Épisode 20 - Dans l’Antre du Dragon (Partie 1)
Lars tira longuement sur sa cigarette pendant que le petit Chat s’empiffrait à ses côtés. Ils se trouvaient dans le quartier asiatique de Londres, bêtement plantés sur un bout de trottoir, face à la devanture lumineuse et tape à l'œil d’un restaurant chinois. A priori rien d’intéressant, si ce n’était le nom de l’établissement : Lóng de Cháoxué.
Très bien. Comme il fallait s’y attendre, la boîte de nuit était sous couverture. Et donc quoi ? Les protocoles des sociétés secrètes humaines restaient plus ou moins les mêmes qu’aux Moyen Âge, non ? Lars se souvenait de l’époque décidément amusante où ils étaient membres du Prieuré de Sion ou encore de l’Ordre hermétique de l’Aube dorée avec Cece. Tout passait généralement par une invitation, un mot de passe…
De toute façon peu importe, du moment qu’ils quittaient enfin cette maudite rue noire de monde. Lars avait une sainte horreur de la foule !
Mais qu’est-ce qu’ils attendaient pour entrer dans ce foutu restaurant, bon sang ! Il n’avait pas toute la nuit non plus ! Surtout que cet idiot de petit Chat ne trouvait rien de mieux que de s’extasier sur les gâteaux du petit déjeuner. Noro avait emballé tout ce qui restait dans un sac en papier qu’elle avait ensuite fourré dans les mains du gamin, telle une mère donnant le goûter à son marmot avant que celui-ci n’aille à l’école.
Cela ne faisait même pas un jour et elle l’avait déjà adopté ! Misère…
— Ouah ! Trop bon, les gâteaux ! C’est la première fois que j’en mange… c’est quoi ?!
— On parlera pâtisserie plus tard, tu veux ?! répliqua Lars dans un claquement de langue irrité. On perd du temps, il faut retrouver Ørjan au plus vite !
— OK. Mais rappelle-moi déjà qui est allé se recoucher ce matin, pour ne se réveiller qu’en fin d’après-midi ? se moqua le petit Chat en fourrant un dernier gâteau dans sa bouche.
Il froissa ensuite l’emballage en papier sans cesser de ricaner comme un imbécile avant de le jeter dans la poubelle la plus proche. Sans crier gare, il se tourna ensuite vers Lars et lui prit sa cigarette des lèvres avec un petit sourire enjôleur. Il aspira une bonne bouffée de nicotine, puis le mégot éteint s’en alla rejoindre l’emballage dans la poubelle.
Et puis soudain, Lars n’eut même pas le temps de réagir que l’attitude du gamin changea du tout au tout : son grand sourire enjoué se mua en un rictus féroce. Sa tête de petit Chat si adorable laissa place à celle d’un vicieux prédateur, impatient de traquer sa proie.
— Reste près de moi et ne fais pas de vagues, ordonna-t-il à Lars, avant de traverser la rue, les mains nonchalamment glissées dans les poches de son blouson.
Lars le suivit un instant du regard, ravalant la réplique acerbe qui lui brûlait les lèvres. De quel droit cet abominable gamin osait lui donner des ordres comme à un vulgaire subalterne ? Son attitude dominatrice était aussi agaçante… qu’excitante.
Plein d’images frivoles envahirent aussitôt son esprit à cette pensée et Lars secoua la tête pour les chasser de sa tête. Ce n’était vraiment pas le moment de se laisser distraire ! Il traversa la rue dans une tentative peu efficace de se changer les idées.
Le petit Chat se permit de claquer la langue d’impatience lorsqu’il arriva à sa hauteur. Lars le fixa avec dédain pour toute réponse. Il ouvrit ensuite la porte du restaurant, bien décidé à faire une entrée digne de sa personne, mais son indésirable compagnon le poussa à l’intérieur sans ménagement. Non mais ! Il entraîna ensuite Lars vers le comptoir derrière lequel s’affairait un vieil homme qu’il aborda dans un chinois quasi-parfait.
Eh bien, eh bien ! Lars en oublia de se plaindre. Ce gamin n’en finissait décidément pas de le surprendre. Surtout que… c’est vrai qu’il savait aussi parler norvégien ! Or c’était clair qu’aussi blond et beau soit-il, ce délicieux petit Chat n’en était pas un.
C’est avec un intérêt redoublé que Lars reporta son attention sur son acolyte. Celui-ci sortit un jeton en métal de sa poche et le déposa devant le vieillard qui examina l’objet sans rien dire avant de le rendre à son propriétaire. D’un geste de la main, il leur montra ensuite la porte derrière le comptoir, puis retourna à ses petites affaires comme si de rien n’était.
— Alors comme ça tu parles chinois, commenta Lars alors qu’ils passaient la porte.
