L'étrange monde des adultes - partie 2

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Anna fut conduite dans un étroit bureau au sol couvert de moquette. Le mobilier était constitué essentiellement d’une table où s’empilaient divers dossiers et classeurs, ainsi qu’une haute armoire à tiroirs. Quelques-uns parmi ces derniers étaient ouverts et laissaient voir encore d’autres dossiers. Sur les murs, en guise de décoration, quelques photos étaient suspendues. Un grand cadre attirait particulièrement l’attention. Dans ce dernier, on distinguait plus particulièrement une dizaine de personnes vêtues d’uniformes de police, debout dans ce qui ressemblait à un parking bétonné, entouré de grands immeubles. Un paysage typique de cette ville.

« Donc… tu m’as dit : pas d’internat ? Je te donne une dernière chance, au cas où tu aurais juste trouvé un déguisement très convaincant. Si tu essaies de fuir ton internat on le saura tôt ou tard et tu risques d’avoir de très gros ennuis. »

La jeune fille mit une longue seconde à répondre, absorbée par sa contemplation. La menace la rappela à l’ordre et elle s’empressa de secouer la tête. La policière avait saisi un large bloc-notes et y écrivait à toute vitesse.

« Bon, alors commençons par le commencement. Déjà, qu’est-ce que tu faisais dans ce camion ? »

Anna resta à nouveau silencieuse face à cette question. Étant donné qu’elle n’était pas sûre elle-même de ce qu’il s’était produit, elle se trouvait bien embêtée. Aussi, elle se doutait que parler de magie avec cette inconnue à l’air sévère n’était pas une bonne idée.

« Je jouais à cache-cache avec les enfants du parc et je voulais me cacher dans le camion… commença-t-elle sans conviction. Et puis tout à coup… il a démarré et… et le camion faisait trop de bruit alors le monsieur a rien entendu quand je lui ai demandé de s’arrêter et… et je suis arrivée ici. »

Même si ce n’était pas l’exacte vérité, la jeune fille se sentit un instant très bête en racontant les événements de cette façon. S’il y avait bien une chose qu’elle regrettait à présent, c’était d’être montée dans le véhicule d’un inconnu. D’autre part, il y avait peut-être plus de vérité dans son mensonge que ce à quoi elle se serait attendue en commençant ce récit. Aurait-elle pu simplement ne pas avoir entendu la voiture démarrer ? Cette perspective lui donnait le vertige. Elle était persuadée de n’avoir fermé les yeux que quelques secondes, et elle aurait pu jurer qu’aucun moteur n’avait émis le moindre son tandis qu’elle se concentrait sur sa perle. Si tout cela était véridique, alors cela ne ressemblait plus à de la magie, mais plutôt à une effrayant erreur de son cerveau.

« Une vraie tête en l’air ma parole ! repris l’interrogatrice. On ne t’a jamais appris que c’était dangereux de monter dans les véhicules des inconnus ? »

Pour toute réponse, elle souffla un bref « oui » en regardant ailleurs.

« Eh bien j’espère que cette histoire te servira de leçon. »

La femme afficha un rictus sans joie en griffonnant quelques mots puis reprit d’un ton ferme.

« Pendant que je venais te chercher, mon collègue a déjà vérifié les avis d’enfants perdus dans la région et on n’a rien trouvé qui pourrait correspondre à ton profil. ‘Faut dire, c’est assez rare de voir des enfants de ton âge fuguer. En plus là d’où tu viens, le seul internat des environs est très tranquille. Donc on a des raisons de croire que tu nous joues pas du pipeau. D’ailleurs, il y a un de ces camps de Voyageur pas très loin d’ici… Tu sais comment il s’appelle ? »

Elle acquiesça : « Oui, on va y aller dans quelques jours. C’est le Champrairie.

– C’est exact. »

La femme hocha la tête, affichant un air pensif. Elle nota quelques mots puis reprit.

« Bon. Pendant que je te parle, mon collègue s’occupe de contacter le poste de police du village où tu étais. On ose espérer que tes tuteurs tarderont pas trop à aller voir la police pour faire leur avis de disparition. En attendant, comme ils auront sûrement pas fini de remplir toutes les formalités administratives pour te récupérer avant demain, on va devoir te trouver un internat où passer la nuit… »

Anna mit quelques secondes à réagir à cette annonce. Jusqu’alors, elle était persuadée que la policière la ramènerait chez elle tôt ou tard. Elle n’aurait jamais pensé qu’on l’enverrait quelque part loin de la Cabane. Tandis que cette idée s’imposait à son esprit, elle observa, muette de stupeur, la femme au chignon qui ne semblait plus faire attention à elle.

« Mais pourquoi je peux pas rentrer chez moi ? » s’écria-t-elle brusquement.

L’adulte qui allait se lever eut un soubresaut qui interrompit son mouvement. Elle grimaça en lui jetant un bref regard puis répondit en se levant enfin.

