Dégage !
Officiellement, je fête mon bac avec quelques amis de lycée. La soirée de ce vendredi se passe chez Olivier. Il m’a proposé de rester le week-end chez lui avant que sa mère ne nous emmène à la gare lundi matin pour notre semaine dans son chalet familial dans les Pyrénées. Séjour entre best friends. Ce soir, il a gentiment proposé à Zach de m’accompagner, mais celui-ci a gentiment décliné l’invitation. Vos petites soirées entre bourges, désolé, très peu pour moi, n’oublie pas de remercier Oliv’ de ma part, ok ? Le plan est donc de passer le début de la soirée avec mes potes, avant de prendre le bus jusqu’à chez lui. Pas avant 22 heures, le temps que son père soit parti au boulot. C’est sa semaine de nuit à l’usine, il ne rentre pas avant huit heures du matin.
La totalité de l’équipe de volleyball, sans compter d’autres élèves de la classe. Hors de question de louper l’ultime soirée avant l’été. Si les filles se sont over pomponnées, les mecs ont sorti quant à eux leurs plus belles chemises. Bien obligé de jouer le jeu, mais à ma façon. Polo vert anglais Lacoste qui dessine ma stature de sportif, mon jean slim noir préféré, mes nouvelles pompes blanches (cadeau de ma mère) et le tour est joué. Je me trouve limite beau gosse, comme ça. Zach se fiche pas mal de la mode vestimentaire, j’espère quand même marquer des points auprès de lui.
Début de la soirée nickel. Il y a de l’excitation dans l’air. Même si je n’y assisterai pas en entier, il y a de fortes chances que cette nuit de fête s'annonce comme THE fiesta de l'année. On trinque, on rigole. Enfin fini les années lycée, à nous la vraie vie. Je sais que durant ces trois années, je n’ai jamais cherché à faire de vague, j’étais le pote partant pour tout, celui qui écoute plus qu’il ne décide. La donne a un peu changé en terminale, avec mon statut de capitaine de l’équipe de volley-ball. J’ai assuré ce rôle de fédérateur qu’on attendait de moi. J’ai été surpris d’aimer ça. Mais cela m’a demandé beaucoup d’énergie et de patience pour m’adapter et satisfaire mes coéquipiers. J’ai jamais profité de la situation, d’être au premier plan pour me la péter, je veux dire, ce n’est pas dans ma nature. Notre entraîneur l’avait bien compris. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il m’avait travaillé au corps pour que j’accepte ce poste. Il a vu en moi cet équilibre que je pouvais apporter à l’équipe, mais aussi pour moi.
Alors ce soir, j’ai définitivement rangé mon maillot de chef au vestiaire. Exit les responsabilités, la pression, l’image irréprochable qu’on projetait sur moi. J’ai envie de quelque chose de léger. N’en déplaise à Francis, mon père, dont je me fais un plaisir d’appeler par son prénom et non papa pour le faire chier. Il serait horrifié de savoir que je ne vais pas lésiner sur le champagne ce soir. Envie de me lâcher comme jamais.
Olivier, comme tout bon hôte qui se respecte, est aux petits soins avec ses invités. Je le vois qui stresse, persuadé qu’il n’y aura pas assez d’alcool pour satisfaire tout le monde. Lascive, sa Laetitia est littéralement collée à lui. Je préfère ça que quand ils s'engueulent pour un rien. Je mets ma main à couper que si cela arrive ce soir, il y aura réconciliation, version parenthèse allongée au premier étage. Mon téléphone me signale un texto. Changement de programme. Zach est déjà en route. Il passe me prendre. Mon cœur se remplit de joie. Tant mieux, ça sera encore plus rapide pour aller chez lui.
Faussement, je m’excuse de mon départ précipité. Une bise à ce que je croise sur mon chemin. Bel été à tous, profitez-en à fond, moi, je commence dès ce soir, mais sans vous. Je n’arrive pas à mettre la main sur Oliver pour le prévenir et lui dire au revoir. C’est la moindre des choses, il a été si compréhensif quand je lui ai dit que je m'éclipserai de sa soirée pour tenter ma chance avec Zach. Même s’il ne lui a jamais fait confiance, il a toujours été respectueux de mes fréquentations et de mes choix. C’est à ça qu’on reconnaît un ami, non ?
Dans la cuisine, je tombe sur Laetitia, en pleurs (déjà?), aux côtés de Ponette, la gourde de la classe qui tente de la réconforter comme elle peut avec son expression compatissante de Barbie.
— Heu… Ça va les filles ? Je cherche Olivier, vous ne l’avez pas vu par hasard ?
Laetitia s’effondre sur la table, tandis que Ponette me fait signe que ce n’est vraiment pas le moment. J’en déduis qu’Olivier et sa copine se sont encore pris la tête et que, comme d’habitude, il a préféré prendre l’air, au lieu d'avoir droit à une scène devant tout le monde.
