Cartomancie
Sloane Berjäk tira une carte au hasard, la fit tourner entre son pouce et son index et, d'un bref coup d’œil, en consulta la face.
— Tiens donc...
Elle glissa le morceau de carton dans la poche de sa blouse, juste sous le stylo. Le jeu était truqué. Ça, tout le monde s'en foutait. Un sentiment épineux étranglait le siège battant de sa circulation artérielle : une culpabilité triomphale et enivrante. Renvoyer Seth dans ce coma destructeur, lui imposer de prendre le large sur les ondes ravageuses du monde qui se cachait par-delà la conscience, et ce au risque de la laisser disparaître à jamais, c'était l'acte le plus abject qu'elle avait jamais commis.
Il y avait bien longtemps, avant de perdre espoir, Sloane s'était fait la promesse de délivrer la ville du fléau qui la rongeait ; fléau dont l'acronyme ne suffirait jamais à exprimer l'ampleur. Le néant ineffable dans lequel elle avait vu s'éteindre les vies, les unes après les autres, lui avait fait oublier son serment. Mais elle avait aussi vu une force insoupçonnée arracher Seth au sommeil dont elle était prisonnière, et la même patiente avait déjoué bon nombre de ses coups de bluff. Seth avait ravivé une lueur d'espoir. Si elle parvenait encore une fois – une seule fois suffirait – à contrer la torpeur imposée par le Syndrome, son sacrifice permettrait peut-être de délivrer du coma tous les rêveurs seuls qui viendraient après elle. Sloane le savait, pourtant : honorer sa promesse au prix d'un sacrifice, c'était déjà y faire entorse. La culpabilité fut finalement évincée par un simple constat : la vie a cela d'avantageux sur le poker que, faute de pouvoir connaître les règles du jeu, rien ne peut jamais y être condamné comme tricherie.
Seth était calme, inerte comme la mort. En l'absence de convulsion, Sloane conclut que tout se déroulait pour le mieux. Les signes vitaux étaient stables. Tout allait pour le mieux.
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