4.1.1 Se côtoyer
Maeve s'est fortement rapprochée de mon cousin et de Louise. J'ai appris qu'elle avait passé ses congés d'été avec eux. Elle passe son temps hors cours avec eux. Mon cousin reste distant et sarcastique avec ceux qui ne sont pas de sa bande. Bien que son cercle d'amis devient moins con en fréquentant Maeve, Benoît reste un crétin imbu de sa personne. Cependant, je perçois quelques changements.
J'ai bien essayé de prévenir Maeve de la possible dualité de Benoît. J'ai récolté un seau d'eau au visage et un "occupes toi de tes fesses" mental. Je m'inquiète pour elle sans oser le montrer. Je n'essaye plus de m'approcher. Dès que je le fais, on se dispute et on massacre l'école.
Nous ne parvenons plus à nous parler. Je prie pour qu'il ne s'agisse que de nos sales caractères respectifs, que Maeve ne se laisse pas embobiner par Benoit sur une pente glissante. La seule chose qui me rassure, c'est que je ne suis plus le seul à subir des représailles.
Maeve ne se gêne pas pour remettre à sa place Benoît ou les autres assez sèchement. Sa bande subit les colères de mon petit canard. Elle maîtrise mieux ses pouvoirs et ne tombe plus dans les pommes. Maintenant, elle tape ou elle inonde. À force de se prendre des claques ou des trombes d'eau, Benoît fait attention à ses paroles. Je l'ai entendu s'excuser une fois après avoir dit une ânerie sur les moldus.
Peu à peu, Maeve et lui semblent s'entendre de mieux en mieux. Elle s'énerve moins avec lui. Même l'attitude de Benoît envers les autres élèves est plus mesurée, plus respectueuse. J'espère que cela est sincère.
J'ai envie d'aller lui parler pour savoir s'il a changé et en même temps, je suis bloqué par ma colère de savoir qu'il voit mon père plus souvent que moi. Benoît devient un sujet d'observation et d'enquête pour moi. Autant que Maeve.
Benoît reste prétentieux et fier, mais ça, je ne peux pas lui jeter la pierre, c'est génétique. J'ai les mêmes penchants. Le reste de sa bande suit ses traces sous le joug de mon petit canard colérique. Je dois reconnaître que Maeve traite tout le monde sur le même pied d'égalité.
En cas de non-respect d'un plus faible, c'est la punition directe et sans aucune pitié. Serpentards ou non. De la bande à Benoît ou non. Mis à part moi, ma bande ne subît pas de représailles, sûrement aussi parce qu'on respecte et protège les plus faibles.
Maeve terrorise tout le monde en se marrant, sauf ma bande. Elle répond juste aux remarques blessantes qu'on lui adresse. Maeve ne fait de mal à personne. Elle fait juste des démonstrations de magie qui effraient.
Entre les plantes de la serre qui se mettent à grandir d'un coup et à se transformer en forêt vierge, les potions qui explosent, les repas devenant des vers gluants, les objets divers et variés qui prennent vie et poursuivent parfois les troubles fêtes.
Ses démonstrations de magie sont puériles, rancunières et très Serpentards sans toutefois être cruelles ou méchantes. Même les professeurs semblent effrayés par sa puissance qui augmente chaque jour. J'en ai vu plusieurs trembler ou pâlir lors des spectacles de Maeve.
Un seul professeur semble ne pas avoir peur. Bien sûr, devant les autres, il fait semblant, toutefois, je perçois dans ses gestes et son regard, de l'admiration, voir de l'émerveillement et nullement de la crainte. Le professeur Bordial admire Maeve et sa magie. Il est d'ailleurs que très rarement victime des mauvais sorts de mon petit canard. Et quand c'est le cas, il est celui qui s'en défend ou s'en remet le plus vite. Il y a une sorte de respect mutuel entre Maeve et le Professeur Bordial. J'en suis persuadé.
Malgré la puissance magique démontrée par mon petit canard, je la sens capable de bien plus. Un regard de sa part ou un geste parfois me fait croire que Maeve nous cache bien des choses. Chaque démonstration est bien trop sous contrôle pour ne pas avoir été répété avant. Une étrange impression m'obsède quand elle utilise sa puissance, Maeve se retient.
Charline et Horace l'évitent. Ils ne lui adressent plus la parole. Charline a même déclaré haut et fort « Elle n'est pas ma sœur ». Alice et Rodrigue s'épuisent à tenter de contrer ses sorts et de protéger les autres élèves quand elle se vexe et veut se venger.
