Chapitre 2

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- Hey ! Salut May ! s'écria une jeune femme aux cheveux longs auburn, à l’air hautain et sûre d’elle.

Son parfum fruité empestait. À petite dose cela aurait senti bon, mais là, ça venait lui piquer le nez.

- Hey... répondit May. J'ai avancé sur l'exposé sur le street art en Amérique du sud et ai bientôt fini celui sur les fêtes de Valencia en Espagne. Dès que j'aurai terminé je te ferais une copie.

- Génial ! T'es super, s'exclama-t-elle. Tu vas manger là ?

- Euh... Oui. Du coup je vais te laisser, dit May en regardant la jeune fille et ses amies, toutes assorties à son style. Beurk.

C’était le genre de filles dont la jeune femme aimait rire et était dégouté à la fois. Des pimbêches qui, en groupe, faisaient les fières et se sentaient plus belles que n’importe qui, mais seules, baissaient la tête, ravalaient leur orgueil et se faisaient oublier dans la masse.

Elle entendit des ricanements dans son dos en sortant du bâtiment principal de l'Université vers le parc. Elle fit mine de rien entendre. Réagir à ça serait inutile et rendrait la situation encore plus ridicule qu'elle ne l'est déjà. Elle s'installa sur un banc entre deux gloriettes vers le centre du parc et sortit un sandwich au poulet de son sac. Mais avant de commencer à croquer dedans elle sentit que quelque chose n'était pas comme d'habitude. Elle vit une masse noire dans l'ombre de la petite haie. Elle leva la tête et tomba face à face avec les yeux luisants et vairons du loup noir.

- Hey toi, fit-elle. T'es un chien ou un loup ? Parce que tu m'as plus l'air d'un loup. T'es gentil, hein ? Je vais pas te déranger. Je ne bouge pas. Si t'as faim, fais-moi signe. Honnêtement, je crois que je viens de perdre l'appétit.

L'animal se releva pour s'asseoir et observer la jeune femme assise en face de lui. Il reconnut le pendentif qu'elle portait. Il pensait pouvoir rester assis à la regarder manger pour la surveiller mais son offre était trop alléchante. Son estomac n'allait pas lui pardonner un tel refus. Déjà qu'il grondait plus fort que l'orage. Il se leva sur ses quatre pattes et avança doucement vers la jeune fille aux cheveux courts. Sa fourrure noire scintillait au soleil comme les reflets du charbon en ses rayons. Puis s'assit à ses pieds en posant la tête entre les deux genoux de May.

- Oula ! T'es plutôt entreprenant, dit-elle en l'observant. Mais dis donc, t'as de beaux yeux tu sais ? Tiens, il t'est arrivé quoi à ton oreille ? On dirait qu'il en manque un petit bout, fit-elle, tremblante, le cœur à cent à l’heure en touchant son oreille droite à l'endroit précis où il manquait un bout de chair.

Le loup fit un petit mouvement de recul avant de remettre sa tête sur les genoux de la jeune fille qui était restée figée sur place, la main encore levée et les doigts légèrement refermés.

- Dur passé hein ? Désolée. Je n'aurai pas dû. Bon alors je te donne que des morceaux de poulet ou tu vas arriver à manger le pain qui est avec ? demanda-t-elle. Et c'est là que je donnerai tout pour comprendre les animaux, pensa-t-elle à haute voix face au silence. Allons-y pour seulement le poulet. Il me restera le pain et les deux ou trois feuilles de salade qui nagent dans la sauce mayonnaise, annonça-t-elle-en retirant tous les bouts de viande de son sandwich.

L'animal se leva pour aller manger la nourriture que la jeune femme laissait sur le banc, juste à côté d'elle. En sentant la nourriture s'agglutiner dans son estomac il remua la queue.

Soudain arriva un jeune homme aux yeux vairons, lui aussi décidément, et aux cheveux blond platine presque blancs aussi courts que ceux de la jeune fille :

- Hey ! Qu'est-ce que tu lui donnes ? grogna-t-il.

- Ah, c'est ton loup ? s'enquit May. Je lui donne des morceaux de poulet.

- Je dirais que c'est plus un ami, un frère. Il appartient à qui il veut, il est libre comme l'air. Joli pendentif, ajouta-t-il en le regardant du coin de l'œil.

La jeune femme suivit son regard :

- Merci. Il m'a été légué par mon père. Bizarre, hein ? C'est clairement un pendentif de style féminin, c'est pas lui qui aurait porté ça.

