Épisode 26 - La dure réalité de la vie
Lars soupira en se laissant aller sur le lit. Ils étaient de retour dans la chambre du fameux Cole après une longue et merveilleuse parenthèse intime sous la douche. Lars repensa aux lèvres et aux mains de Léo sur lui, à son corps contre le sien… Sa peau se couvrit aussitôt de milliers de frissons malgré les vêtements chauds et secs qu’il venait d’enfiler.
Il portait désormais un large pull noir orné d’une tête de bouc et d’un pentagramme à l’envers. Charmant. Le vêtement lui tombait jusqu’aux genoux, masquant presque son short. A des années lumières de son style habituel, Lars se sentit d’un ridicule affligeant dans sa nouvelle tenue. Mais l’heure n’était pas à la vanité.
Et puis, c’était plutôt confortable.
Lars se redressa sur le coude pour observer son adorable Chaton, également vêtu d’un pull et d’un short. Il avait décidément beaucoup d’affaires de rechange chez Miss Sushis. Lars essaya de ne pas s’attarder sur ce détail ô combien énervant, mais il ne put s’empêcher d’y songer et d’en être profondément agacé.
Désolant.
— Ça va ? demanda Leo en s’approchant.
Lèvres pincées, Lars leva la tête vers lui pour fondre aussitôt face à ses si jolies émeraudes. Le petit Chat le fixait d’un air à la fois attentif et plein d’appréhension. Il s’installa à ses côtés d’un geste nonchalant, mais Lars percevait parfaitement sa gêne. Le gamin gigota un peu sur sa place, tritura un bout de couette, réprima maladroitement un soupir. Et Lars ne put s’empêcher de le trouver désespérément adorable.
— Et donc euh… ça va mieux ? finit par répéter Leo d’un ton faussement dégagé.
Petit sourire crispé aux lèvres, il semblait clairement indécis pour ce qui était de l’attitude à adopter après… tout ça. Lars, lui, ne savait pas comment interpréter son malaise : était-ce parce qu’il regrettait d’avoir partagé un moment aussi intime et enflammé avec un homme ? était-il dégoûté ? Lars se mordit la lèvre en se détournant avec une certaine colère. Il n’allait quand même pas se prendre un autre vent de la part du petit Chat, si ?!
Une partie de lui avait une folle envie de se braquer et de l’envoyer méchamment sur les roses en premier. Mais la voix de la raison l’intima au calme et Lars finit par souffler longuement. Il daigna ensuite reporter son attention sur cet abominable chat de gouttière.
— Et toi ? Est-ce que ça va ? demanda-t-il en le dévisageant, un sourcil levé.
— Quoi ? Pourquoi ça n’irait pas ? répliqua aussitôt Leo, sur la défensive.
— Je ne sais pas.
Un long et inconfortable silence s’installa ensuite entre eux. Lars affichait désormais une moue contrariée, tandis que le gamin se tortillait bêtement à ses côtés.
Ils étaient ridicules.
Et comme si ce n’était pas assez, une petite voix mesquine dans le fin fond de son cerveau lui fit remarquer que Leo n’était pas un gamin, mais bien un homme. Un homme qui lui faisait clairement perdre la tête. Et qui venait de lui faire passer un pur moment d’extase et de bien-être sous la douche. Bon. Elle n’avait pas tort.
Et puis zut ! Lars non plus n’était pas un gamin. Il ferait mieux de se comporter en adulte et crever l’abcès dès maintenant au lieu de faire son drama dans son coin.
— Ecoute, mon Chaton… Leo, commença-t-il en essayant de prendre un ton posé, mais il se sentait terriblement affligé par toute cette conversation. S’il y a quelque chose qui ne va pas… par rapport à tout à l’heure. Tu peux me le dire, tu sais. Je ne vais pas te manger.
Nouveau silence alors que Lars se rendait compte de l'ambiguïté de ses derniers mots. Il dut se faire violence pour ne pas ricaner. Face à lui, son petit Chat se mordilla un instant la lèvre… avant d’exploser de rire. Apparemment, lui aussi trouvait le double sens de la phrase très drôle. Et Lars se laissa à son tour gagner par l’hilarité. Ils s’affalèrent sur le lit sans cesser de s’esclaffer comme des enfants. L’atmosphère se détendit complètement.
— Je vais très bien, assura Leo au bout d’un moment. Il se tourna ensuite vers Lars et lui fit son si ravissant petit sourire en coin. Et sinon, tu peux me manger quand tu veux. Babe.
