Le noir, le ciel noir, la mer noire, et le brouillard épais : Seth avait retrouvé ses songes. Il lui fallut un moment pour retrouver toute sa tête. Ses membres, cette fois, réapparurent bien vite. Ce rêve lui était familier : le clapotis de l'eau, le souffle glacé du vent et les cris stridents d'oiseaux qui résonnaient au loin. Oui, elle était déjà venue ici. Seth Eccles, c'était son nom à elle. Elle ne devait pas l'oublier. Au contraire, elle devait se souvenir. Que faisait-elle ici ? Le bateau. Emerson. Des fragments de pensées s'entrechoquaient dans son esprit, comme des pièces de puzzle en vrac qu'un gosse essaye d'emboîter sans en comprendre le principe. Pourtant, alors même que le brouillard autour d'elle commençait à se dissiper, les pièces du puzzle toutes mélangées révélèrent un vague aperçu du motif final. Monter à bord du bateau. Revenir pour Emerson. Seth n'avait pas oublié.

— Il y a quelqu'un ?

En réponse à son appel, Seth crut entendre un écho indistinct. Peut-être n'était-ce finalement que sa propre voix dans un rêve antérieur. Le sol en-dessous était imperceptible : flou et intangible. La gravité ne pressait pas contre la plante de ses pieds le poids de ce monde-ci. Ses pieds eux-mêmes, elle ne les sentait pas. En avait-elle jamais eus ?

— Vous êtes où, bordel ? Je suis prête maintenant. Je veux y aller, de l'autre côté.

Les oiseaux avaient fini de piailler et même les vagues semblaient s'être endormies. Peut-être l'océan s'était-il évaporée. Seth espérait que l'arrivée du bateau n'en serait pas perturbée. Elle donna à nouveau de la voix :

— Le Mage, t'es là ? J'ai réfléchi, tu sais. Je veux mettre les voiles. Maintenant ! Le monde est pourri, là-bas, j'ai rien à perdre ! Et j'ai deux mots à dire à Sigmund ! Putain, vous êtes sourds ? Je m'égosille toute seule comme une conne...

— Tu es seule, Seth. Mais tu aimes ça, n'est-ce pas ? Sinon, pourquoi aurais-tu fui ici ?

Cette voix. Le son de la pupille sans visage sous cette cape.

— Le Mage. Je t'attendais.