Le petit Chat se contenta de lui adresser un sourire éclatant par-dessus son épaule. Ce ne fut que lorsqu’ils débarquèrent dans une cuisine bruyante et complètement chaotique qu’il répondit enfin, toujours avec son si joli sourire aux lèvres.
— Ouais. T’as même pas idées de tous les trucs que je sais faire, l’Aristo, se vanta-t-il, tout en évitant habilement de se prendre une poêlée de nouilles aux légumes en pleine figure.
— Ah bon ? Eh bien c’est parfait, parce que je n’attends que ça, mon adorable Chaton : découvrir tous tes talents cachés… répliqua Lars dans un murmure qui se perdit dans le vacarme ambiant et que son interlocuteur n’entendit sûrement pas.
Leurs périples à travers les cuisines plus que douteuses du restaurant se terminèrent devant une autre porte, cette fois-ci en métal et gardée par deux hommes. Chacun était armé d’un dao (1) aux lames brillantes et clairement très affutées.
Le petit Chat leur tendit son jeton, l’un des videurs (ou quoi qu’ils fussent) le prit et l’examina soigneusement. Pendant ce temps, son acolyte les jaugeait ouvertement d’un œil acéré. Son regard s’attarda sur Lars qui lui adressa un petit rictus en retour.
— Hǎo le (2), annonça celui qui inspectait l'authenticité du jeton. Ils peuvent entrer.
Puis sans plus de cérémonie, il lança la pièce vers le petit Chat qui l’attrapa au vol avec un petit sourire. Son rictus se mua cependant bien vite en grimace lorsque deux paires de mains se tendirent impérieusement vers lui.
— C’est vraiment nécessaire ? On passe juste en coup de vent, le temps de…
— Pas d’armes à feu dans le club, Shīzi (3).
Les deux autres le fixaient d’un air implacable, les paumes toujours tendues en avant. Le petit Chat finit par s’exécuter en ronchonnant, cédant ses pistolets de très mauvaise grâce.
— Bon, maintenant que les jouets ont été confisqués, on aimerait bien entrer, merci ! se décida à intervenir Lars en tapant du pied avec impatience. Nous sommes pressés ! Et non, je n’ai pas d’armes sur moi, donc inutile de me fouiller !
Sur ces mots aimables, ils pénétrèrent enfin dans l’Antre du Dragon. Mais la satisfaction de Lars ne fut que de courte durée. Il se retrouva en effet en plein cœur d’une foule compacte. L’angoisse le prit aussitôt à la gorge, il se sentit étouffer au milieu de tous ces gens. La chaleur était terrible. Sans parler de cette cacophonie assourdissante qu’ils osaient appeler musique. Et que dire de l’éclairage ! Encore heureux que Lars ne soit pas épiléptique.
Mais qu’est-ce qui lui avait pris de vouloir venir ici avec le petit Chat ? Il avait complètement oublié que tous les endroits de ce genre n’étaient pas comme le Luxury Eve ! Par les Dieux, il aurait dû attendre dans le restaurant et se commander une soupe !
Acculé et bousculé de toute part, Lars fut pris de tremblements malgré lui. A tel point que ses jambes menacèrent de le lâcher à tout moment. Sa respiration devint chaotique. Son cerveau se liquéfia comme de la glace en plein soleil. Une peur panique se faufila vicieusement dans chaque recoin de son être, occultant ce qui lui restait de bon sens.
Inspire, Lars, expire, se morigéna-t-il. Tu es un puissant magicien, tu es un puissant magicien… Tout va bien. Tout va bien. Tu.es.un.puissant.magicien.
Mais sans succès. Il n’arrivait pas à se calmer. La proximité avec tous ces gens le rendait malade. Il n’avait désormais plus qu’une seule et unique pensée en tête. Ses mains se tendirent d’elles-mêmes en avant, son aura enflamma ses yeux et ses paumes… Au diable les règles sur l’usage de la magie dans le monde des humains. Il devait quitter cet endroit !
— L’Aristo ! Mais qu’est-ce que tu fous, merde ?!
La voix courroucée du petit Chat brisa l’état de transe effrayée qui paralysait Lars.
— Je t’ai dit de rester près de moi ! Cet endroit est dangereux, putain ! Presque tous ces gens sont des tueurs professionnels, tu piges ? Alors ouais, je sais que t’es un sorcier hyper badass et tout, mais… Hey, ça va ? L’Aristo… l’Aristo !
Ce dernier s’était jeté sur le petit Chat dans un mouvement de panique. Ses doigts agrippèrent convulsivement le blouson du gamin, puis Lars enfouit son visage dans son cou pour respirer son odeur à plein poumons. Comme il l’espérait, les effluves boisés l’enveloppèrent aussitôt telle une couverture protectrice. Ils chassèrent les relents dégoûtants de sueur et de cigarettes bon marché. Calmèrent un peu son angoisse.
