Reconversion
Topeka , Kansas
Mercredi 29 octobre 1980, 18h00
Nous sommes maintenant à Topeka depuis trois jours et je dois reconnaître que les choses ne se passent pas comme je l’espérais. Je vais de bar en restaurant en espérant trouver un emploi. Contrairement à Tulsa, la ville ne bénéficie pas de la manne pétrolière et pour ne rien arranger, le temps se dégrade. Terminées les soirées sur les terrasses, les bars ont besoin de moins de personnel. Becky de son côté reste choquée par les événements d’Oologah. Elle ne sort pratiquement pas de la chambre ou alors, pour aller acheter des pizzas. Depuis que nous sommes arrivées, nous n’avons rien gagné et notre pécule fond à vue d’œil. J’ai contacté un marchand de voitures d’occasion qui nous propose 400 dollars pour le pickup. J’hésite, ça nous permettrait de vivre une semaine de plus, mais après nous n’aurons plus de moyen de transport. D’un autre côté, si on n’a pas de quoi payer l’essence, on n’ira pas loin ! J’ai posé la question à Becky, elle n’a pas eu l’air de s’intéresser à la question. Je décide d’attendre jusqu’à la fin de la semaine pour prendre une décision.
C’est en faisant ce que je pense être le dernier plein de la voiture que j’entrevois une éclaircie. Alors que je me dirige vers la caisse pour payer le carburant, je remarque un petit panneau indiquant que le patron cherche un employé pour tenir la boutique. Je décide de tenter ma chance. J’interroge l’homme derrière le comptoir. Il doit avoir une soixante d’années. La lassitude se lit sur son visage. Son fils, qui travaillait avec lui, vient de se marier et il est parti avec sa femme vivre à Kansa City. Le patron me dit qu’il s’appelle Ronald Black, mais préfère qu’on l’appelle Ronnie. Il ajoute qu’il aurait aimé quelqu’un capable de faire un peu de mécanique. Ce n’est évidement pas mon profil. J’argumente tout de même un peu, lui expliquant que si je tiens la caisse toute la journée, il aura du temps à consacrer aux voitures. Je joue aussi un peu sur ses bons sentiments, insistant sur mon besoin urgent de trouver un travail. Mes arguments portent car il finit par se laisser convaincre. La paye proposée n’est pas mirobolante, mais il me permet d’occuper un temps la chambre laissée libre par son fils au-dessus du garage. Le deal me parait honnête, et n’ayant rien de mieux en vue, nous nous mettons d’accord. Je profite de l’occasion pour lui parler du C10. Je mentionne l’offre qui m’a été faite, mais il me déconseille de l’accepter.
« C’est pas une bonne affaire, me dit-il. Vous pouvez en tirer plus que ça et si vous voulez vraiment la vendre, je vous donnerai une autre adresse, mais avant, nous lui donnerons un petit coup de fraicheur. »
Nous prenons rendez-vous pour demain matin. Ronnie m’expliquera les spécificités du métier, mais il me rassure, ça n’a rien de sorcier. Son fils n’est selon lui pas trop futé et il y arrivait très bien. Je ne sais pas si je dois être flattée de la comparaison.
Je rentre au motel avec le diner. À Tulsa, je pouvais cuisiner un peu, mais ici, on n’a rien pour préparer les repas et à peine une petite table et deux chaises pour manger, même si la plupart du temps Becky grignote sur son lit, en regardant des feuilletons idiots à la télé. Bien sûr, elle n’a pas bougé de la journée. Je lui fais part de mon nouveau job. Pour une fois, elle semble intéressée.
« Je pourrai t’aider, si tu veux, ça doit être amusant, et puis comme ça je verrai du monde. »
Je lui précise qu’on aura aussi un petit logement à disposition. Cette information semble l’intéresser au plus haut point. J’ai l’impression d’entendre son cerveau élaborer des plans. Malheureusement, la connaissant, je ne suis pas certaine que ça corresponde au profil de la boutique.
« Ne t’emballe pas trop vite, fais-je, c’est une petite station, à la sortie de la ville, on ne va pas voir une foule de clients !
— Peut-être que ça changera quand ils verront qui tient la boutique ! »
Je n’ai pas envie de doucher son enthousiasme, je la laisse à ses pensées et je me prépare pour la nuit. Il n’est pas dix heures quand je m’endors, bercée par les répliques de la famille Ewing dans Dallas.
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