Toujours allongé sur le matelas, Lars resta sans voix face à ces propos plus qu’explicites. Sans parler de ce ridicule petit nom qu’il ne pouvait cependant s’empêcher de trouver mignon. Il n’en fallut pas plus pour mettre à nouveau ses hormones en ébullition.
Le magicien (qui n’en était peut-être plus un) se redressa sur le coude. Puis sans plus de cérémonie, il se pencha vers son Chaton pour s’emparer de sa bouche. Il fondit aussitôt au contact de ses lèvres décidément exquises. Les plus délicieuses au monde…
Mais le charme fut bien vite rompu lorsqu’il sentit Leo se crisper légèrement contre lui. Zut ! Lars s’était jeté sur lui sans réfléchir. Il faut dire que ses dernières paroles sonnaient comme une invitation, mais c’était peut-être un peu trop tôt pour un second tour.
Il relâcha aussitôt sa nuque et fit mine de se reculer. Leo le retint cependant en glissant les mains dans son dos. Mieux encore, il l’attrapa par les hanches pour le tirer franchement sur lui et l’embrasser. Oublié le malaise, ses gestes respiraient le désir et l’assurance.
— Ce sweat-shirt Dimmu Borgir (1) n’a pas l’air de te plaire, chuchota-t-il entre deux baisers. J’ai très envie de te l’enlever… et si t’as froid, je fais une excellente bouillotte…
Joignant les gestes à la parole, il aventura ses paumes sous le vêtement qu’il remonta lentement, tout en effleurant délibérément la peau de Lars par la même occasion. Celui-ci frissonna de plaisir, puis sourit contre sa bouche, ravi de ce petit jeu sensuel entre eux. Il enroula ses doigts dans la tignasse blonde encore humide, se frotta contre lui dans un mouvement lascif. Ils gémirent de concert sans cesser de s’embrasser.
Leo le fit ensuite basculer sous lui en grognant d’impatience. Il délaissa la bouche de Lars pour cajoler son cou de ses lèvres et de sa langue. Pendant ce temps, ses mains continuaient de remonter son pull, elles parcoururent sa peau nue et frémissante de caresses. La respiration désormais haletante, Lars l’attira davantage contre lui dans une invitation à le couvrir entièrement de son corps de rêve. Ce qu’il fit sans se faire prier.
Lars adorait le sentir ainsi tout contre lui. Il ferma les yeux, complètement alangui dans ses bras. Sa chaleur et son odeur l’enveloppaient tout entier. C’était terriblement grisant.
— Qui êtes-vous ? Et qu’avez-vous fait du Saint petit Chat qui ne “kiffe” pas les hommes ? murmura-t-il en rejetant la tête en arrière pour lui donner un meilleur accès à sa gorge.
Leo fut dispensé de lui répondre lorsqu’un bourdonnement et des vibrations des plus désagréables rompirent soudain la quiétude des lieux. Il se redressa légèrement, la bouche toujours dans le cou de Lars, et tâtonna une main sur la table de chevet où se trouvait son téléphone. C’était donc cette chose qui osait perturber leur brûlante étreinte.
Lars ne put réprimer une grimace mécontente lorsque Leo se détacha complètement de lui pour consulter l’écran de son maudit téléphone. Ah lala, les jeunes et la technologie !
— Es-tu vraiment obligé de jouer avec cet… objet de servitude moderne là, maintenant ?
Lars se redressa à son tour sans cesser de ronchonner. Il posa un regard mauvais sur l’appareil qui continuait de vibrer entre les mains de son vilain Chaton. Ce dernier fixait l’écran, les sourcils froncés. Il semblait perplexe, voire contrarié. Quoi encore ?!
— Un appel, mais je ne connais pas le numéro… murmura Leo, comme pour lui-même.
— Ne répond pas dans ce cas, grogna Lars, la tête toujours aussi mauvaise.
Mais bien évidemment, monsieur la tête de mule ne l’entendit pas de cette oreille.
— C’est peut-être urgent, genre une info importante sur Ørjan, répliqua-t-il en décrochant.
Grave erreur. La voix furieuse de Cédès explosa comme une bombe dans la pièce.
— OU EST LARS ?! PASSE-LE MOI TOUT DE SUITE !!
Lars et Leo ne réagirent pas tout de suite, trop occupés à fixer le téléphone d’un air ahuri. Comment diable Cece connaissait-elle le numéro du petit Chat ? Mais surtout depuis quand utilisait-elle ces camelotes humaines pour le contacter ?!
