Une vengeance...

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Assise sur mon tabouret, dans ce bar à whisky, je remue ce verre de Talisker 15 ans d’âge, un peu nerveusement.

Je sors ce petit bout de carton de ma poche et c'est au tour de cette malheureuse carte de visite d’être maltraitée.

Qu’est ce qui m’avait prise ? Quel coup de folie ! J’aurais dû le dénoncer, plutôt que de l’éclater comme ce porc qu’il était.

J’avais 23 ans je m’étais inscrite à une session de 15 jours dans les landes, un camp d’apprentissage de surf. Jeune et naïve, je croyais que ce prof de surf était honnête et bienveillant notamment envers moi. Je pensais que ses gestes étaient purement professionnels. Non, je ne voyais pas cela comme des gestes déplacés, pour moi c’était plutôt technique, une aide, quoi. Je sais, c’est complètement idiot de ma part.

Et pourtant la veille du départ, il avait commis l’irréparable, l’alcool n’avait pas aidé, quel bécasse avais-je été d’accepter cette promenade, en tout bien tout honneur, sur la plage en sa compagnie !

Il était plus fort que moi, et quand il s’est jeté sur moi je n’ai rien pu faire, j’ai été immobilisée tout de suite, et je vous avouerais que, stupéfaite, j’étais tétanisée.

Je ne vous fais pas de dessin, l’horreur.

Je n’étais pas repassée à la fête, j’avais préféré rentrer directement à ma tente, où je m’étais effondrée, prostrée, en pleurs.

La culpabilité m’avait étreinte les jours qui avaient suivi, puis les mois, les années.

Mes rapports avec la gent masculine avaient été bouleversés cette nuit là. En l’espace de quelques minutes je n’avais plus été la même. Et pour moi, ils n’étaient, tous, plus qu’une bande de prédateurs sexuels qui ne veulent que cela. Les sourires, les gentillesses : une façade, un panneau publicitaire pour vous attirer dans leurs filets de sales monstres.

Je bois une nouvelle gorgée de cette eau de feu, et pensais d’un air narquois à cet homme qui avait eu l’outrecuidance de croire que le temps allait gommer, effacer ce qu’il m’avait fait. Oui, j’affichais un sourire narquois car je le revoyais en train de gémir comme une bête blessée quand il a su ce qui l’attendait vraiment, et que j’irais jusqu’au bout de mon geste.

J’ai vu dans son œil, qu’il ne me reconnaissait pas, je l’ai vu réfléchir, son regard clignotait comme le voyant de l’ordinateur qui passe en revue toute sa mémoire à la recherche d’une information… Je me suis rendue compte à cet instant que j’étais loin d’avoir été la seule, pas la première et encore moins la dernière.

Cette révélation m’a donné encore plus de détermination et de rage, j’allais utiliser cet acte comme un totem au nom de toutes ces femmes plus ou moins jeunes, salies, meurtries par cet homme.

Acte ineffaçable, inexcusable gravé dans notre mémoire à toutes, comme un tatouage, un marquage à l’encre indélébile.

Je n’ai fait qu’écouter ma psy : « il faut tuer cet homme, vous vivrez mieux, vous passerez à autre chose... ».

QUOI ?

Tuer psychologiquement cet homme ? Le tuer en son for intérieur ? Je n’ai fait que pousser le concept un peu plus loin.

Je n’ai nullement prémédité mon geste, je vous assure. J’ai vainement tenté de le tuer, de formater ma mémoire, ou de le placer comme un simple mauvais souvenir sans conséquence ou presque. Mais, non. Ça n’a pas marché.

Alors quand, le hasard a fait que nos routes se sont croisées, j’étais comme replongée en enfer. Dès que je respirais, je le sentais, dès que je fermais les yeux, je le voyais au dessus de moi, ce souvenir, que j’avais tant bien que mal réussi à atténuer était redevenu insoutenable.

A mon tour de devenir prédatrice, le hasard n’existe pas, il n’y a que des rendez-vous avec le destin, il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas, et encore…

Oui, après avoir paniqué, mon sang n’a fait qu’un tour, je le voyais chercher une proie, il fallait faire cesser ses agissements.