— Je veux sortir d’ici, gémit Lars dont la dignité n’était plus qu’un lointain souvenir.
Le petit Chat ne l'avait sûrement pas entendu. De toute façon, peu importe ! Seul comptait le soulagement que Lars ressentit lorsque les bras de son adorable Chaton se refermèrent autour de lui. Ses gestes étaient gauches et hésitants, Lars l’entendit vaguement lui dire quelque chose, mais n’y prêta aucune attention.
Sans le lâcher, le gamin se mit ensuite en mouvement, bravant laborieusement la foule. Pendant ce temps, Lars continuait obstinément de s’accrocher à lui, telle une moule à son rocher. Alors oui, son attitude n’avait absolument rien de glorieux, mais là, maintenant, le magicien s’en fichait éperdument. Il ne voulait surtout pas quitter ces bras réconfortants. Non non non, tout sauf être à nouveau ballotté au milieu de tous ces gens !
Et puis soudain, la cacophonie ambiante s’atténua, la chaleur devint moins oppressante. Le petit Chat attrapa Lars par les épaules et lui fit gentiment lâcher prise. Dans des gestes toujours aussi maladroits, mais en même temps d’une étonnante douceur, il l’installa ensuite sur ce qui ressemblait à une banquette. Lars se laissa faire à contre-coeur.
— Hey… ça va ? C’était quoi cette mini-crise de panique ? demanda le gamin en fronçant légèrement les sourcils et tout en s’acroupissant pour se mettre à la hauteur de Lars.
Ce dernier se mura dans un silence ronchon, détournant la tête pour échapper aux deux émeraudes inquisitrices. La respiration toujours aussi courte et les joues brûlantes de honte, il préféra s’intéresser au lieu où le petit Chat l’avait conduit : il se trouvait désormais dans un espace VIP avec des banquettes en cuir rouge qui entouraient une table basse. Un lustre en forme de lampion pendait au-dessus de leurs têtes, diffusant un éclairage agréablement tamisé. Des dragons serpentaient partout sur les banquettes, la table et les murs. Une douce odeur de thé oolong flottait dans l’air.
— OK… Bon, ne bouge surtout pas d’ici. Je vais te chercher un truc à boire.
Le petit Chat s’en alla ensuite, non sans lui avoir jeté un regard circonspect au passage. Une fois seul, Lars retira son pardessus qu’il déposa près de lui, puis se laissa aller contre la banquette en soupirant. Il ferma les yeux, se traita mentalement d’idiot fini. Il maudit également Ørjan. Ce dernier savait pour cette fichue claustrophobie que Lars traînait comme un boulet depuis son enfance. Il savait et devait sûrement se délecter de sa crise de tout à l’heure, où qu’il soit. Maudit serpent !
— Tiens, tiens… mais qu’avons-nous donc là ? susurra soudain une voix de femme en chinois. Depuis quand Leo traîne en boite en aussi bonne compagnie ? Coucou toi…
La seconde d’après, quelqu’un se glissait sur la banquette aux côtés de Lars, puis le bout glacial d’une lame tranchante se pressait contre sa gorge.
Mais bon sang ! Un peu de calme… était-ce trop demandé ?!
(1) Dao : épée chinoise
(2) Hǎo le : expression chinoise qui veut dire "c'est bon, c'est ok"
(3) Shīzi : lion en chinois
Coucou ! De retour pour un nouvel épisode ! Lars et le petit Chat se lancent enfin dans leur folle traque pour retrouver Ørjan ! Et comme vous avez pu lire, notre Larsounet n'est décidément pas au bout de ses peines, le pauvre ! D'abord la crise de panique et maintenant cette nouvelle venue qui lui colle un couteau sous la gorge pfff Non, mais sérieux, pourquoi le destin s'acharne autant contre une si charmante personne ???? :p
Sinon, pour les gourmands et les gourmandes, parlons-en un peu des fameux petits gâteaux de Noro ! Il s'agit de pâtisseries malagasy : des petits gâteaux à base de farine de riz et qui existent en version sucrée et salée, respectivement appelées "Mofo Gasy" (prononcez moufou gassy) et Ramanonaka (prononcez le O OU !). Les mofo gasy sont moelleux à souhait tandis que les ramanonaka sont croustillants à l'extérieur et bien fondants à l'intérieure. Ils se dégustent idéalement en pti déj et goûter avec du thé !
Je vous dis à TRES bientôt pour la suite de l'épisode 20, avec ENFIN des révélations croustillantes sur le petit Chat (que je trouve décidément adorable comme tout, pas vous ?) D'ici là, portez-vous bien ! Je guette vos étoiles et commentaires ! Bisous
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