— Vous lui direz que je suis obligé de partir, ok ?
Ponette, battant de ses grands cils, m’intime un dégage ! du bout des lèvres. À ses yeux, je ne réalise pas que l’heure est grave pour son amie. Comment fait-elle pour ne pas s’apercevoir qu'une fois de plus, Laetitia joue la comédie ? Je préfère quitter les lieux définitivement.
*
Deux minutes plus tard, changement de décor. Mon beau Zach à l’autre bout de la rue m’attend. Je saute dans sa bagnole, un sourire grand comme ça. Lui aussi est content de me voir, ça se voit sur son visage. Je rêve où il a fait un effort vestimentaire ? Il a mis son jean bleu qui met son cul en valeur et son t-shirt noir moulant. Il a même changé son piercing à l'oreille. Un petit anneau noir que je ne connais pas. Ça lui va trop bien et le rend encore plus sexy. J’ai déjà grave envie de l’embrasser. Il me dit que je sens l’alcool, ce qui me refroidit direct.
— Te vexe pas, je plaisante ! T’as les yeux qui pétillent mon p’tit Manu, j’aime bien te voir comme ça, dit-il pour se rattraper, avant de m’ébouriffer les cheveux. T’as de la chance, j’ai un pack de binouzes au frais. C’est bien meilleur que votre champagne hors de prix.
— Merci, mon prince, réussis-je à dire pour lui montrer que je n’ai pas pris la mouche.
Nous quittons la rue.
— Où tu vas, tu t’es trompé de route pour aller chez toi !
— T’inquiètes, Manu, on fait un juste un petit détour pour acheter de l’herbe et on se fait une soirée tranquille.
Je réprime mon impatience avec comme unique réponse, un ok, ça roule.
Ce n’est pas la première fois que je l’accompagne chercher du shit, mais c’est la première fois que je le vois aussi tendu pour y aller. Il vient d’avoir son permis. Il est concentré sur la route. Moi qui galère avec mes leçons de conduite, je comprends sa prudence. Il doit flipper, surtout avec la voiture de son père. Ça a beau être une caisse pourrie, s’il lui arrivait le moindre pépin, Zach serait bien embêté pour lui.
Zach connaît l'itinéraire comme sa poche. Un quartier résidentiel friqué et calme. Depuis quelques semaines, il a changé de fournisseur. Première nouvelle. Il me rassure que tout est ok. Je rigole pour la forme. Je n’ai aucune envie d’en savoir plus. Je ne pose aucune question. Plus vite ce sera fait, plus vite on pourra passer la soirée tous les deux, peinards sur son canapé. S’il a besoin d’herbe, je crois que moi, les bières ne seront pas du luxe.
Un grondement assourdissant dans le ciel se fait entendre. Je sursaute bêtement et échappe mon portable des mains. Zach se marre de ma maladresse. Je me sens con, mais ris aussi. Faut que je me calme, je suis vraiment trop nerveux. Non pas à cause de ce petit détour, mais de la suite. De nous deux allongés l'un sur l'autre sur son canapé en train de nous rouler des grosses pelles. “T'enflamme pas, Manu, les sensations fortes, avec lui, ça n'arrivera jamais”. Je déteste les phrases d'Olivier qui débarquent sans prévenir dans mon esprit.
La météo avait prédit de l’orage pour ce soir, elle n'avait pas menti. Les nuages ont fait leur apparition en nombre et assombrissent déjà le ciel. La voiture finit par ralentir dans un cul-de-sac. Il reste une place de disponible dans la rue.
— T’abuses, t’as pas vu le panneau d’interdiction de stationner ? Si le propriétaire rapplique, je fais quoi ?
Il en faut plus pour décourager Zach, je devrais le savoir.
— T’inquiètes, Manu, j’en ai pour cinq minutes. Ça doit être des vieux qui habitent là et ça va se mettre à pisser, dit-il en regardant le ciel. Ils vont rester chez eux. Au pire, tu bouges la bagnole. Ça te fera de l’entraînement, dit-il en me montrant les clés laissées sur le contact.
— T’es con. Bon ok, mais grouille-toi.
— T’as peur de l’orage ou quoi ? Je fais juste un saut dans la résidence que tu vois devant toi. C’est au deuxième étage. Ils m’attendent. Je peux te faire signe depuis la fenêtre si tu veux.
— Ah, ah, très drôle.
Zach me lance un dernier clin d'œil en souriant, avant de claquer la portière. Une dizaine de mètres plus loin, je le vois devant l’entrée de l’immeuble. Il sonne puis s’approche de l’interphone. Il pose sa main sur la porte qui ne tarde pas à s’ouvrir. Il se retourne vers moi, le pouce levé, avant de disparaître.
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