— LARS ! Je sais que tu es là ! Réponds IMMÉDIATEMENT ou je te jure que…
Leo lui tendit aussitôt le téléphone, craignant clairement le courroux de Cédès dont la voix vibrait désormais de rage et d’anxiété mêlées. Lars ne fit cependant aucun geste pour s’emparer du boîtier plat dont la surface vitrée clignotait tel un sapin de Noël. Leo tenta de lui fourrer l’appareil entre les mains, mais Lars l’esquiva en lui faisant les gros yeux.
— Mais qu’est-ce tu fous ? chuchota furieusement Leo en lui brandissant l’objet maudit sous le nez. Tu sais pas te servir d’un Smartphone ou quoi ?
Bien deviné, Sherlock ! Lars lui répondit par un petit soupir excédé tandis que Cédès continuait de les menacer de mort à l’autre bout du fil. Elle semblait vraiment remontée, mais également très inquiète. Nouveau soupir et Lars consentit enfin à prendre le téléphone. C’est avec beaucoup de réluctance qu’il saisit l’appareil, l’attrapant du bout des doigts. Il le colla ensuite maladroitement contre son oreille sous l'œil désormais hilare de l’autre. Il était sûrement ridicule à se démener avec cet horrible moyen de communication.
— A… llo ?
— Lars ! Par tous les démons des enfers de Dante ! Tu vas bien ?!
— Cece…
— Mais qu’est-ce qui se passe, bon sang ?! hurla cette dernière, malmenant ses pauvres tympans sans le moindre état d’âme.
Lars grimaça de douleur en éloignant légèrement le téléphone de son visage. Pendant ce temps, Cédès continuait de brailler à l’autre bout du fil.
— Je n’arrive pas à te joindre par télépathie et la magie de protection qui entoure le domaine s’est affaiblie ! Qu’est-ce qui se passe ?? Es-tu blessé ?!
Lars resta silencieux, ne sachant que répondre. La Lilim qui les avait attaqués était une araignée comme Cédès. Cette dernière pouvait peut-être l’aider à récupérer sa magie… Ses espoirs retombèrent cependant bien vite lorsqu’il se souvint que chaque Lilim avait sa propre “essence” et que chaque venin avait donc sa propre signature… Cece ne pouvait rien pour lui, mis à part se faire un sang d’encre et l’abreuver de “je te l’avais bien dit”, “pourquoi tu ne m’écoutes jamais” et sans oublier les “c’est de la faute de cet horrible chat de gouttière”. Merci, mais non merci. Lars n’était vraiment pas d’humeur.
— LARS STRØMSEN (2) ! s’écria son amie alors qu’il ne répondait toujours pas.
— Je vais très bien, Cece, finit par grommeler l’interpellé en veillant à garder un ton parfaitement neutre. Tu n’as pas besoin de hurler comme ça. Je n’ai rien.
Face à lui, Leo roula des yeux comme un gamin. Il n’adhérait visiblement pas à son mensonge éhonté. Mais Lars l’ignora pour mieux se concentrer sur sa conversation avec Cédès. Il chercha soigneusement ses mots pour ne pas l’inquiéter. Elle ne devait surtout pas savoir pour sa magie. Lars n’avait pas envie de la voir débarquer aux Etats-Unis avec toute la cavalerie. Toute cette histoire ne concernait que lui et Ørjan.
— Je vais très bien, Cece, répéta-t-il, la voix devenue douce, presque cajoleuse. Inutile de t’inquiéter, d’accord ? Tout se passe très bien. Je n’ai pas encore réussi à mettre la main sur Ørjan, mais Leo… euh, le petit Chat a trouvé une piste. Et justement, on doit y aller. Maintenant. Merci d’avoir appelé. Je te tiens au courant. Au revoir !
Puis sans plus de cérémonie, il jeta le téléphone sur le lit comme s’il s’agissait d’une créature venimeuse sur le point de le mordre. Leo saisit aussitôt l’appareil pour tapoter frénétiquement sur l’écran, coupant Cédès dans sa diatribe indignée.
— Merci, grogna Lars.
Il ferma ensuite les yeux dans une attitude mélodramatique, puis se laissa tomber sur le lit en soupirant. Il savait qu’il allait payer très cher d’avoir osé raccrocher au nez de Cédès. D’ailleurs, il se préparait d’ores et déjà à subir son courroux. Mais plus tard. Là, maintenant, il retrouvait la dure réalité de sa vie pourrie et c’était vraiment douloureux. Encore plus que l’insoutenable mal de crâne qui lui martelait désormais les tempes.
