Médiation

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Seth tremblait comme une feuille, ébranlée par la tempête qui avait dévasté l'horizon de ses songes. Elle sentait son cœur battre dans chacune de ses cellules, par-delà son corps même. Sa chair, comme du cuir détrempé, se crispait, oppressante, et, tandis qu'elle haletait, l'écume translucide s'amassait sur les bords de ses lèvres entrouvertes. Ses yeux écarquillés se perdaient entre les planches du pont dont ils ne discernaient cependant que les jointures encaissées, sombres contours qui quadrillaient le flou environnant.

Une main gantée de soie se glissa sous le menton de Seth et releva légèrement son visage. Le regard de la jeune femme rencontra la pupille scintillante du Mage, éternellement voilé sous son épaisse capuche. Les ongles de Seth crissaient sur le plancher, cherchant vainement à s'y accrocher. Elle n'était pas certaine que ces mains étaient siennes, elle n'était même pas sûre d'être bien là, sous cette peau. Sa voix chevrotait lorsqu'elle se décida enfin à questionner le Mage :

— C'était quoi, cette vision ? D'où venaient toutes ces choses ?

— Ma chère petite ! Varys te l'a expliqué, voyons. Avec la confusion qui lui est propre, évidemment, mais suffisamment clairement pour que tu l'aies compris, si tu l'avais voulu. Le chaos qui s'est déployé sous tes yeux, mon enfant, n'est autre que ton Subconscient.

— Impossible. Le propre du subconscient, c'est qu'on n'est pas en mesure de le saisir.

— Bien, tu as établi le paradoxe. Nous progressons.

Le crissement des ongles contre le bois se faisait de plus en plus long et prononcé, tel le sanglot plaintif auquel son propre écho répond, encore et encore, jusqu'à étouffer tout espoir. Seth baignait dans l'incompréhension la plus totale.

Impasse.

Attendu que dans les rêves les paroles se confondent dans le désordre le plus total, si bien que la pensée s'y trouve mêlée à toutes les voix que l'on suppose externes, la jeune femme se laissa aller à raisonner tout haut :

— Je suis en train de rêver. Le rêve opère quand nous nous endormons et que nous perdons le contrôle de nos pensées. Le rêve est la manifestation du subconscient. Parler de manifestation, c'est presque un abus, parce qu'on en garde que des souvenirs imprécis, parce que tout ce qu'on voit en rêve est d'une imprécision totale. Puisque je rêve, en ce moment-même, je suis pour ainsi dire plongée dans mon subconscient. Le paradoxe, c'est que j'ai conscience d'être en train de rêver. C'est ce qu'on appelle un rêve lucide. L'existence même du rêve lucide est un mystère, puisqu'elle réside dans une certaine conscience de notre subconscient. Le rêve lucide est paradoxal. Mais les paradoxes existent, n'est-ce pas ? Il ne s'agit pas tellement de les dépasser, mais plutôt de comprendre les conditions de leur existence, la recette de l'équilibre inouï qui aboutit à leur formation. Ce qu'il faut interroger, en somme, ce ne sont pas les rapports d'opposition entre le conscient et le subconscient mais plutôt le média qui pourrait les relier.

— Toi.

— Pardon ?

— Ce qu'il y a de commun entre les facettes de ton être que tu connais et celle que tu ne soupçonnes pas encore, c'est que toutes deux se rapportent à ta personne, Seth. Tu es le dénominateur commun. Le média, comme tu dis. C'est par ta seule volonté que le conscient peut gagner du terrain sur le subconscient. C'est ce qui s'est produit tout à l'heure. Sans le savoir, tu as réalisé le premier pas vers la libération. Le subconscient fait partie intégrante de chacun d'entre nous, il constitue même la plus vaste part de notre être. Mais le monde d'où tu viens ne permet pas au subconscient de s'épanouir, de sortir de son cocon : la société dans laquelle tu vis bride les gens, tous autant qu'ils sont, et les empêche d'atteindre ce qui se trouve au fond d'eux, leur être véritable. Telle est la nature du subconscient : il s'agit de notre essence cachée, d'un voile qu'il nous faut lever. La résolution de ton paradoxe est simple : s'il est possible de prendre conscience du subconscient, c'est parce qu'il n'est destiné à le rester que momentanément. Néanmoins, il n'y a plus d'espaces propres à la rêverie, plus de temps pour que les hommes se penchent sur leur âme. En venant ici, dans ce monde qui échappe aux lois sociétaires, l'occasion t'a été offerte d'entrevoir cette essence cachée. Observer son subconscient peut être une expérience violente. Quoi de plus normal ? Pour une bonne moitié, il s'agit de tes désirs refoulés, de tes peurs inavouées, d'épisodes de ton existence que tu ne cesses de nier. Aux vues du nombre d'événements que tu as relégués au statut de souvenirs inaccessibles, il y a de quoi se demander ce qu'il te reste pour existence. Pourquoi luttes-tu dans l'autre monde, Seth ? Pourquoi luttes-tu si aucune de tes expériences ne te paraît digne d'être remémorée ? Si tu t'es laissée prendre par le sommeil, c'est pour une raison : tu es venue ici de ton plein gré afin de réaliser ton essence cachée, afin d'accomplir ton être véritable. C'est certainement encore trop difficile à accepter. Pourtant, après avoir posé les yeux sur cette mer, tu as acquis une certitude, n'est-ce pas ? Dis-le moi, Seth. Montre-moi que tu es plus intelligente que ton monde ne l'a voulu – trop intelligente pour accepter le monde dont tu nous viens. Quel est ton désir le plus profond, le plus honteux – le désir que jamais tu n'as pu avouer ?

— Ce que j'ai toujours voulu ? Sans le dire... Je n'ai jamais été à ma place. Mes parents n'ont jamais été mes proches, la génétique me les a imposés. La vision que j'ai eu de moi, tout au long de ma vie, on me l'a imposée, elle aussi. J'ai été obligée d'être seule. Mais ça ne m'a jamais dérangée. Il y a eu Emerson, après ça. Je l'ai aimée. Je l'ai aimée à m'en oublier. J'aimais m'oublier en elle, oublier que je n'étais rien, que je n'avais ma place nulle part. Et en même temps je détestais l'avoir à mes côtés, elle qui savait qui elle était, où elle voulait être, elle qui n'avait pas de complexes. J'aurais voulu qu'elle me haïsse, parfois, qu'elle arrête d'être tendre envers moi, d'aimer cette enveloppe creuse. Ce qu'Emerson a aimé, ça n'a jamais été moi. Et moi, tout ce temps-là, j'ai continué d'étouffer. Voilà ce que je veux, depuis toujours : pouvoir être celle que je suis vraiment, et pas celle que le monde a voulu que je sois.

— Nous y voilà enfin.

L'éclat de la pupille sous l'épaisse cape s'était fait plus intense. Bien qu'elle ne pût distinguer ses lèvres, Seth avait la conviction que son interlocutrice souriait.

— Seth, demanda le Mage, as-tu réfléchi à ma proposition ?

— Votre proposition...

— Je peux exaucer ton souhait le plus cher. Je peux te délivrer du désir qui te ronge. Je peux délivrer ton âme. Il te suffit de renoncer à l'autre monde. Qu'en dis-tu ?

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