’affriolante, Cédès avait ramené ses cheveux rouge sang au-dessus de sa tête, un peu comme une couronne. Une coiffure compliquée qui lui allait à ravir.
— Depuis quand ai-je besoin d’une raison ou d’une heure précise pour venir te voir ?! Même si oui, je suis là pour te botter les fesses, chéri. Comment as-tu osé me poser un lapin hier soir ?! Depuis le temps qu’on voulait tester le sexe avec des djinns !
Ah oui les djinns… C’est vrai qu’il avait raté une occasion de coucher avec ces êtres magnifiques, mais curieusement, il n’était pas déçu. Et ses pensées dérivèrent à nouveau vers le petit Chat dont le charme et la beauté dépassaient largement celle de n’importe quelle créature surnaturelle. C’était terriblement excitant.
Son esprit s'aventura à nouveau vers des contrées où la chasteté n’avait pas sa place, mais les jérémiades de Cédès le rappelèrent à l’ordre. Sans cesser de pester contre lui, elle agitait ses bras dans de grands gestes qui se voulaient menaçants, mais que Lars trouvait tout simplement mélodramatiques. Il ravala cependant bien vite le sourire qui commençait à étirer le coin de sa bouche. Sage décision s’il ne voulait pas se retrouver avec des centaines d’araignées venimeuses dans son bain. Cela ne lui vaudrait cependant qu’un court instant de répit avant que Cece ne déverse enfin sa colère dévastatrice sur lui. Entre elle et Noro, il n’arrivait pas à trancher laquelle était la plus terrifiante et mortelle.
— Navré Cece, mais les Dieux avaient d’autres plans pour moi cette nuit, grommela Lars avec humeur. Une mission beaucoup plus compliquée que prévue... Alors cette orgie ? s’enquit-il ensuite alors qu’elle continuait de le couver d’un regard lourd de reproches. Comment était-ce ? Avec combien de djinns t’es-tu amusée ?
— Je me suis ennuyée à mourir ! cracha Cédès en faisant la moue. Comme quoi la beauté et les muscles ne font pas tout ! Et puis, les plans à trois c’est tellement moins excitant quand tu n’es pas là ! J’espère que tu as prévu quelque chose de fabuleux pour te faire pardonner parce que je suis vraiment fâchée ! Et sinon, quel est donc cet affreux vêtement que tu gardes près de toi ? Depuis quand portes-tu des horreurs pareilles ?!
— Cette horreur comme tu dis n’est pas à moi, répliqua Lars avec irritation.
Oui le blouson était moche, mais curieusement, la remarque de Cece l’agaçait profondément. Sans même qu’il s’en rende compte, ses lèvres se pincèrent de contrariété.
— Cette jolie veste appartient à un magnifique petit Chat que j’ai rencontré cette nuit… Il viendra la récupérer bientôt, alors je la garde près de moi, voilà.
— Un petit Chat, dis-tu ? répéta Cédès en haussant ses sourcils parfaitement dessinés. Et tu comptes l’adopter ? Chéri, dois-je te rappeler que la dernière fois que tu en as pris un sous ton aile (et dans ton lit par la même occasion), cela s’est très mal terminé pour toi ?!
Tout en parlant, elle fit glisser les bretelles de sa robe le long de ses épaules d’un mouvement impatient. Le vêtement tomba aussitôt à ses pieds, la laissant entièrement nue devant lui. Et Lars ne se gêna pas du tout pour la caresser du regard, admirer ses courbes sensuelles. Les rayons matinaux scintillaient délicieusement sur sa peau dorée.
Cédès était l’incarnation même de la luxure. Elle le savait parfaitement et ne manquait jamais une occasion pour en jouer. Comme à cet instant précis. Lars ne put d’ailleurs retenir un sourire amusé lorsqu’elle en rajouta une couche en retirant les pinces qui retenaient ses cheveux. Les mèches écarlates cascadèrent sur ses épaules, offrant un spectacle encore plus érotique que jamais. Lars en oublia presque sa précédente question.
— La dernière fois, ce n’était pas un chat que j’ai invité dans mon lit, mais un serpent, finit-il par répondre en la regardant descendre lascivement les marches pour le rejoindre dans l’eau, telle la déesse du péché en personne. Mon petit Chat n’a rien à voir avec ce reptile immonde. Depuis le temps, j’ai appris à reconnaître les serpents.
— Mmmmm, fit Cédès, l’air pas du tout convaincu. Ton petit Chat, hein ?
Elle se planta ensuite devant lui, les poings à nouveau sur les hanches, tout en le couvant d’un regard inquisiteur. Sa divine poitrine s’en retrouvait offerte, juste sous le nez de Lars. On croirait presque à une invitation. Ou pas. Dans un geste à la fois impérieux et sensuel, Cece se détourna en effet de lui pour lui présenter son dos.
— Et maintenant Larsounet, debout. Je veux que tu me masse les épaules ! ordonna-t-elle.
— Je déteste ce surnom ridicule, grommela l’interpellé en levant un sourcil agacé.
— Je sais, mais moi je le trouve mignon. Je t’appelle comme je veux ! Et maintenant, fais-toi pardonner, chéri : masse-moi les épaules.
— Je ne suis vraiment pas d’humeur, Cece. La nuit a été très éprouvante.
Depuis le temps qu’ils se connaissaient, Cédès ne manqua pas la légère fêlure dans sa voix. Elle se retourna aussitôt et s'agenouilla à sa hauteur. Ses yeux mordorés le fixaient désormais avec inquiétude, alors qu’elle attrapait ses mains dans les siennes.
— Que s’est-il passé ? Raconte-moi !
Lars haussa les épaules sans répondre. Il n’avait pas très envie de raconter comment il avait eu un mal fou à mettre la main sur un pathétique déchet des enfers de Dante. Il souhaitait encore moins faire étalage de son impuissance lorsque cette maudite raclure avait tenté de s’en prendre à sa vertu…Le dernier mot lui arracha un petit ricanement amusé. Rien de mieux que l’auto-dérision pour dédramatiser les choses.
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