C'est une élève moyenne, mais surtout parce qu'elle n'utilise pas ses pouvoirs en cours. Elle reste dans sa bulle, totalement absorbée par autre chose que les paroles des professeurs. Maeve s'ennuie. Sa seule distraction est de tourmenter les autres, en pourchassant les tyrans.
Moi et Maeve continuons à nous disputer. Je suis le seul à oser lui parler sèchement. Le plus souvent pour m'engueuler avec elle. Lorsque nous nous disputons, Maeve fait de la magie dangereuse. Dangereuse envers moi uniquement. Les objets volent, les vitres explosent, des flammes apparaissent. Nous ne faisons jamais de mal aux autres.
On effraie tout le monde y compris les fantômes. Les autres me disent de faire gaffe. Maeve va finir par me tuer avec ses colères. Sauf Charline et Horace, eux, ils ne disent jamais rien. Pourtant, ce sont les seuls qui n'ont pas peur d'elle. Ils disent le contraire, mais ils n'ont pas peur. Je les connais trop bien. Ils font semblant.
Louise est la seule de la bande de mon cousin qui nous fréquente parfois. En fait, c'est plutôt Charline et Sarah qu'elle fréquente. Elles discutent souvent de trucs de filles. Horace laisse faire. Pour avoir espionné leurs discussions, je ne vois pas ce qu'il y a de mal à parler de coiffure, de fringues et de sucreries.
Louise accepte de parler avec Charline et Sarah en ayant toujours un membre de ma bande à proximité. Souvent moi ou Horace, parfois Alice. Elle comprend que nous agissons ainsi pour la sécurité des deux filles et le tolère.
Jamais Louise n'évoque de sujet qui fâche. Les trois filles s'entendent à merveille. J'apprécie Louise, amicalement. En l'écoutant, je me rends compte qu'elle a grandi et est moins stupide que je le croyais. J'ai une fois interrogé Louise en me moquant, lui disant qu'elle trahissait Benoît en me parlant.
Louise éclata de rire et me répliqua que Benoît la laisse libre de parler à qui elle veut. Il est protecteur toutefois, il a confiance en elle. Et en plus, s'il y a bien une personne que Benoît apprécie, c'est son cousin. Louise me laissa en plan sur cette révélation étrange qui me fit cogiter plusieurs jours.
J'en ai marre de ressasser les mêmes pensées. Il faut que je me calme les nerfs. Je vais courir dehors, autour du lac noir pour me vider la tête. J'aime beaucoup faire du sport et en particulier courir dehors dans la nature. Me fatiguer physiquement m'aide à m'aérer l'esprit. C'est particulièrement utile quand je réfléchis trop comme en ce moment.
J'ai essayé de courir en intérieur, sur une espèce de tapis. J'ai aussi gravi en courant les marches de la tour d'astronomie ou de la volière. Le soulagement musculaire était là, cependant, je n'obtenais pas le même apaisement qu'en extérieur. J'ai vite compris que j'avais besoin d'air frais, de nature et de paysages paisibles d'une certaine manière. Comme je ne peux pas aller trop loin et que la forêt interdite est justement interdite, le lac noir devient un de mes chemins préférés.
J'aime ce lieu quasi-désert et incroyablement grand. Je n'ai toujours pas réussi à en faire le tour. L'eau si calme m'apaise et les quelques vagues qui agitent la surface me font divaguer en songeant aux créatures aquatiques qui ont dû les créer.
Ce que j'aime aussi, c'est la présence de nombreux oiseaux ou créatures ailées qui viennent se désaltérer, surtout au bord du soir. Au début, ils s'envolaient en me voyant. À force de m'apercevoir quasiment chaque soir, et remarquant que je les laisse tranquille pour continuer mon chemin, ou juste les regarder, ces êtres de l'air sont aujourd'hui paisibles et oublient ma présence.
Il y a des fois où j'ai envie d'aller dans l'eau. L'étendue liquide m'attire et je me retiens uniquement à l'idée des strangulots qui m'attendent pour me noyer. Les professeurs nous ont interdit de nous approcher du rivage. Je vois parfois des animaux se faire attaquer, comme happés par un crocodile.
De plus, je suis persuadé que l'eau est glaciale. Le matin, j'aperçois souvent des plaques de givre sur les bords qui finissent par se détacher pour former de mini icebergs qui se perdent vers le milieu du lac.
Ce soir, après les cours, je décide de faire un footing jusqu'au plus loin possible, après avoir réfléchi aux propos de Louise toute la semaine. Horace a beau me dire d'arrêter de ruminer, je ne peux pas m'en empêcher. Je ne comprends plus Maeve. Je ne comprends plus Benoît. Je ne comprends plus les autres, y compris mes potes. Je ne me comprends plus moi-même. Si je veux dormir ce soir et passer un bon weekend, je dois me détendre.
