Plaisir nautique

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Ozark Mountains, Arkansas

Vendredi 3 octobre 1980, 14h00


L’endroit ne paye pas de mine. Deux mobile-homes à demi en ruine sont installés dans une petite clairière qui surplombe les eaux du lac. En contrebas, un bateau à moteur est amarré à une jetée de bois. Une vieille Buick finit de rouiller, à moitié mangée par la végétation. Au milieu, deux canapés miteux tiennent lieu de salon de plein air. Becky et Mike sont installés sur l’un d’eux, une bière à la main. Je stoppe sous les arbres, derrière la voiture de Chad.

« C’est pas franchement reluisant, me dit l’homme, mais c’est chez nous. Tu veux une bière ? »

Je ne peux pas refuser, je fais un signe d’approbation et je vais rejoindre mon amie. Je m’installe sur le canapé libre et Chad vient naturellement s’asseoir à côté de moi. Les pions semblent posés sur l’échiquier. Qui a les blancs ?

Nous restons quelques instants sans parler puis Becky prend la parole.

« Chad et Mike sont cousins, leurs parents sont morts, c’est tout ce qu’ils leur ont laissé !

— On se débrouille, ajoute Mike, on ne se plaint pas.

— L’hiver, c’est plutôt calme, commente Chad, on va à la chasse dans les forêts du coin. L’été, il y a beaucoup de touristes, on rend des services à droite, à gauche. Il y a toujours des trucs à réparer, des pelouses à tondre… »

Mike va chercher une petite boîte dans un des bungalows, il revient et en sort de quoi rouler un pétard.

« On fait pousser de l’herbe dans une clairière un peu plus loin. Personne ne fait attention à nous. Les hommes du shérif ferment les yeux, dis Mike en passant le joint à Becky. »

La jeune femme tire une longue taffe, je comprends que ce n’est pas la première, puis elle passe la clope à Chad. Il inspire longuement avant de se tourner vers moi. Je fais un signe de dénégation. Je n’ai jamais touché à ça. Je ne vais pas commencer aujourd’hui. Il n’insiste pas et repasse le bedot à son cousin. Je sirote ma bière lentement, les deux hommes et Becky en sont déjà à la deuxième. J’ai un pressentiment, ça va déraper. Becky a posé les pieds sur le vieux divan et la tête sur l’épaule de Mike. Je vois la main de ce dernier qui s’insinue par le col de son t-shirt. Becky se laisse faire, elle semble dans un autre monde. Chad se lève à son tour et va chercher une bouteille sans étiquette, fermée d’un simple bouchon de liège. Il l’arrache avec les dents et boit une longue gorgée avant de me la tendre. Je la prends avec suspicion.

« On le fait nous même, c’est du bourbon ! Notre grand-père est né dans le Kentucky, il a apporté la recette avec lui à l’époque de la prohibition. »

Je goûte avec précaution, l’alcool est violent, je tousse.

« C’est sûr que c’est du raide. Il fait au moins cinquante degrés, rigole Chad. »

Je lui rends la bouteille. Pas question de me laisser aller. Il faut que je garde la tête froide. En face, Mike avance ses pions. Il a ouvert son pantalon et Becky commence à s’occuper de lui. Chad les regarde et me dit :

« On peut les laisser faire leur affaire, tu veux venir faire un tour ? »

Je n’ai pas trop le choix, je sais que j’ai le revolver dans mon sac, au cas où ça tournerait au vinaigre. J’accepte de le suivre. Nous descendons jusqu’au bord de l’eau.

« Une balade sur le lac, ça te tente ? me demande Chad.

— Oui, mais pas trop longtemps, on a encore de la route à faire ! »

Il me propose de prendre place dans la petite embarcation, tandis qu’il largue les amarres. Le moteur part du premier coup. Nous partons vers le centre du plan d’eau à vitesse soutenue.

« L’été, il y a des bateaux partout, commente Chad. Je n’ai pas un instant à moi. Il faut toujours que j’aille ici et là pour réparer un moteur. Le pire, c’est au moment du Spring Break, là, ce sont des quantités de jeunes qui viennent de Kansas City ou même de Saint-Louis pour faire la fête. En même temps, c’est bon pour le business… »

J’essaie d’imaginer le plan d’eau couvert d’embarcations, de jeunes gens qui se jettent à l’eau.

« Il y en a même qui se baignent à poil, souffle Chad, les yeux brillants. »

Soudain, il commence à ralentir et coupe le moteur. Je le regarde, surprise.

« Ici, on sera bien, non ? Personne ne peut nous voir !

— Nous voir ? demandé-je, ingénue.

— T’es le genre de nana qui me plait, répond Chad. T’as pas l’air trop nunuche, on peut prendre un peu de bon temps ! »

Bien sûr, j’aurais dû m’en douter. On n’est pas venu pour une promenade romantique. J’ai le revolver de Frankie dans mon sac, mais je ne vois pas ce que j’en ferais. Je ne me sens pas vraiment en danger et puis, je serais bien incapable de ramener le bateau à terre. Tout compte fait, si on oublie sa chemise graisseuse, il n’est pas si mal ! J’essaie de compter depuis combien de temps je n’ai pas passé un moment avec un homme, de mon plein gré. Il y a bien eu quelques coups d’un soir, j’ai même vécu quelques semaines avec un prof de lycée, à Bâton-Rouge, mais ça n’a pas été bien loin. Je bouge doucement, la barque tangue quand je me déplace. J’arrive à m’asseoir à côté de lui et ouvrir son vêtement. Il a le torse velu, comme un ours. Je glisse mes doigts sous l’étoffe. Il fait de même pour moi. Je sens sa main qui s’insinue dans mon soutien-gorge. Je sens une bouffée de plaisir monter en moi. Je plaque mes lèvres sur les siennes. D’une main, je fais sauter le bouton de mon jean. Il comprend le signal.

Nous ne pouvons pas aller plus loin, la taille et l’équilibre du bateau ne nous permettent pas plus de fantaisies. Après quelques minutes, Chad relance la mécanique et nous rentrons. Quand nous remontons vers les habitations, nous découvrons Becky et Mike, complètement nus sur le canapé. Mon amie me regarde d’un œil vague et me demande, d’une voix hésitante, où nous étions passés.

« Vous ne pouvez pas repartir tout de suite, me dit Chad, elle est complètement stone. Il vaut mieux attendre un moment. »

J’aurais sûrement mieux fait de la laisser là et de reprendre la route seule. Je regarde Chad et je lui demande une autre bière.

« On va à l’intérieur ? me propose-t-il. »


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