Lumière complémentaire
de Témise
Bien évidemment, tu ne m'entends pas... Mais qu'est-ce qui t'arrive pour que tu sois speed comme ça, toi qui est toujours calme ? Bon sang, tu es déjà sortie du bassin, et ce que je craignais est arrivé : me voilà détachée... Le plus simple serait que tu reviennes dans l'eau, mais comme je n'ai aucune certitude, je préfère te poursuivre...
Je me retourne pour saluer mon charmant collègue avec qui je discutais par signes avant ta cavale, mais je constate qu'il est parti lui aussi. Je l'aperçois à l'autre bout de la ligne d'eau qui s'amuse de ma situation... Ca m'apprendra à être sociale...
Je me hâte de sortir de l'onde. Enfin, me voilà sur le bord. Heureusement, un bon gros nuage blanc me rend invisible. Je marche le long des bassins en direction des douches, en supposant que tu es partie aux toilettes. Mais qu'est-ce que j'avance lentement, sans ta vigueur pour me tirer ! Et la légère brise qui vient de se lever me déséquilibre, ce qui ne me facilite pas la tâche...
Enfin, me voilà dans les vestiaires. Je me dépêche autant que possible, souhaitant plus que tout ne pas attirer l'attention. Je me faufile sous les portes, faisant toutes les cabines de douches, de toilettes, de vestiaires dans l'espoir d'enfin t'apercevoir. Mais tu n'es pas là.
Je refais le tour des lieux, vérifiant que je ne t'ai pas loupée. Puis je me poste vers la sortie. Les secondes passent, puis les minutes. Toujours aucune trace de toi. Puis, je pense à un moyen sûr de savoir, et je me rends aussitôt aux casiers. Le tien est ouvert, et vide. Tu es donc bien partie.
Je suis anéantie. Je me laisse machinalement tomber sur le sol, repensant à tout ce que j'ai vécu avec toi. Cette sensation de pesanteur, la première fois que tu t'es assise sur moi. L'élongation subie au début de tes descentes de toboggan avant que je prenne le rythme pour te suivre... Nos fou-rires partagés, même s'ils étaient silencieux de mon côté, lorsque tu m'as découverte, me coursant dès qu'un rayon de soleil me faisait apparaître à tes côtés.
Puis, ces heures de classes, qui me paraissaient si longues à ne pas pouvoir bouger. Même discuter avec mes amis accrochés à tes camarades de classe était interdit. Nous aurions pu nous faire prendre à gesticuler en dysharmonie avec vous... Heureusement, pour nous aussi, la récréation arrivait.
Et les vacances, quelle délivrance ! Ne m'intéressant guère aux conversations autour de toi, je ne savais jamais vraiment à l'avance ce qui allait m'arriver. Mais je les attendais avec impatience, car je savais que ce serait riche d'émotions et de nouvelles sensations : me faire piétiner par le galop d'un cheval, ou traverser par un dauphin sautant près du bateau où tu étais en croisière avec tes parents. Gravir les montagnes ou grimper les pyramides sans me faire mal sur les angles des blocs pierreux, sentir l'écorce rêche des arbres lors des longues balades en forêt où je m'amusais de mes disparitions et réapparitions soudaines lorsque le soleil se frayait un passage entre les branches...
J'ai fait de nombreux apprentissages avec toi, et j'étais persuadée d'avoir fini ma formation, d'être à présent au top, prête à te suivre en toutes circonstances.... Et voilà que tu me fausses compagnie !
Oh, je saurais bien te retrouver. Tu es venue si souvent à la piscine que je connais par cœur les chemins menant jusqu'à chez toi. Mais pour l'instant, je ne peux pas, le soleil règne en maître. Alors, en attendant la nuit, je décide d'aller me mettre dans un endroit sombre. Quitte à patienter, je retourne près du bassin, pour admirer la beauté avec qui je faisais connaissance lorsque tu as filé, en train de s'amuser à faire des gestes n'ayant rien à voir avec la natation pratiquée par son double. Je suis la seule à m'en apercevoir, et cela me fait bien marrer.
Et puis, je doute que ma Brigade du Secret débarque, les humains sont bien trop sûrs de notre non-existence indépendamment de la leur pour s'apercevoir de quoi que ce soit. Même avec la réalité sous les yeux, ils penseront que les reflets de la lumière dans l'eau leur jouent des tours.
Il m'a vue, et me fait signe de le rejoindre. Je refuse, mais il insiste, de plus en plus engageant. Après tout, qu'est-ce que je risque à m'amuser moi aussi en attendant de pouvoir sortir d'ici en toute sécurité ?
Je regarde à gauche, à droite, et profite de l'instant où tous les humains regardent ailleurs pour plonger. Je me laisse porter par les mouvements des nageurs, ondulant sur leurs corps, et rejoins bientôt celui qui me plaît. A mon agréable surprise, il me saisit aussitôt la main, et me positionne devant lui. Je ne comprends d'abord pas ce qu'il veut, mais j'accepte ensuite son jeu, m'amusant à imiter son humain de concert avec lui.
Encore quelques longueurs, puis l'individu sort de l'eau à son tour, et gagne les vestiaires. Résignée, je cherche à me dégager, mais mon collègue m'en empêche, me tenant fermement contre lui tout en me souriant d'un air rassurant. Je n'y comprends rien, mais me résigne à lui faire confiance puisque je n'ai aucun échappatoire. Epuisée par toutes ces émotions, je m'endors dans ses bras.
Je suis réveillée par une voix totalement familière, et j'ouvre les yeux au restaurant. Toi, habituellement timide et solitaire, tu es là, attablée en tête à tête avec l'homme de mon collègue ! Voilà pourquoi il voulait que je le suive, et je l'en remercie d'un câlin bref mais intense, avant de m'éloigner légèrement de lui. Je me glisse sous la table, faufile mes pieds dans tes chaussures, appuie un peu sur les plantes de tes petons, et retrouve avec plaisir notre lien, dont le rétablissement m'est confirmé par une légère sensation de ventouse.
Déjà, mon collègue m'invite à discuter avec lui, et nous nous amusons bien tous les deux, abrités des regards par la longue nappe ivoire, tandis que vous dînez.
Soudain, vous nous tirez brutalement en arrière en vous levant, mais je suis bien trop contente de t'avoir retrouvée pour t'en vouloir, d'autant que vu la chaleur de vos au-revoir, j'ai de sérieuses raisons d'espérer revoir bientôt et souvent mon nouvel ami, pour mon plus grand plaisir.
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