- Pas comme tes cheveux, lança-t-il en regardant les cheveux châtains de la jeune fille.

- Tu crois que les tiens te donnent un air masculin ? Avec ceux qui te retombent devant les yeux. Et depuis quand les cheveux courts c’est uniquement réservé aux hommes ? répliqua-t-elle sur la défensive.

Le jeune homme écarquilla les yeux. Il ne pensait pas qu'elle lui répondre sur ce ton. Il s'assit de l'autre côté du banc et continua faisant mine de ne pas avoir relevé ce que venait de dire l’étudiante :

- Sinon, c'est quoi ton nom ?

- May et toi ? répondit-elle.

- Chase. Et lui, dit-il en désignant l'animal noir entre eux deux, c'est Shadow. Mais il préfère qu'on l'appelle Shad. Dis-moi, ta mère a autant de répondant que toi ?

- Ma mère...fit-elle en songeant. On n'est pas assez proche pour que je t'en parle. Et j'ai du répondant quand je veux.

Sa mère était en pleine dépression depuis la mort de son père il y a un an de cela. Quand May allait lui rendre visite à l'hôpital psychiatrique, la femme ignorait tout bonnement sa présence et les rares fois où elle la regardait c'était avec un regard vide. Comme pour fuir toute forme de réalité. Elle ne pouvait sans doute pas accepter la mort de son mari qui était tout pour elle. Pourtant, il n’avait presque jamais été là. La jeune femme essayait de lui rendre visite le minimum de fois possible. Non pas qu’elle ne l’aime pas mais voir son état se détériorer lui faisait mal au cœur. Elle arrivait de moins en moins à lui faire face.

May regarda l'heure sur son téléphone. Son prochain cours allait bientôt commencer.

- Je dois y aller. Ce fut un plaisir Shad lança-t-elle en caressant la tête de l'animal.

- Et moi ? fit Chase en ouvrant les bras.

- Désolée, mais ton ami est clairement plus aimable que toi. Je te conseille de prendre exemple sur lui, lâcha-t-elle fermant son sac et marchant vers le bâtiment principal.

May n'en revenait pas. Elle, qui avait du mal à parler aux garçons, n'a pas eu de mal à lui répondre, et en plus de ça le taquiner. Elle trouva cela presque drôle. C'était pourtant le genre de gars qu'elle faisait tout pour éviter et contourner dans la rue. Le genre à regarder tout le monde de travers et faire sa vie sans se soucier des règles ni des autres. La jeune fille était plutôt fière d'elle et afficha même un sourire en rejoignant sa salle de cours, où elle retrouverait la petite bande de filles à qui elle avait eu à faire une heure auparavant.

L'heure passa lentement comme toutes les autres. May n'était pas mauvaise élève mais quand ça ne l'intéressait pas elle n'arrivait tout simplement pas à suivre le cours. Au lieu de cela, elle préférait dessiner sur le coin de sa feuille de notes et elle était douée. Elle avait pour habitude de dessiner des cerfs ou des renards, le plus souvent elle les faisait avec un pelage blanc. Il y avait tellement de détails dans ses dessins qu’elle les rendait presque vivant. Malheureusement pour elle, passant tout de même pour l'intello de la classe cela lui donnait le "droit" de faire les travaux de groupe toute seule. Pour ne pas prendre une note qu'elle ne méritait pas, disaient les autres. Mais plus stupide comme excuse c'était difficile à trouver. Il fallait être extrêmement naïf pour croire à ça. Elle n'était pas dupe mais elle n'osait pas dire non. Elle n'osait jamais.

Elle enchaîna avec deux autres heures dans un autre cours. Pour une fois elle dessina un loup, Shadow et un croquis de Chase dont les yeux la fascinaient. À la fin de son dernier cours de la journée elle alla à son rendez-vous quotidien avec les toilettes puis sortit de l'Université. Et comme chaque lundi après les cours elle pensait :

Lundi c'est fait, plus que quatre jours et c'est le week-end.

Mais ce lundi ne fut pas comme les autres. En sortant, passant par le parc elle revit le loup, qui hurla aussitôt qu'il la vit sortir en remuant la queue. Elle s’avança vers lui pour aller lui donner une dernière caresse avant de rentrer chez elle. Pendant qu'elle passa sa main sur le pelage épais de l'animal elle entendit quelqu'un à la démarche assurée arriver par derrière. Elle se retourna et reconnu Chase qui avait apparemment tenté de plaquer ses cheveux en arrière, mais deux ou trois mèches rebelles retombaient quand même sur son visage. Quand elle lui fit face Chase se gratta l'arrière de la nuque en regardant le sol puis regarda May dans les yeux.

