Étoile
Sous la pluie, son visage à demi dissimulé par la capuche, il fixait ses chaussures usées.
Ces mêmes chaussures qui avaient foulé les rues sous le ciel étoilé, tracé le chemin vers l'école, et laissé des empreintes sur la neige d'un hiver lointain.
Il adorait la neige. Son amour pour la neige était indéfectible, sa blancheur, surtout lorsqu'elle était fraîche, transformait le paysage en un tableau hivernal d'une pureté éthérée. Il aimait lorsque chaque flocon brillait comme une étoile tombée du ciel.
Sa mère, figure centrale de son quotidien, incarnait une différence notable. Elle ne partageait pas son amour pour la neige, allant même jusqu'à verser du sel pour la faire disparaître. Les différences entre eux étaient frappantes, et marquaient leur relation déjà tendue.
Il nourrissait un amour pour la musique classique, alors que sa mère la détestait, coupant le son chaque fois qu'il l'écoutait. Son affection pour les chiens était profonde, et il avait même demandé à sa mère d'en adopter un, mais sa réponse, teintée de mépris, décrivait ces compagnons fidèles comme de simples bestioles maladives.
Mais ce qu'il chérissait par-dessus tout, et ce que sa mère considérait d'un ennui sans nom, c'était la lecture. Rien ne dépassait sa passion sans limite pour les livres. Il dévorait toutes sortes de textes, façonnant ainsi une intelligence et une culture développées.
Il lisait comme s'il cherchait désespérément à s'évader de sa réalité néfaste. Ses amis fictifs semblaient réels dans son univers littéraire, un refuge qu'il aimait tant qu'il en ignorait les ravages silencieux.
À l'ombre des nuits, lorsqu'il s'évadait à travers la lecture, les pages devenaient des étoiles qui s'ouvraient sur des mondes enchantés. Les histoires devenaient des constellations, éclairant son esprit d'une lueur céleste, offrant une évasion dans des univers lointains et captivants.
Plongeant dans ses livres, il rêvait de ses histoires imaginaires, s'imaginant en tant que personnage apparenté. Les réminiscences firent revivre des instants assis à son bureau, un sourire s'esquissant alors qu'il répondait aux répliques de ses amis fictifs. Les souvenirs soulignaient la réalité profonde de ces connexions fictives, plus réelles que les interactions de la vie quotidienne.
Cependant, chaque retour à la réalité, marqué par les cris de sa mère, le laissait vide et coupable. La culpabilité s'installait, car il se sentait fautif d'éprouver du bonheur à travers son imagination, coupable de fuir la triste réalité. Mais cette évasion devenait une addiction incontrôlable, plus forte que lui.
Lorsque la réalité semblait trop sombre, il levait les yeux vers les étoiles, les imaginant comme des compagnons de rêves qui, tout comme lui, avaient cherché à briller dans l'infini de l'univers.
Pivotant de l'univers des livres vers une réalité qu'il forgeait, il se lança dans la création d'histoires où il était le héros acclamé, entouré d'une foule qui l'aimait. Un monde si parfait que chaque retour à la réalité était une descente brutale, le plongeant dans des larmes brûlantes, se questionnant sur sa propre existence. Il se demandait pourquoi personne ne l'aimait comme il le désirait, pourquoi il n'était pas porté dans le cœur des autres comme il l'écrivait.
Il sombrait dans cette solitude, un abîme que personne ne percevait, même pas lui-même. Malgré la douleur persistante, il insistait, car son bien imaginaire semblait être un refuge, même si cela s'accompagnait du mal réel.
Les nuits solitaires étaient éclairées par la présence des étoiles, devenues des confidentes dans ses moments de solitude. Leur lumière silencieuse réconfortait son cœur, créant une symphonie céleste dans laquelle il se perdait.
Penché sur ses écrits, il percevait les étoiles comme ses alliées dans l'art de l'écriture. Chaque mot qu'il inscrivait était une étoile naissante, une tentative de briller d'une lumière singulière dans le ciel de la créativité.
À travers le voile du temps, les souvenirs révélèrent ses doigts dansant sur le clavier, chaque mot allégeant le fardeau de la réalité.
En décrivant son monde imaginaire, il semblait presque pouvoir toucher l'éclat d'un ciel différent, caché derrière les nuages de la vie quotidienne.