—- Mais pourquoi tu lui as menti ?
Lars rouvrit les paupières, interpellé malgré lui par le ton énervé de Leo. Il croisa aussitôt son regard à la fois accusateur et teinté d’incompréhension.
— Quoi ? demanda-t-il sèchement.
— Comment ça, “tout va bien” ? Tout part en couilles, ouais ! fit le gamin sur le même ton. T’as perdu tes pouvoirs, merde ! Pourquoi t’en parle pas à tes amis ? Cette Cece, c’est une magicienne comme toi, non ? Elle pourrait t’aider à trouver un moyen plus rapide de…
— Si c’est une façon subtile de te débarrasser de moi maintenant que je suis un “boulet” sans magie, je trouve que tu as encore du chemin à faire, le coupa Lars d’une voix acide.
Sa tirade fut suivie d’un moment de flottement. Les yeux de Leo se plissèrent de colère.
— Je vais faire comme si tu venais pas de sortir cette putain de connerie ! cracha-t-il.
Lars ouvrit la bouche dans l’intention de lancer une réplique cinglante, mais Miss Sushis choisit cet instant pour faire son entrée, un plateau dans les bras.
— Toc, toc, claironna-t-elle. J’apporte la soupe ! J’espère que vous avez f…
— Non merci. Je vais passer quelques coups de fil, l’interrompit sèchement Leo.
Poings et mâchoire serrés, il bondit hors du lit. Lars le suivit d’un regard contrarié alors qu’il se ruait vers la sortie. Il passa en trombe devant Miss Sushis et son plateau de soupe, puis disparut dans le couloir, non sans avoir claqué la porte bien fort derrière lui.
— Mince alors… Vous vous êtes disputés ? fit la jeune fille, l’air désolé.
Lars la toisa méchamment sans répondre. Il se détourna d’elle avec dédain pour défaire le lit, puis se glissa sous la couette aux motifs morbides dans de grands gestes énervés.
Oui, sa réaction et ses paroles envers Leo étaient d’une puérilité lamentable. De même que son attitude face à Miss Sushis qui leur offrait gracieusement l’hospitalité sans poser de questions… Mais ce n’était pas sa faute ! La simple idée que Leo veuille se débarrasser de lui maintenant qu’il était faible et inutile lui broyait la poitrine. Lars avait tout de suite contre-attaqué sans réfléchir et voilà que le gamin lui en voulait.
Bravo. C’était parfait. Absolument parfait.
— Ça va aller, fit Miss Sushis en s’installant sur le rebord du lit sans y avoir été invitée. Même s’il est du genre à s’emporter facilement, Taras ne fait jamais la tête longtemps…
Tout en babillant, la jeune fille déposa son plateau sur les genoux de Lars. Celui-ci décida de se concentrer sur la nourriture pour éviter de penser à son comportement plus que déplorable. Il fixa obstinément le délicieux fumet qui s’élevait de son bol, dans une vaine tentative d’éloigner cette maudite culpabilité qui l’envahissait. La préparation crémeuse et dorée tournoyait lentement dans le récipient. Ça avait l’air bon, mais Lars n’avait pas faim.
Il se sentait stupide.
— J’ai préparé une soupe de maïs au cheddar, continuait de blablater Miss Sushis. J’espère que vous n’avez rien contre le fromage, je crois que j’en ai mis un peu trop…
Lars ne répondit pas. Pour s’occuper les mains, il saisit sa cuillère et se décida à goûter le bouillon du bout des lèvres. Absolument rien à voir avec la divine cuisine de Noro certes, mais c’était goûteux et onctueux. Pas mal du tout. Juste un peu trop salé, peut-être…
— Dites-moi, très chère, pourquoi faites-vous tout cela ? demanda-t-il, piqué malgré lui par une soudaine curiosité à l’égard de l’attitude si conciliante de Miss Sushis. Une personne sensée aurait contacté les autorités, mais vous… vous aidez Taras sans poser de questions. Pourquoi ? Et pitié, ne me dites surtout pas que c’est parce que vous êtes transie d’amour ou une autre niaiserie du genre !
Son interlocutrice éclata de rire.