Il ne m’a pas reconnue, il se serait méfié, une parmi tant d’autres, tant mieux ! Qui m’aurait dit que mon premier « œil de biche » dégainé, depuis cette nuit tragique, le serait pour celui qui a effacé mon sourire ? Personne.

Rapidement, il s’est pris dans mes filets, trop facile. Pour moi, mais également pour lui, car je semblais consentante. Après coup , je pense qu’il n’aurait pas su aller au bout, car ce « consentement » lui aurait faire perdre ses moyens, cette perte de maîtrise totale l’aurait sans doute repoussé. Psychologie de comptoir ? Certes, j’y suis.

Céline, mon amie, m’avait dit : « si tu as quelque chose à te reprocher, je connais un bon avocat qui saura te tirer d’affaires ».

je me trouve avec cette carte de visite entre les mains, quand elle me l’avait donnée, je l’avais prise, amusée, sans penser un seul instant que j’en aurais peut-être besoin.

J’hésite encore.

Personne ne nous a vus ensemble, j’en suis certaine. Je n’ai fait que le regarder, lui sourire avant de sortir de l’établissement de nuit dans lequel je me trouvais. Je sentais bien qu’il m’avait suivie à distance, comme attiré par ma démarche chaloupée.

j’étais montée en voiture, en le regardant, dans cette ruelle sombre. Il m’a rejoint. Pas de caméra de surveillance, pas de témoin dans le coin. La nuit et la pluie seront mes meilleures alliées.

Il est monté à côté de moi, et sans un mot, j’ai démarré et roulé loin de la ville.

Il ne s’est pas inquiété, dans les lacets qui grimpaient dans la montagne.

« -j’aime les coins tranquilles » : ma seule explication.

Je sais que ce parking de montagne donne sur un précipice, un cirque naturel avec en contrebas, une vallée escarpée au milieu d’une foret guère fréquentée.

La pluie s’est calmée.

Je sors de la voiture avant qu’il ne dise quelque chose de plus, j’en fait le tour, Au passage je ramasse une pierre que je dissimule de sa vue.

« Tu viens ? » : ma seule demande.

A peine est-il sorti de la voiture et a-t-il claqué la portière que je lui ai donné le premier coup direct sur le côté de la tête. Étonné, sous le choc, il porte les mains à son crâne, penché en avant. Grossière erreur. Il lève les yeux, vers moi, il est effrayé et gémit, à moitié de douleur et à moitié de peur, sans moi, avec détermination, je lui assène encore deux ou trois autres coups de toute ma rage et il s’affaisse, inanimé.

Le sang qui coule de sa tête. Son regard semble vide maintenant.

Je suis tout à coup étonnement bien, libérée…

Je ne sais quelle force m’anime encore mais, même sans brouette pour le charrier, ce fumier, je parviens à le traîner, jusqu’au muret séparant le parking du vide et je le fais basculer dans la nuit.

J’entends le bruit sourd de ce corps qui rebondit sur la paroi rocheuse, et puis, plus rien.

Je me redresse, respire un bon coup. La nuit est paisible, il ne fera plus de mal.

Le vent semble se calmer et une grosse averse vient laver ce lieu sali du corps de cet immonde individu.

Je suis trempée, je remonte en voiture et rentre chez moi. Je me change, même si par chance, je ne suis pas tâchée.

Et me voilà, deux jours plus tard dans ce bar bondé, un verre de whisky à la main. Après avoir passé en revue ce que je venais de faire, après ce petit instant de panique, je redresse les yeux.

Je souris à cette nouvelle femme qui me regarde dans le miroir entre les bouteilles de ces divers breuvages proposés à la vente.

Non, ce numéro je ne vais pas le composer, au fond de moi, un certitude est née, on ne le retrouvera sans doute jamais. D’ailleurs la presse n’en n’a pas encore parlé. Pas de disparition, ni de découverte de corps inanimé.

Je suis une femme vengée.

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