Insatisfait du bonheur factice dans ses premier récits, il se plongea dans des récits sombres où son personnage était infortuné, mais entouré d'un soutien qui apaisait son moral. Cette évolution était comme une nouvelle configuration d'étoiles, illuminant son désir insatiable d'amour et de compréhension.
Ce besoin d'affection le poussa encore plus loin, à écrire des histoires où sa propre mort était le dénouement, suscitant le regret généralisé. Il était devenu captif de cette dépendance, une quête insatiable d'affection qu'il n'obtenait pas dans la réalité, le forçant à la créer de toutes pièces.
Les souvenirs révélèrent un flot de mots sombres, des récits créés dans des moments de détresse. Ces histoires agissaient comme un baume sur les blessures invisibles, une tentative de donner une forme à la douleur intérieure.
Non comblé, il plongea plus profondément. Rien n'était jamais suffisant. Ainsi, dans une quête désespérée d'attention, il décida de fuguer, quittant sa maison sans préavis, espérant que son absence ferait naître enfin l'inquiétude et le regard préoccupé de sa mère.
Avant sa disparition, il essaya de partager ses tourments avec sa mère. Ces souvenirs se teintèrent d'une tristesse sourde, les mots tombant dans le silence, annonçant un désespoir qui le poussa à partir vers l'inconnu.
Quelques jours plus tard, de retour chez lui, il se rendit chez sa mère, lui assurant de ne pas s'inquiéter, qu'il était revenu. Cependant, sa mère, le dévisageant, lui demanda où il s'en allait plutôt que d'où il venait, ignorant son absence comme les étoiles continuent à scintiller indifférentes aux regards qui les cherchent en vain dans la nuit
Dans sa quête inassouvie d'amour, les étoiles devenaient des échos lumineux de l'affection recherchée. Leur scintillement devenait une symphonie céleste, un appel à être aimé, même au-delà des frontières terrestres.
Enfant, il rêvait de devenir avocat, comme tous les jeunes naïfs et rêveurs. En grandissant, il décida qu'il visait encore plus haut, aspirant à devenir médecin, puis un grand sportif, les étoiles étant les témoins silencieux de la métamorphose de ses rêves.
Ces choix, ancrés dans le désir d'être acclamé, s'estompaient sous les rires moqueurs maternels.
Pourtant, à la sortie de l'école, un ciel chargé de nuages gris réveilla son penchant pour l'extraordinaire. Il ajusta sa capuche, décidant de faire un détour vers un endroit familier, où le ciel semblait être un livre d'étoiles à découvrir. Ces étoiles, auparavant un simple décor de ses récits, allaient bientôt jouer un rôle plus profond dans la trame changeante de ses aspirations.
Bien qu'il fût clairement interdit, le jeune homme connaissait trop bien le chemin pour y accéder. Grimpant le grillage rouillé, prenant le risque de se fouler la cheville, il pénétra dans le bâtiment dont les portes n'étaient pas cadenassées. Montant les escaliers sans la moindre crainte, comme s'il n'avait peur de rien, tel un héros.
Sur le toit, fixant le ciel tandis que la pluie se mêlait à ses larmes salées, il pleurait en pensant qu'il ne serait jamais aimé. Le désespoir s'insinuait à l'idée de ne jamais ressentir cette sensation d'importance dans le cœur de quelqu'un.
Il se questionnait sur ce qui pouvait le rendre moins digne d'amour que les autres. Toujours empreint d'un profond respect envers autrui, toujours prêt à aider, partager, toujours compréhensif. Il était perdu, ne comprenant pas ce qui le rendait moins.
Ce qu'il ne réalisait pas, c'est que ses interrogations étaient injustes. Il ne percevait pas son propre potentiel, ayant donné tant sans jamais recevoir en retour. Sa patience infinie et son amour démesuré avaient usé son cœur jusqu'à l'épuisement.
Sous la pluie, son visage à demi dissimulé par la capuche, il fixait ses chaussures usées. D'un pas peu confiant, il s'avançait à la bordure et sourit au ciel. Ce sourire incarnait son ultime espoir, celui de s'éteindre comme une étoile, là où tous les regards du monde le contempleraient, brillant chaque soir.
Car c'est ainsi qu'il se percevait, une étoile qui, même dans sa disparition, espérait enfin être remarquée et aimée, comme une lueur fugace dans l'immensité de l'obscurité.
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