Une pause s'impose
D'un seul coup, je me redresse, le regard hagard et désorienté. Mes mains tremblent. Je cherche un point de repère pour reprendre pied. Je ne sais pas où je suis. J'ai l'impression de me noyer. Je manque d'air.
— Zach, tout va bien ? me dit une petite voix.
Qui me parle ? Où suis-je ? Une truffe se pose sur mon épaule. Elle me ramène doucement à la réalité. Je réalise tout à coup que je suis dans la BMW du père de Manu. Je caresse le museau d'Anouch pour la rassurer.
J'ouvre lentement la fenêtre, l'air frais s'engouffre dans l'habitacle : une vraie bouffée d'oxygène. Je sens une main se poser sur la mienne, elle est chaude. Ce contact m'apaise.
— Pardon Zach de t'avoir fait peur et réveillé en sursaut, je n'avais pas vu le dos d'âne, je l'ai pris un peu trop vite.
— Tu n'y es pour rien. C'est moi qui devrais m'excuser, tu conduis et je m'endors. Je t'abandonne.
— T'inquiète, ça m'oblige à prendre mes responsabilités. Ça va toi ?
— Je sais pas trop. J'ai dû faire un cauchemar. Mais je ne me souviens de rien. Et toi, pas trop naze ?
— Ça va aller, on arrive dans quinze minutes à Gastes. On va pouvoir se poser.
L'assurance de Manu me rassure. Il m'étonnera toujours. Il a juste besoin d'un coup de pouce pour aller de l'avant et qu'on lui fasse confiance. Il aurait pu me laisser planter là et retourner à sa vie dans sa tour dorée. Je pense qu'il a surtout besoin de s'affranchir de ce rôle qui ne lui convient pas du tout. Il est tout sauf un fils à papa pourri, gâté et loin des réalités. À mes yeux, c'est le gars formidable et sensible sur qui je peux compter depuis notre entrée en seconde.
— Tu sais, ton sommeil était bien agité, me dit-il.
— Un peu comme cette soirée, rien d'étonnant, non ?
— Sûrement, tu as raison.
— T'as de la chance que je ne ronflais pas.
— Pourquoi ?
— Mon père dit que je pourrais réveiller tout un quartier.
— Ah ben, je plains Géraldine.
— T'inquiète, elle viendra plus râler, t'auras plus à la supporter.
— Ah ouais c'est vrai, elle est partie en vacances.
— Si seulement, elle m'a surtout planté. Je viens de lui dire salut et à jamais.
— Quoi tu l'as plaqué ? Pourtant t'avais l'air de l'avoir dans la peau.
—C'est elle et son putain de frère qui ont faillir me faire la peau.
— Je comprends pas.
— Ils étaient tous les deux chez moi.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Je comprends plus rien. Qu'est-ce qu'ils foutaient chez toi ?
— Ils étaient venus pour mater un film où j'étais le héros principal.
— Tu t' fous de ma gueule.
— Un peu, pardonne-moi. L'histoire serait trop longue. Roule.
— Pourtant faudra bien qu'on en parle à un moment.
— Pas maintenant mon p’tit Manu, t'as vu, Anouch apprécie ta conduite souple, elle dort comme un bébé.
— Change pas de conversation et ouais j'essaie de ne pas faire n'importe quoi, je te rappelle que j'ai toujours pas mon permis.
— Tranquillise-toi, tu gères.
— Merci, me lâche Manu avec un sourire qui s'esquisse sur ses lèvres.
Heureusement pour moi, il lâche l'affaire, je lui dois des explications c'est clair, mais pour l'heure, il va devoir se satisfaire de ça. J'ai besoin de me vider la tête.
Manu propose de mettre un fond musical, ce que je m'empresse d'accepter. Je lui laisse choisir le programme. Les premières notes de River flow in you de Yiruma m'emportent à cent mille lieux de cette route de campagne. Je nous revoie il y a un mois avec Manu dans ma chambre. Il savait que j'adorais ce pianiste et m'avait fait une compilation de ses titres. Nous nous étions installés sur mon lit, nous accordant un break dans notre préparation pour le bac. Nous les avions commencées à l'aube. Nous aimions bosser ensemble, moi je lui filais un coup de pouce en maths et lui en physique.
Ce jour-là, nous avions décidé comme c'était la dernière avant le début des épreuves de faire les révisions chez moi au lieu de la bibliothèque. Nous voulions la paix. J'en avais ras le bol des piques lancées régulièrement par Cédric. Ses allusions commençaient à me prendre la tête et d'ailleurs je lui avais clairement fait savoir que s'il insistait, il pourrait aller se trouver un autre pote. Je me demande s'il n'a pas pris ça pour une invitation. Depuis que Manu a fait son coming-out, Cédric est distant. J'ai mis ça sur le compte de la bêtise et de la jalousie. Il est vrai que je passais plus de temps à réviser qu'à faire la fête. Je voulais avant tout avoir mon examen.
C'est drôle en repassant à ce dernier soir de révisions, je ne sais pas qui de Manu ou de moi s'est endormi le premier sur mon lit. La seule chose dont je me souviens, une larme glissa sur ma joue. Son cadeau m'avait tellement touché. Manu ne pouvait pas savoir que ma mère jouait du piano enfant. À nouveau, il me sort de mes pensées.
— Zach, on va arriver.
— Ok parfait. T'as pas un paquet de kleenex.
— Regarde dans la boîte à gant, il doit y avoir ce qu'il faut.
— C'est le vrai bordel là dedans.
Je ne m'attendais pas à ça, j'aurais pensé son père plus soucieux de ranger et de ne laisser aucune trace derrière lui. Je farfouille, il y a une enveloppe kraft avec le logo de l'hôpital de la ville. Curieux, je ne peux m'empêcher de jeter un œil à l'intérieur. Je découvre une photo de moi et de Karl, quand j'entends Manu m'interpeller :
— Tout va bien Zach ? On dirait que tu as vu un fantôme.
— Hein, quoi ?
Je referme précipitamment le dossier.
— Il y avait une souris ou quoi ?
— Non, c'est bon j'ai trouvé ce que je cherchais. D'ailleurs, regarde il y avait cette photo au milieu du fatra. C'est toi, le petit brun aux yeux noisettes sur les genoux de son papa ? Vous aviez l'air heureux.
— Ouais, dit-il songeur.
Ses mains se crispent sur le volant, je le sens tout à coup soucieux et loin de moi. Comme à chaque fois que j'ai voulu aborder sa vie de famille, il se referme, devient absent. Qui suis-je pour le juger ? Je ne fais guère mieux. Nous sommes deux perles dans une coquille, dès que l'on s'ouvre nous avons peur de souffrir. J'ai tellement envie de penser qu'un jour ce sera différent et qu'il fera le premier pas pour se livrer totalement.
— Manu, ralenti on entre en ville, dis-je d'un air taquin.
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