J'enfile donc des vêtements chauds, la pluie et la nuit menaçant, et descends du château pour rejoindre le lac. De fines gouttelettes tombent et me mouillent, ruisselant sur mon visage sans me perturber. Je regarde au loin, le plus loin possible. Les fourmis dans mes jambes s'apaisent, plus je m'éloigne du château, plus je me sens bien. La pluie semble me laver de mes tracas.
Une licorne est en train de boire. Je m'arrête pour la regarder. Charline sera jalouse quand je lui raconterais, elle qui rêve d'en voir. La blancheur de l'animal reflète les rayons du soleil couchant et m'éblouit. Je la vois relever la tête et me regarder pour me jauger. Les licornes sont très craintives et si je bouge, elle va s'enfuir en galopant.
Soudain, j'entends de la musique entrainante. Le rythme endiablé résonne. Je tourne la tête pour chercher d'où vient ce bruit infernal. La licorne ne semble pas déranger par ce boucan. Elle a recommencé à boire, paisible. Ce n'est pas possible. Tous les animaux présents sont calmes malgré le tintamarre. Il me faut plusieurs minutes pour comprendre que la musique résonne uniquement dans ma tête. MAEVE.
Je me concentre pour trouver la sorcière qui me brise les tympans. Elle est au loin, en train de courir elle aussi. Je décide de la rejoindre et je la poursuis. Quand j'arrive à sa hauteur, j'aperçois qu'elle porte des écouteurs. Maeve ne m'a pas vu et m'envoie la musique via notre lien mental sans s'en rendre compte. Sans réfléchir, je la dépasse pour qu'elle me voie et muet, je cours à ses côtés.
La musique s'arrête quelques secondes, le temps que Maeve intègre ma présence. C'est quitte ou double. Je cours juste près d'elle. Sans un mot ou mouvement. Nous ne nous sommes pas disputés cette semaine. Soit je finis dans le lac, soit je passe un peu de temps avec elle. J'angoisse jusqu'à ce que je réentende de la musique. Gagné. Je peux rester avec elle.
Fier de ma petite victoire, je trottine à son rythme. Maeve est sportive en fait et court à la même vitesse que moi. Nous avons le même objectif ce soir, je crois. Faire le tour du lac. Je me demande ce qui perturbe autant Maeve. Elle a l'air soucieuse. Je sais que si je lui demande, je vais m'attirer des ennuis. Donc je me tait, jetant de temps en temps des regards à mon binôme de footing.
Nous avons fait les trois-quarts de la boucle, dépassant la gare sans faire de pause. Je commence à fatiguer sérieusement et le noir de la nuit nous ayant envahi, je dois surveiller où je pose les pieds pour ne pas tomber. Maeve ne semble pas gêner. Nous arrivons du côté de la forêt interdite et je la vois se diriger droit dessus. Je m'arrête, n'osant pas la suivre et je me retrouve seul dans le noir complet.
Alors que je m'apprête à saisir ma baguette pour m'éclairer et rentrer comme je peux, je vois une lumière en provenance de la forêt. Maeve est en train de revenir, accompagné de la licorne. Elle tient ce qui semble être des pommes dans ses mains et nourrir l'animal qui la suit comme un toutou.
La licorne passe juste devant moi sans être perturbé par ma présence. Maeve lance quelques pommes qui sortent de ses mains, puis elle se rapproche de moi et m'en pose une dans la paume. Elle croque la sienne à pleine bouche sans un mot. Je l'imite. Le fruit juteux et sucré me désaltère et me redonne des forces.
- Merci Maeve.
- De rien Oliver.
-... Maeve ?
- Oui ?
- Tu fais attention à toi, hein ? Promis?
Maeve se tourne vers moi. Je ferme les yeux. Je le savais que je n'aurais pas dû parler. Elle va se mettre en colère. Je n'ose pas affronter son regard sûrement furieux à cet instant. Je serre les poings, prêt à subir une nouvelle fois une déflagration de magie.
Ne recevant rien, j'ouvre les yeux deux minutes plus tard, d'un air inquiet. Elle est face à moi, avec un petit sourire amusé. Elle repart en courant, vers l'école, une flammèche allumée dans la main pour nous éclairer. Je lui emboîte le pas jusqu'à la salle commune. Elle se retourne soudain, m'enlace et me fait une bise sur la joue avant de disparaître après cette phrase énigmatique.
- Ne vous inquiétez pas Majesté. Votre petit canard sait ce qu'il fait et ne laissera personne faire de mal à sa personne ou à ceux qu'elle aime, même si c'est des blondinets cons et prétentieux.
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