— Amoureuse de Taras, moi ? Sûrement pas ! Entre nous, c’est juste du sexe fun de temps en temps, sans plus. Taras n’est clairement pas le genre de personne avec qui on peut espérer avoir une relation sérieuse et encore moins “normale”.
Lars haussa un sourcil pour toute réponse. Le sourire de Miss Sushis se fana aussitôt sur ses lèvres, elle pensait sûrement avoir mis les pieds dans les plats.
— Pardon, ce que je veux dire c’est que Taras… enfin je ne le pensais pas capable d'avoir une relation sérieuse, mais quand je vous vois ensemble… Je ne l’ai jamais vu comme ça avec qui que ce soit… et c’est tellement mignon !
— Taras et moi ne sommes pas en couple, répliqua Lars d’un ton abrupt. On ne se connait pas du tout à vrai dire. Je ne sais pratiquement rien sur lui.
— Ah bon ? insista Miss Sushis avec autant de subtilité qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Vous donnez pourtant l’impression de vous connaître depuis longtemps !
— Mmmm, grogna Lars en décidant de l’ignorer pour se concentrer sur sa soupe.
Pendant ce temps, la jeune fille continuait de blablater avec enthousiasme, nullement dérangée par l’absence totale de répartie de son interlocuteur.
— Pour en revenir au fait que j’aide Taras malgré tout. Je me doute bien que sa vie est compliquée et qu’il trempe sûrement dans des affaires louches et dangereuses. Mais vous savez quoi ? Je m’en fiche. Grâce à lui, mon petit frère Cole est toujours en vie et c’est tout ce qui m’importe. Donc si aujourd’hui, je peux lui être utile en quoi que ce soit, je le fais avec plaisir, conclut la jeune fille en haussant les épaules.
D’accord… C’était une explication tout à fait valable. Mais Lars avait surtout retenu le fait que Miss Sushis et Leo se connaissaient depuis un certain temps. Elle devait savoir tant de choses sur lui ! Il ravala difficilement les milliers de questions qui lui brûlaient les lèvres.
— Je sais très bien qu’il ne s’appelle pas vraiment Taras Wayne, et que votre vrai nom à vous, ce n’est pas “Dorian Grey avec un E”. Mais c’est mieux que je n’en sache pas plus !
Lars avala une cuillerée de soupe pour toute réponse. Le bouillon brûlant finissait de le revigorer, même si Leo s’était déjà bien occupé de le réchauffer tout à l’heure. Il faisait effectivement une excellente bouillotte… Penser à cet idiot raviva le sentiment de culpabilité en Lars qui poussa un long soupir dépité.
— Ça va aller, répéta Miss Sushis, l’air compatissant, alors qu’il laissait tomber sa cuillère dans le bol à moitié vide. Taras va revenir et vous allez vite vous rabibocher !
— Je vous ai dit que nous ne sommes pas en couple, répliqua Lars avec irritation.
La trouvant soudain insupportable, il repoussa le plateau de ses genoux dans l'intention de quitter le lit. Il devait retrouver son abominable Chaton pour présenter ses plus plates excuses.
— Merci beaucoup pour la soupe, c’était délicieux. Et maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai quelque chose de très important à faire…
Il fut cependant coupé dans son élan par le retour de Leo. Ce dernier débarqua dans la chambre, la tête toujours aussi renfrognée. Il fusilla brièvement Lars du regard avant de se diriger vers sa voisine de palier à qui il s’adressa avec beaucoup de sérieux.
— Ecoute Emily, ce serait mieux que tu quittes la ville quelque temps. J’ai parlé avec Cole et il s’est arrangé pour que tu puisses le rejoindre à sa colo de Noël. On t’a déjà réservé un vol pour cet après-midi. Du coup, tu ferais mieux de préparer quelques affaires…
— Quoi ? Comment ça tu as parlé à Cole ? s’écria Miss Sushis en ouvrant de grands yeux alarmés. Qu’est-ce que mon frère a à voir dans toute cette histoire ? Et comment ça je dois partir cet après-midi ? Je te signale que j’ai une vie, je ne peux pas m’en aller comme ça…
Enfin une réaction sensée ! se dit Lars, alors que la jeune fille continuait sa diatribe, la voix désormais dans les aigües. Elle semblait au bord de la panique.
— Emily, s’il te plait, la coupa Leo d’un ton ferme, mais en l’attrapant gentiment par les épaules dans un geste rassurant. Je suis vraiment désolé d’avoir à t’imposer tout ça, mais il faut vraiment que tu t’en ailles. C’est pour ta sécurité, OK ? Alors va préparer tes affaires, maintenant. Je te promets de t’en dire plus tout à l’heure.
