Elyna [Première partie]
« Aide-moi. »
La simple pensée de ces deux mots me firent frissonner tel que cela me prit plusieurs minutes pour faire cesser les tremblements. L’ancre s’était atténuée, les lettres écrites à la va-vite ne ressemblaient principalement qu’à un enchevêtrement de lignes et de boucles, toutefois j’avais compris la signification de ces quelques traits en un instant. Pire que tout, j’en avais reconnu l’auteur. Nous ne nous étions pas vus depuis près de treize ans mais son visage, chaque jour, hantait mes pensées.
Pourtant, cela n’était pas faute d’avoir essayé d’oublier.
Mes mains tremblèrent à nouveau. Je fermai les poings et les serrai contre moi dans l’espoir que cela aiderait à en atténuer les spasmes. Lorsque ceux-ci se calmèrent enfin, je repris la préparation de mon unique bagage. Dans le sac de toile que j’étais parvenu à me fournir à un prix modique, je fourrai une poignée de vêtements, une bourse pleine, et autant de denrées qu’il pouvait en contenir. Après quoi je glissai un coutelas à ma ceinture, une escarcelle partiellement remplie dans une poche et une carte aussi vieille que moisie, pliée et repliée d’innombrables fois, dans l’autre, ainsi que le message reçu quelques heures plus tôt. Enfin, j’enfilai une cape, mis le sac de toile sur mon épaule et sortis de la chaumière qui avait été la mienne ces dix dernières années.
Je m’avançai sur le chemin de terre et quittai mes terres sans un regard pour elles, les yeux obstinément tournés vers l’horizon. Mon coeur se mit à battre plus vite lorsque le message me revint en mémoire.
Aide-moi.
Sa voix résonna dans mon esprit aussi vivement que s’il s’était tenu à mes côtés, son regard empli de reproche et de haine posé sur moi, tandis que le sang d’Elyna maculait ses mains. À cet instant, je les revis tous deux plus nettement que jamais, comme si nous nous étions quittés la veille au soir. Elyna, souriante d’un sourire qui illuminait quiconque l’apercevait. Éphyr, dont la mine austère n’avait d’yeux que pour elle. Et moi, l’intrus dont ils auraient pu se passer et que, pourtant, ils avaient choisi de garder parmi eux.
De même me souvins-je de la dernière fois que nos vies s’étaient croisées. Nos vies… sa mort. Tout avait été de ma faute. Je m’étais montré trop imprudent, trop confiant. J’avais négligé mon rôle, trop certain de mes capacités à réagir rapidement et à maîtriser la situation. Puis ils étaient sortis de nulle part, trop nombreux pour que je fusse en mesure de les ralentir tous. Je n’avais pas même eu le temps de prévenir mes collègues de larcin. Je revis tout clairement. Les pas trépidants des soldats en approche. Le métal luisant de leurs lames. La lutte acharnée que j’avais menée pour me sortir du traquenard. Le cri d’Éphyr. Le sang d’Elyna. Ses yeux éteints. Son corps sans vie. Les mains d’Éphyr autour de mon cou. La haine dans ses yeux.
Je ne me souvenais plus de la manière dont je m’étais pris pour échapper à son étreinte, mais j’entendis encore son cri de rage, ses insultes, ses malédictions. Sa promesse de me retrouver. Et il le fit. Après treize ans de silence, le voilà qui réapparaissait sous la forme d’un parchemin, exigeant de moi de l’aide. Je n’avais même pas essayé d’ignorer son appel. Je me devais d’y répondre. Pour Elyna. Pour ce que j’avais fait.
J’ignorai où se trouvait Éphyr, dans quelle situation il était. Mais cela importait peu. Je me savais capable de le retrouver. J’avais été traceur, dans une vie lointaine. Et traceur je devais redevenir. La première chose que tout traceur apprend est qu’il faut retourner au point de départ, si nous ne savons pas où aller. Mon point de départ était loin, là où j’avais vu Éphyr pour la dernière fois. Là où Elyna était morte par ma faute. Mon corps tout entier se révulsait à l’idée d’y retourner. Mais je m’y forçai.
Pour Éphyr.
Et pour elle.
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