Je viens après
À l’origine, texte produit en un essai en 30′ pendant d’un atelier d’écriture. Je l'ai peu retravaillé ensuite, tentant des effets. Je me suis dit que c'était une intro intéressante en débarquant sur Scribay !
Version 1.12
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Je viens avec mon nom. Fabien, du latin Fabius, la fève. Légumineuse grasse.
Je levai la tête quand la maîtresse distribuait les copies, qu’elle appelle mon nom ou pas, qu’elle s’adresse à moi ou à un autre, tant qu'elle commentait suffisamment fort un mauvais travail : “Pas bien !”
Plus tard, j’ai vu mes parents, assis sur l’herbe à Fontainebleau, chercher un prénom pour ma petite sœur. Alors je les vois aussi avant ma naissance, au soleil sur cette nappe, parmi ces restes de pique-nique, à énumérer des prénoms jusqu’à celui qui s’impose, celui de toute une vie. Un instant après, ma sœur s’appelait Marion, quelques instants plus tard c’était une petite fille joyeuse qui ânnonait les mots, tâtonnait pour former des phrases, et mâchonnait mon prénom sans parvenir à le prononcer : “Païen, païen !”
Pas exactement l’intention parentale.
Et pourtant, peut-être y a-t-il une thématique sous-jacente, puisque eux pensaient à une certaine forme d’impiété, celle du Colonel Fabien qui, en 1941 à la station Barbès-Rochechouart, se rebelle contre l’envahisseur en rayant une vie de deux coups de pistolets, caché par la courbure prononcée du quai de la ligne 4, fuyant par la ligne 2 aérienne. L’Allemand meurt, le Parti Communiste Français entre dans la résistance armée.
Mais le nom “Barbès-Rochechouart” renvoyait à un homme politique trop prestigieux pour qu’on accepte, après la guerre, de rebaptiser le lieu en mémoire de l’acte, alors la commémoration est reportée ailleurs. Sur un autre arrêt de métro, un lieu jusque-là affublé d’un simple nom commun : "Combat”. La place et la station sont rebaptisées “Colonel Fabien”. Cumul de sens. Car "Combat" avait reçu ce nom lorsque, à cet endroit exact, avait résisté l’ultime barricade des Communards en 1871, mortelle resistance parisienne contre l'excès versaillais de piété . Et cumul de sens à venir encore, car à cet endroit exact on érigerait en 1971 le siège du parti Communiste, cimentant un siècle et demi de combats contre l’oppression, union des luttes pour le triomphe de la liberté et pour l’arrivée, enfin, de nouveaux avenirs magnifiques.
Moi, Fabien, je viens après.
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