Merci Bruno
Le marché s'anime, les vacanciers réveillés s'agglutinent, ils butinent d'étal en étal et s'empressent de goûter aux produits locaux. Retrouver les joies de la vie loin de la grande ville me fait un bien fou. Assis à côté de Mme Paquette qui s'avère être une vraie pipelette, je me laisse porter. Je comprends son désarroi de ne plus avoir la chance de côtoyer ses êtres chers. Dans son malheur, elle a de la chance, seul l'océan la sépare de son petit gars. Moi je pourrais traverser les enfers, jamais je ne pourrais revoir ma mère. Je réalise que je n'ai pas suivi le bon chemin. Putain, regarder les étoiles hier soir et j’ai compris que celle qui brillait le plus devait l'avoir accueillie. Tout à coup, je ne l’ai plus vu, était-ce sa façon de me faire comprendre que j'allais me brûler les ailes si je continuais à jouer au con ? Pourtant, j'ai besoin de savoir la vérité, je la lui dois. Son crime ne peut rester impuni.
Une main se pose sur la mienne et me reconnecte au réel, j'étais encore aller me réfugier dans mes pensées. Mme Paquette guillerette me dit :
— Zach, ça fait vingt minutes que nous partageons ce petit déjeuner, tu peux peut-être m'appeler Marie et me tutoyer.
— Si ça peut vous faire plaisir, pardon te faire plaisir Marie, je m'exécute.
— Laisse-moi t'offrir un croissant de plus.
— Non c'est bon, c'est très gentil mais je vais exploser.
— Tu penses que ton petit copain est perdu ? Oh pardonne moi à mon tour, je ne voulais pas me montrer insistante.
Je ne peux contenir mon rire, décidément ce petit bout de femme est trés drôle. Plus étrange, ces paroles ne me choquent pas. Le plus embêtant, l’absence de Manu se prolonge, il n'a toujours pas donné signe de vie et là ça m’inquiète. Je n'ai plus de portable pour lui envoyer un texto et lui dire de me rejoindre. Je pourrai emprunter celui de Marie, elle accepterait volontiers. J’hésite puis me ravise. Je me lève en direction de Bruno, occupé avec les enfants affamés, et lui tend mon plateau.
— Il n'est toujours pas revenu ? me demande-t-il avec un sourire apaisant.
— Non, je vais aller faire un tour pour voir s'il ne s'est pas perdu. Ça t'embête si je te laisse les viennoiseries. Si je ne suis pas revenu dans un quart d'heure, offre les à Marie de ma part.
— Pas de soucis, mais ne te fais pas de bile, il ne doit pas être bien loin.
En premier, je file en direction de la voiture au cas où il serait en train de téléphoner peinard. Personne. Quel con ! Les clés sont dans ma poche. Je prends son sweat posé sur la plage arrière pour que Anouch s'imprègne de son odeur, parfait pour retrouver sa trace. Je suis ma chienne et nous nous faufilons entre les clients. Je meurs d'envie de me griller une cigarette, mais mon paquet est vide. Je le mets en boule et le jette en direction de la poubelle. Raté. Bien la peine, d’avoir fais du basket pendant cinq ans. Je me baisse pour le ramasser et j'aperçois un jeune d'une quinzaine d'années qui chipe un couteau sur le plan de travail d'un rémouleur. Le petit monsieur n'a rien vu mais moi on me l'a fait pas. Je le laisse avancer sans le perdre de vue, vérifie s'il est tout seul ou accompagné. Et surtout m'assurer qu'il ne va pas faire une connerie supplémentaire. Il se dirige vers la cabine téléphonique, une fois à l'écart je l'attrape par le bras et Anouchka lui barre la route.
— Eh lâche moi connard, me dit-il en pointant son couteau.
— Écoute, si tu penses m'effrayer, tu te mets le doigt dans l'œil.
— Tu sais où tu peux te le foutre le doigt ?
— Oui j'ai bien une idée mais pour le moment j'ai mieux à faire.
— Abruti casse toi, mes potes vont arriver.
— Fais pas ton malin, sois tu me suis pour rendre le couteau à ce brave petit monsieur, sois c'est moi qui t'accompagne par la peau des fesses.
— Tu rigoles, t'es pas mon père.
— Non, mais il ne serait pas heureux de te voir faire.
— Ouais je m'en tape de ce qu'il peut penser.
— Bon allez j'ai mieux à faire, soit toi tu agis comme un grand ou c'est moi qui t'aide à avancer.
— Putain, tu me casses les couilles. Lâche-moi c'est bon je vais le rendre. T'es content ?
Je me cale dans ses baskets et nous rebroussons chemin. Nous arrivons devant le stand, attendons le départ du groupe qui observait l'artisan œuvrer pour commencer à échanger avec lui. Le jeune lui tend le couteau tout en baissant le regard honteux de son geste. C'est à ce moment-là que sa mère arrive, furieuse, elle lève sa main dans sa direction. Je ne peux m'empêcher de me glisser entre elle et son rejeton et c'est ma joue qui ramasse encore une fois. Elle fond en larmes. Elle ne sait comment se faire pardonner, totalement désemparée. Elle finit par payer le couteau et le glisse dans son sac, honteuse du comportement de son aîné. Pour finir, elle me regarde cherchant une façon de s'excuser. Je sais ce que les deux doivent ressentir et d'un commun accord, nous en restons là. Pas la peine d'aggraver une situation déjà bien compliquée. J'espère juste qu'ils trouveront un terrain d'attente. Avant qu'il file je ne peux m'empêcher de prendre le jeune à part :
— Tu sais, une mère est un cadeau précieux de la vie. On ne nous l'offre qu'une fois. Alors même si tu la trouves chiante, n'oublie pas qu'un lien fort et invisible vous unit. Ne le brise jamais.
