Space cowboy

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Je me souviens du premier jour où j’ai pris ma voiture au début du Grand Confinement de 2020. Il y avait aussi peu de monde dans les rues de Nancy que dans les pubs pour bagnoles qu’on voit à la télé. Du fait de mon travail, aide à domicile, je faisais partie des rares élus qui avaient le droit de sortir de chez eux et d’emprunter les routes désertes, avec l’attestation dûment remplie !


Dans l’autoradio j’avais mis un disque génial de Jamiroquaï intitulé « The return of the Space Cowboy ». A cause de cette musique, je n’ai pas pu m’empêcher de faire une petite accélération éclair au démarrage alors que la chanson ‘The kids’ emplissait mon habitacle. Dans ma tête, je n’étais pas très loin du trip course en bagnoles façon Starsky et Hutch, avec la grosse bande son funky de rigueur. Quel panard ! Cependant, le plaisir fut de courte durée, à peine quelques secondes en fait, car j’ai dans la tête un casse-couille de première qui répond au nom de Prudence. C’est donc à contre-coeur, et un peu honteux de ce très bref excès de vitesse, que j’ai levé le pied pour stabiliser ma vitesse à 50 kilomètres heure.


Ca fait tout de même réfléchir à ce qu’il y a dans les tréfonds de l’esprit humain. Eh oui ! J’ai beau ne pas aimer les gros blaireaux qui se la pètent au volant de leur voiture tunée diffusant une techno immonde ou du gansta-rap de barbare, j’ai du mal à résister à ce genre de plaisir quand la perche m’est tendue. La seule différence, c’est que j’écoute du funk, moi môssieur ! Et que dans mon cas, ça ne dure pas très longtemps. Parce que bon, je ne suis pas un gros débile non plus.


Cependant, avec leurs voitures, les constructeurs ciblent, tout en le flattant,  le débile qui est en nous. Quand j’étais gamin, j’étais très impressionnée de voir que le chiffre le plus élevé sur le compteur de vitesse de la voiture de mon père, une Audi 80 LS rouge vermillion que je trouvais superbe, était 200 km/h! Une telle vitesse fait rêver un gamin, et je suppose que sur les grosses berlines récentes, l’extrémité du compteur indique 220 voir 240 km/h, vitesse que ces voitures n’atteindront probablement jamais, mais qui flattent le bourrin qui est en chaque conducteur, tout en lui suggérant au passage que les limites de vitesse, la prudence, tout ça, on s’en fout un peu.


Ensuite, le design des voitures rappelle de plus en plus celui des vaisseaux de science-fiction. Là encore le gamin qui est en moi trouve ça fun, et il se dit qu’après tout, tant qu’à conduire une voiture, autant que celle-ci ait un look sympa plutôt qu’un design de boite de chaussure. Mais est-ce que tout cela ne donne pas un peu envie de considérer la route comme un jeu vidéo ? Et de se la péter « Space cowboy » comme Jamiroquaï au volant de sa Ferrari ?


Vous voulez savoir la morale de cette histoire? Nos vies sont régies par des conventions et des lois qui contraignent et limitent nos comportement. Car on ne peut tout simplement pas vivre en société sans un minimum de règles communes. En 2020 pendant quelques semaines, nous avons subi une contrainte plus forte que tout ce que nous nous avions connu avant, à savoir le confinement, une mesure qui a été vécu par certain comme une privation extrême de liberté.


Nous vivons donc dans une société où du jour au lendemain, on peut décréter l’enfermement de toute la population pendant des semaines pour raisons sanitaires, ce qu’on peut trouver légitime ou pas, mais là n’est pas la question. Dans le même temps nous chérissons cette valeur appelée liberté, que beaucoup de gens confondent, à tort, avec la permissivité totale, c’est à dire le droit de faire tout et n’importe quoi, comme rouler à 150 km/h sur la route ou mettre la musique à fond chez soi en pleine nuit. Cette tension entre règles très contraignantes et aspiration à une liberté sans limite est déjà très forte, presque intenable.


Mais en plus de ça, nous sommes entourés de produits culturels/technologiques (ici, j'ai évoqué la bagnole et la musique, mais il y en a plein d’autres) qui, en quelque-sorte, soufflent sur les braises de cette envie de liberté, et qui, à chaque instant, nous suggèrent fortement de dépasser les limites, toutes les limites. Question philosophique : combien de temps une société peut-elle tenir avec une si forte contradiction ? Vous avez quatre heures.

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