« Parce que c’est la procédure. T’as fait une bêtise qui a demandé notre intervention, alors j’ai pas le droit de te rendre à tes tuteurs avant qu’on soit sûr que t’es éduquée correctement. »

Le ton était froid et intransigeant. Outrée par ce manque d’explication, la jeune fille fronça les sourcils et ouvrit la bouche pour protester, mais la policière fut plus rapide. « Oh non ! Tu vas pas commencer à faire des histoires. Si tu fais scandale je peux te garantir que ça ira dans ton dossier. Oui, ton dossier. »

Pour illustrer son propos, elle brandit devant elle un feuillet qui jusqu’alors se faisait oublier sur un coin de la table.

« Tu sais probablement pas ce que c’est vu que t’es qu’une gosse de Voyageurs… Mais tu vois, là-dedans, on note tout ce qu’on observe sur toi, et demain, un expert va analyser ça pour savoir si on peut te rendre tout de suite à tes parents. Et à ton avis, qu’est-ce que l’expert va penser s’il lit que la petite Anna ne sait pas se comporter correctement face à des adultes ? »

Pour le coup, l’intéressée compris immédiatement et se tut, effrayée devant la menace.

« Voilà, je préfère ça. T’as intérêt à être sage. »

Coupée net dans son élan de hargne, la jeune fille n’émit plus le moindre son durant les minutes qui suivirent. La policière l’invita à sortir pour retourner dans la salle d’attente, ce qu’elle fit sans attendre.

Anna se rappelait vaguement avoir déjà été punie d’une façon qui lui parût aussi injuste. Peut-être un souvenir de l’époque où ses parents l’avaient laissée pour quelques mois dans un camps de voyageurs. C’était une période où elle se disputait sans cesse avec les adultes censés s’occuper d’elle. Cela avait été les plus longues semaines de son existence, punie à longueur de journée. De là, elle en avait tiré la conclusion que la plupart des adultes étaient des personnes désagréables qui se croyaient tout permis juste parce qu’ils avaient quelques dizaines de centimètres de plus. Heureusement, ses parents étaient un cas à part. Dans la Cabane, il n’y avait pas de différence entre adultes et enfants. Il y avait juste une occupante un peu plus jeune qui avaient encore beaucoup à apprendre et qui savait compenser son manque d’expérience par son imagination et sa débrouillardise. C’était du moins en ces termes qu’Anna avait entendu ses parents parler d’elle une fois où ils rendaient visite à leurs amis et elle était extrêmement fière de ce statut.

À présent loin de la Cabane, elle commençait à comprendre que dans ce monde remplis d’adultes acariâtres, elle était renvoyée à sa condition d’enfant sans voix ni droit. La peur de ne pas pouvoir rentrer chez elle était une menace suffisante pour l’obliger à garder son calme. Pendant les minutes qui suivirent l’interrogatoire, la jeune fille eût l’impression d’être devenue une casserole à pression. Si on lui avait dit que de la fumée sortait de ses oreilles, elle ne s’en serait pas étonnée. La seule chose qui l’empêchait d’exploser était l’affrontement impétueux qui faisant rage dans son esprit pour décider de la meilleure stratégie à suivre durant les minutes à venir.

Pouvait-elle faire comme la voleuse des histoires du soir et s’échapper incognito pour rejoindre ses parents ? Elle doutait de réussir à rentrer seule à cette heure et craignait trop ce qu’il adviendrait si la police arrivait à la rattraper. La mettraient-ils en prison pour de bon ? Cette idée la glaçait d’effroi. Peut-être valait-il mieux pour l’instant rester tranquille et observer comment se déroulerait la suite.

De retour sur sa chaise-prison du hall d’entrée, Anna ne s’inquiétait plus des regards des adultes qui passaient devant elle. Elle était bien trop occupée par le tumulte qui régnait dans son esprit. L’attente lui parut plus courte que la précédente. Après une dizaine de minutes, la femme au chignon était de retour pour lui annoncer qu’ils lui avaient trouvé un internat et qu’elle devait partir.

« Ça ferme dans une heure, donc on n’a pas le temps d’attendre des nouvelles de tes tuteurs… déclara-t-elle en arrivant. D’ailleurs, à l’heure qu’il est, ils auraient déjà dû nous contacter depuis un moment s’ils ont vraiment envie de te récupérer… finit-elle pour elle-même. »

L’intéressée ne prit pas garde aux paroles de la policière, mais elle se glissèrent discrètement dans un coin de son esprit.

Anna était d’un naturel curieux. Cette situation bien que désagréable lui paraissait tellement irréelle qu’elle ne pensait pas encore à s’en inquiéter. Après tout, elle n’avait jamais vécu dans un internat. À force d’entendre d’autres enfants lui raconter leur quotidien, elle se demandait parfois comment serait sa vie si elle ne vivait pas dans la Cabane. Beaucoup de récits lui faisaient penser qu’elle ne s’y plairait pas. Elle était toutefois bien trop excitée à l’idée de tester la vie en internat pour se laisser aller à l’appréhension.

De retour dans la voiture, assise sur le siège arrière, la jeune fille profita que la policière ait les yeux rivés sur la route pour sortir à nouveau la bille de sa poche. Cette petite perle lui avait joué un drôle de tour alors qu’elle était en sa possession depuis à peine plus d’une journée. Que lui réserverait-elle pour les jours suivants ? Serait-elle embarquée dans une aventure incroyable ? Devrait-elle surmonter de grandes épreuves ? Elle était impatiente de le découvrir.

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