- Tu as quelque chose de prévu ce soir ? questionna-t-il.

- Pas que je sache, répondit-elle. Pourquoi ?

- Ça te dit de venir avec moi dans la forêt ? J'ai un truc cool à te montrer, pour te remercier d'avoir nourri Shad. Il mourrait de faim, le pauvre.

Shadow aboya une fois derrière May pour acquiescer. Le jeune homme inclina la tête sur le côté en guise de "Tu vois ?".

- C'est pour me violer c'est ça ? Parce que seuls dans les bois, je vois pas ce que tu aurais à me montrer, lança-t-elle en blaguant.

Chase pouffa de rire :

- Tu t'es vue ? T'es pas mon genre. Déjà tes cheveux, et puis regarde comment t'es fringuée. Un jean troué et un sweat à capuche noirs sans parler de tes baskets qui sont, sans surprise, noires aussi. S'il y a un minimum de féminité en toi je crois que là tu lui as fait peur. En plus, ça cache le peu de formes que tu pourrais avoir. Mais à mon avis t'en as juste pas, critiqua-t-il, le regard moqueur, en esquissant un sourire malicieux. Et puis franchement, je ne pourrais pas infliger ça à Shad, ajouta-t-il en regardant de bas en haut la fille en se courbant sur le côté, comme pour mieux se l'imaginer sous tous les angles.

Vexée, les larmes commencèrent à monter aux yeux de May. S'il y a bien une chose que la jeune fille détestait c'était les critiques d'autant plus faites par des étrangers. Surtout que lui aussi avait une tenue à dominance noire. Mais, il avait touché un point sensible, ne pas sembler féminine tout en s'habillant et se coiffant comme elle le voulait. Et puis ça veut dire quoi être féminine ? Pourquoi les femmes devraient être obligatoirement féminine pour être désirable ? Toutes les critiques qu'elle redoutait venaient de lui être assénées en pleine figure. Elle se retint de pleurer, la rage au ventre. Elle aurait voulu lui en mettre plein la figure également, mais elle ne le connaissait pas assez pour frapper là où ça fait mal, et en faisant ça elle ruinerait l'un de ses principes qui était de ne pas profiter de la faiblesse des autres. Elle serra les poings et prit une grande inspiration en regardant vers le ciel pour faire redescendre les larmes qui étaient prêtes à couler.

- Va te faire voir, articula-t-elle le plus calmement possible avant de reprendre son chemin pour rentrer chez elle.

En commençant à marcher elle regarda vers le sol et, le regard obstrué par les émotions qui revinrent au galop, la jeune femme finit par sangloter.

- Non mais, attends, fit-il d'une voix plus douce qu'il ne s'y attendait. Il attrapa l’étudiante par le bras et la tourna vers lui en tirant sur ce dernier. Non, tu pleures là ? dit-il avec stupéfaction. Tu te moques de moi j'espère. Dis-moi que c'est une blague, ajouta-t-il en passant sa main dans ses cheveux, puis il se mit à pousser un rire sardonique.

- Va te faire foutre, marmonna-t-elle en regardant vers ses baskets.

- Pardon ? questionna-t-il, se demandant s'il avait bien entendu.

- Va te faire foutre ! glapit May en retirant son bras de l'emprise de Chase.

La jeune femme se retourna et se mit à courir le plus vite possible en pleurant à chaudes larmes. Non seulement les propos de Chase l'avaient beaucoup touchée, mais en plus de ça il avait une attitude narquoise et sans gêne. Pire, il rigolait de son état actuel et en était presque fier. May n'avait pas vu pire attitude depuis longtemps et s'en serait bien passée. Il l’avait blessée, sans même la connaître, quoi de plus horripilant ?

Tout en courant, elle entendit Shad japper comme s'il était triste qu'elle soit partie, qui plus est de cette manière. La jeune femme se senti désolée d'avoir quitté le loup de façon si brusque et pitoyable. Elle ferma les yeux pour évacuer un minimum l'eau chaude et salée qui lui embrumait la vue sous la chaleur de ses pleurs, puis reprit de plus belle sa course jusqu'à l'arrêt de tramway qui la mènera jusqu'à chez elle. Ses larmes lui réchauffaient les joues puis les glaçais au contact de l’air froid de la nuit tombante.

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