Poumons d'Acier
L’heure de l’éveil vient de se pointer pour l’automate. L’aube chatoyante de la planète rouge vient frapper ses détecteurs, lui fournissant enfin l’énergie pour se mouvoir. L’iris de son œil émet un cliquetis avant de s’ouvrir. La fine tête se balance de droite à gauche pour observer son environnement. Arêtes rocheuses, quelques poches de glaces protégés des rayons du soleil, rien de menaçant ou de bien intéressant. Alors, le moteur du robot se met en branle dans un cahot provoquant un nuage de poussière. Ses six roues, usées par les ans, commencent par patiner avant de s’agripper au sol martien. Enfin, la machine parvient à progresser dans l’ombre de sa grotte. Elle abandonne son abri. Une fois encore, l’œil de la créature de métal s’active pour analyser son environnement. Immenses espaces d’un rouge ocre s’étendant à perte de vue, grandes plaines de glaces se rétractant au fur et à mesure que l’astre du jour se lève, sillons creusés par des fluides aujourd’hui évaporées. La planète rouge livre tous les jours les mêmes secrets.
Le rover continue à avancer, ses instruments analysant sans relâche les alentours. Altitude, composition des roches, température, densité de l’atmosphère, luminosité, toutes les informations semblent captées par la machine, suffisamment pour simuler la planète entière c’est ainsi dire ! Il poursuit son avancée, à pleine allure, ses suspensions bien conservées amortissant la plupart des chocs. Un nuage de poussière oxydée est soulevé par le véhicule, formant comme un petit nuage à basse altitude. Le soleil poursuit son avancée dans le ciel martien, éclipsant toutes les lumières des étoiles plus lointaines. La rouille du robot se confond avec la couleur du sol. Il est un fier navire, avançant dans une étendue de poussière, dont le capitaine ne semble éprouver la moindre once de solitude. Ses suspensions le font monter et descendre, comme si un poumon d’acier actionnait le mouvement d’une respiration.
La tête du robot se focalise soudain sur une particularité du sol. Un mélange de couleurs qui passerait inaperçu pour un œil humain, un tourbillon d’une roche grisâtre se mélangeant avec des tâches d’un rouge intense. Le rover s’avance au centre de cette toile d’artiste, penche sa tête, capte les particularités grâce à son appareil optique. Un laser vert sort de son œil pour s’enfoncer profondément dans le sol. Finalement, le rover relève la tête, recule, et fait demi-tour, à la recherche d’une nouvelle spirale de couleurs. Ce même manège continue toute la journée. Voyage, captation d’informations visuelles, laser vert, demi-tour, voyage… Il laisse en guise de traces des traces de pneus déchiquetés et des petits puits de forage fumant.
Finalement, la nuit tombe. Le robot est contraint de s’arrêter. Il lève la tête dans la direction du crépuscule martien, ferme son œil de cyclope, se compacte puis se tait. Le vent le fait encore remuer, contribuant à l’illusion d’un animal endormi. Son œil temporairement aveugle ne lui permet pas de voir la beauté du ciel nocturne, ballet d’étoiles envoyant leurs lumières lointaines et dessins de planètes formant des héros légendaires et des animaux imaginaires. Une histoire se dessine dans le ciel, et l’animal aux poumons d’aciers est incapable de le voir. Il ne versera pas de larmes de cette beauté perdue, totalement absorbé par sa tâche.
La même routine se déroule le lendemain, le surlendemain, la semaine suivante, la deuxième semaine, les mois à venir. Ce n’est que lors d’un crépuscule du septième mois que le rover semble avoir trouvé. Il a voyagé, comme chaque journée, est descendu dans un canyon puis constaté la présence d’une spirale aux couleurs chatoyantes, avant de la passer au laser. La procédure terminée, il ne se retourna pas. Un son chaotique se produisit dans ses entrailles et, avec difficulté, un bras avec un cylindre de métal en sort. Le bras mécanique plante le cylindre dans le sol et en extraie un morceau de la planète rouillé. Le bras usé parvient à rentrer avec son trésor au sein du corps du rover. Le robot part du canyon. Une fois son échantillon prélevé, le robot semble partir à toute vitesse. Le nuage se produisant derrière son passage n’a jamais été aussi imposant. Les cahots faisant bouger l’automate n’ont jamais été aussi brutaux. Un bref reflet de lumière permet de voir des symboles dessinés sur le flanc rouillé du robot. La plupart sont illisibles. Il ne reste qu’un vague P ainsi qu’un S à moitié effacé. Il n’a peut-être plus de nom, mais sa mission va être enfin accomplie.
Les morceaux de roches percutent les instruments du rover. Ils s’agitent dans les entrailles du robot. Les poumons d’aciers goûtent à un morceau du sol de poussière. L’animal mécanique semble se diriger droit vers une colline. La colline produit d’étrange reflets. Elle n’est pas constituée entièrement de terre. Un coup de vent soudain permet de chasser une partie de la poussière recouvrant ce relief. Des cercles de verres semblent reluire sur cette forme, ainsi qu’une lourde porte d’acier. Des ombres se meuvent à l’intérieur. Une habitation sans aucun doute. La destination de ce robot, de cette créature. Sa tête en avant, il fend l’air comme un oiseau survolant une mer de poussière rouges et brûlantes.
Soudain, à quelques dizaines de mètres de son objectif, le rover est projeté à plusieurs mètres du sol. Un geyser vient juste de se produire sous ses roues. Ballotté par le mélange de glace et de terre, il flotte un instant dans l’air avant de s’écraser brutalement sur le sol sur lequel il a roulé pendant toute sa vie. Une de ses roues tourne misérablement dans le vide, une bonne partie des appareils juchés sur son dos se retrouvent éparpillés sur le sol. La rouille de la carcasse se confond avec la couleur de la terre. La tête se tourne une dernière fois en direction de l’astre solaire, comme pour contempler une dernière fois le spectacle qu’il a connu toute sa vie, avant que l’iris ne se ferme définitivement.
Les différentes ombres dans le rover semblent plus agitées. Elles ont vu l’accident du rover. Elles se précipitent dans tous les sens. L’une d’entre elle sort en courant de la base semi-enterrée. Vêtu d’une imposante combinaison blanche, la femme se rapproche de la dépouille de l’automate. Sans aucune forme de cérémonial, elle arrache la trappe gardant les entrailles du robot, et extrait le cylindre de métal avec l’échantillon rocheux du ventre de l’animal avant de partir, laissant la triste créature reposer ici.
De la trappe restée ouverte s’envole une petite plume d’un bleu intense. Après quelques acrobaties, cette dernière s’accroche sur la fine tête de métal pour lutter contre le vent. Une dernière épitaphe pour celui qui a tant travaillé durant sa vie d’exploration. L’oiseau aux poumons d’acier vient d’effectuer son dernier voyage sur le sol de poussière.
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