Sa voisine le fixa un petit moment sans un mot, avant d’inspirer puis d’expirer longuement pour reprendre contenance. Elle s’écarta ensuite de Leo pour attraper le plateau de soupe.
— D’accord, accepta-t-elle à contrecœur. Mais tu as intérêt à tout me dire, surtout si Cole est impliqué d’une manière ou d’une autre. Il n’a que quinze ans, Taras !
— T’inquiète, Cole n’a rien à voir dans toute cette histoire. Je te jure !
Miss Sushis le couva d’un regard contrarié en réponse, avant de se diriger vers la porte.
— Et sinon, ce serait bien que vous discutiez un peu pour clarifier les petits malentendus. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la communication, c’est primordiale dans une relation ! leur jeta-t-elle d’un ton presque impérieux avant de s’en aller.
Et Lars se retrouva seul avec un petit Chat visiblement de très mauvais poil. Il se surprit à penser que pour une fois, juste pour cette fois, il aurait préféré que Miss Sushis reste. L’ambiance était glaciale. Leo restait planté au milieu de la pièce, sans un mot et le regard toujours aussi peu amène. Pour la première depuis très longtemps, Lars ne savait pas où se mettre.
Tout ce qu’il trouva à faire, c'était se passer nerveusement la main dans les cheveux, les lèvres pincées. Face à lui, son adorable Chaton ne disait toujours rien. Lars non plus ne disait rien. Le silence était lourd et insoutenable. Et puis Leo se décida soudain à le briser. Les poings enfoncés dans les poches de son pull, il parlait en rafale, le ton abrupt.
— Tu devrais dormir un peu. On va conduire Emily à l’aéroport cet après-midi avant de rejoindre un contact qui pourrait t’aider pour tes super pou…
— Je m’excuse, l’interrompit Lars, l’air bougon.
Il se passa à nouveau la main dans les cheveux, avant de poursuivre sa tirade avec gêne.
— Ce que j’ai dit tout à l’heure… c’était injuste et stupide. Je suis désolé.
S’en suivit un blanc. Leo le dévisageait avec incrédulité, comme s’il n’en croyait pas ses oreilles. Il ne s’attendait visiblement pas à ce que Lars fasse amende honorable. Celui-ci se sentit offensé.
— Quoi ? s’insurgea-t-il. Je sais reconnaître quand je suis en tort !
— Mmmmm, si tu le dis, grogna l’autre. J’avais un gros doute vu ton caractère de merde.
— Je vais faire comme si tu n’avais rien dit, grinça Lars en le fusillant des yeux.
Son petit Chat ricana un peu, puis le rejoignit sur le lit en quelques enjambées. Il se laissa tomber sur le matelas en soupirant, puis se tourna vers Lars pour le fixer avec sérieux.
— Et donc ? Tu vas vraiment rien dire à tes amis ?
— Crois-moi, c’est la meilleure chose à faire pour tout le monde…
— OK, mais explique, exigea Leo en croisant les bras, les sourcils froncés.
Lars ne put s’empêcher de trouver son attitude autoritaire diablement excitante… Il se mordit la lèvre, de nouveau envahi par une folle envie de l’embrasser. Il avait constamment envie de l’embrasser. C’était fou. Il dut se racler la gorge pour reprendre ses esprits et se concentrer sur la conversation. Ce n’était pas le moment de se laisser distraire.
— Je ne veux pas mêler Cédès, Raz, Tiān et encore moins Noro à toute cette histoire. Je n’ai pas envie qu’Ørjan s’en prenne à eux. Et puis, maintenant qu’il n’y a plus aucune trace d’aura en moi, lui et ses laquais ne peuvent plus me pister. Me voilà désormais invisible !
Hourra.
— OK, mais pour tes pouvoirs…
— Ne t’inquiète pas pour moi, petit Chat. J’ai connu des situations bien pires et je m’en suis toujours sorti, le coupa Lars en agitant une main qu’il voulait désinvolte. Pour l’instant, on doit surtout se fondre dans la masse. Ensuite réfléchir à une solution…
Il poussa un petit soupir fatigué, se frotta les paupières avant de poursuivre.
— Je suis désolé mon Chaton, j’espère que tu ne m’en veux pas de t’avoir entraîné dans cette galère, parce que le pire reste encore à venir. La partie ne fait que commencer.
Annotations
Versions