Le plus vieux métier

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Memphis, Tennessee

Lundi 22 septembre 1980, 18h30


Il n’y a pas grand monde dans les rues de Memphis ce lundi soir. Je me dis que c’est une chance, ça me laissera peut-être plus de loisir de présenter ma candidature aux patrons de bars. Nous débutons par Beale Street. Le réceptionniste de l’hôtel nous a confirmé que c’était la rue où se concentraient les bars et restaurants qui accueillent les musiciens de passage. Nous nous retrouvons très vite dans Entertainment District. Le blues est présent partout. J’entre dans les premiers bars du secteur, sans succès. Becky est sur mes talents, mais je vois bien qu’elle fait la gueule. L’endroit ne semble pas l’intéresser, je croyais pourtant qu’elle cherchait à travailler dans le monde du spectacle. En même temps, les boîtes de blues, c’est pas trop le genre à recruter des chanteuses blondes. Ici, c’est plutôt le domaine des afro-américains. Je tente ma chance dans un steak house. L’établissement est tenu par une femme, qui ne doit pas être beaucoup plus âgée que moi. Mon expérience l’intéresse et elle me propose de travailler les fins de semaine, du jeudi soir au dimanche. Le salaire est correct, je lui donne un accord de principe. En étant économes, nous pourrons tenir jusque là.

Je termine ma conversation et je me rends compte que Becky n’est plus à mes côtés. J’interroge la jeune femme qui travaille dans la salle et elle me répond qu’elle l’a vue sortir quelques instants plus tôt.

Je me précipite sur le trottoir. Je regarde des deux côtés, pas de Becky en vue. Je continue la rue sur deux blocs, sans succès. Elle m’a sans doute délibérément faussé compagnie. Je renonce à la chercher. Elle saura bien retrouver notre hôtel toute seule. J’achète un peu de nourriture à emporter et je retourne vers notre hébergement. Lorsque j’arrive à la réception, la clé est toujours sur le tableau. Becky n’est pas rentrée. Il est presque onze heures quand elle se manifeste enfin. Je l’interroge sur sa fugue.

« Je n’allais pas te suivre toute la soirée dans les bars et les restos, je n’ai pas envie de travailler là-dedans. Je sais comment gagner de l’argent plus vite et sans me fatiguer. »

Elle me tend deux billets de vingt.

« Tiens, prend çà pour payer ma part de la chambre.

— D’où sors-tu cet argent, demandé-je.

— Je l’ai gagné, me dit-elle crânement.

— Je peux te demander comment ?

— Dans les toilettes d’un bar ! C’est pas difficile. »

Mes craintes se révèlent justifiées. Sa garde-robe, son copain armé, ce n’est pas sa famille qu’elle cherche à fuir.

« Tu veux dire que tu t’es prostituée pour gagner ces quarante dollars ?

— Non, il y avait plus, mais j’en ai gardé une partie. Je t’ai donné la moitié.

— Tu as fait ça comme ça, sans que personne ne te remarque ?

— C’est facile, mais il faut changer d’endroit régulièrement, sinon les employés te repèrent. »

Elle semble avoir déjà une belle expérience. Je commence à regretter de m’être laissée prendre à son petit jeu, mais après tout, elle nous rapporte de quoi tenir quelques jours de plus.

« Tu aurais tout de même pu me prévenir au lieu de disparaître, je t’ai cherchée un moment dans Beale Street.

— Ne te fais pas de soucis pour moi, je sais me débrouiller. »

En effet, j’en prends conscience, en quatre heure elle a gagné autant que moi en deux jours chez Billy.

« Écoute, dis-je, je ne suis pas ta mère, ni même ta sœur, je n’ai pas de leçon à te donner, mais ce n’est pas vraiment une façon correcte de gagner sa vie. »

En disant ces mots, je repense à ce que j’ai fait il y a à peine trois jours, pour payer mon essence.

« Non, tu as raison, ici je suis majeure. Je peux faire ce que je veux sans demander à personne.

— Tu sais quand même que c’est illégal ? Si la police t’arrête, tu risques de passer un mauvais moment.

— Ce ne sera pas la première fois ! »

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