Je ne sais pas s'il m'a compris mais avant de disparaître, je le vois déposer un baiser sur la joue de la femme à ses côtés. Je sens que je vais m’effondrer, il est grand temps que Manu apparaisse.
Anouchka me lèche la main, elle a dû renifler quelque chose. Je m'empresse de la suivre et me retrouve à nouveau devant la boulangerie.
— T'exagère ma belle. Tu aurais pu me dire que tu voulais un morceau de pain.
Je me retourne et découvre avec soulagement Manu qui papote à son tour avec Marie.
— Tu vois, il est revenu le beau gosse me dit Bruno en me donnant un plateau. J'ai remis deux cafés bien chauds.
— Je te dois combien ?
— Rien, c'est la maison qui régale.
— Tu es sûr ?
— Oui.
— Merci.
Je me dirige vers la table, c'est le moment que choisit Marie pour se lever.
— Bon allez je vous abandonne les tourteraux, il est temps que j'aille faire les courses.
Nous nous regardons et nous sourions bêtement. On dirait deux ados pris la main dans le sac. Je m'assois en face de Manu qui s'amuse avec son doigt sur le rebord de la tasse. Je comprend qu'il veut me dire quelque chose mais ne sais pas par où commencer. Alors dans ce cas là, j'emploie toujours la même méthode.
— Chifumi.
— Ok, en deux manches, répond-il.
— Je te préviens, tu vas perdre comme à chaque fois.
— Ça dépend, il y a quoi à gagner ?
— Si je perds, je conduis pour le reste du voyage.
— Ah ah très drôle. De toute façon, t'as pas le choix.
— Ok, allez c'est parti.
— Le papier enveloppe la pierre : 1 pour moi, dit Manu avec un sourire jusqu' aux oreilles.
— Eh merde, le ciseau coupe le papier.
— Eh eh, c'est à toi le volant.
— Bon ok, j'essaierai de pas rayer la BMW.
— Si on n'en avait pas besoin, je te dirai de l'envoyer dans le premier trou venu.
— Toi, tu as eu ton père ? Putain, c'est avec lui que tu parlais au téléphone. Manu, t'as fait quoi ? On est foutu. Rassures-moi, tu ne lui as pas dit où tu étais ?
Je le vois réfléchir à la réponse qu'il va pouvoir me faire. J'aperçois une lueur de panique traverser ses yeux. Ses mains s'agitent sur la table. Il mord l'intérieur de sa joue. La seule fois où je me souviens l'avoir vu faire ça c'était avant de faire son coming out.
— Stp, tu lui as pas dit que nous étions ensemble et ni où nous étions.
— Non. Mais, à l'heure qu'il est, il doit être à la gendarmerie pour porter plainte pour vol.
— Il n'y a rien sur ton portable ou dans la voiture qui pourrait lui permettre…
— Merde aucune idée, je n'y aies même pas penser. Mon portable, je l'ai acheté avec ma mère. Il sait qu'il n'a pas intérêt de fouiner dedans. Et je ne sais pas comment il trouverait mon code. Impossible aussi qu'il puisse me localiser. Par contre, j'ai un doute pour la voiture. Il veut absolument l'avoir pour son voyage à Madrid avec son collègue la semaine prochaine. Il avait l'air emmerdé de lui demander de prendre la sienne, alors qu'il sait que ça ne poserait pas de problème. J'ai l'impression qu'il me mentait. Ou alors je me fais un film. Qu'est-ce qu'on fait ?
— Aucune idée. Faut qu'on se casse au plus vite.
Pas le temps de finir ma phrase que Bruno pousse un jeu de clés en ma direction.
— Désolé, j'avais les oreilles qui trainaient mais si je peux vous filer un coup de pouce.
— Mais pourquoi ?
— Parce que Zach, j'étais pas sûr de t'avoir bien reconnu ce matin dans la voiture quand je vous ai réveillés. Plus je t’observe depuis tout à l'heure, plus je me dis que tu as le regard de ta mère. Je la connaissais bien et elle m'en voudrait de ne pas te filer un coup de pouce.
— Tu connais ma mère ? Mais d'où ?
— Nous étions au lycée ensemble et avant qu'elle rencontre ton père, on va dire qu'elle a été ma première histoire d'amour. Tu as ses yeux et la même douceur dans le regard.
— Mais je ne comprends pas.
— Cherche pas, pour l'heure accepte les clés de ma deudeuche, elle n'en a pas autant sous le capot que la BMW mais je pense qu'elle pourra faire l'affaire.
— Merci, dès que j'arrive à Mezange…
— T’inquiète, je viendrai la chercher.
— Je ne sais pas comment te remercier.
— Dégagez au plus vite.
J'attrape le trousseau avec un porte clé en forme d'étoile, prend la main de Manu et nous fonçons. Je profite que Manu récupère ses affaires dans le coffre pour chopper le dossier dans la boîte à gant et le fourre dans mon sac à dos. Nous laissons les clés dans la voiture comme nous l'a conseillé Bruno. Il se chargera de signaler le véhicule suspect à la police municipale à la fin du marché.
— Allez Manu, attache-toi, mets la musique. On est reparti.
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