Tu m'entends

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J'interroge Manu du regard, cette nouvelle est plus ou moins rassurante. À son visage pas sûr, je vois dans ses yeux qu'il est inquiet. Ce petit geste qu'il fait avec ses doigts sur la table, comme s'il pianotait est signe de sa nervosité. J'ai pensé la première fois que je l'ai vu jouer ainsi qu'il répétait une mélodie. J'ai rapidement compris que c'était une façon d'évacuer le stress qui le gagnait. Un SOS lancé pour m'interpeller. C'est même devenu un jeu entre nous, une sorte de code. En cours, quand l'un ou l'autre séchions sur un devoir, il suffisait de taper trois fois avec l'index, trois fois avec le majeur, trois fois avec l'index pour savoir qu'on avait besoin de l'autre. Ça marchait à tous les coups et ni vu ni connu, on était au point. Tous ses petits détails qui nous unissent sont finalement très amusants.

— Grandma, est-ce que Bruno t'a dit autre chose ?

— Non mon choupinou, si ce n'est qu'il était heureux de te voir.

— Il t'a pas précisé ce que monsieur Courtois faisait ensuite.

— Non, juste il lui a filé un billet pour le remercier.

— Ouais ça, c'est tout lui, ajoute Manu prêt à exploser.

— Par contre apparemment il est reparti sur les chapeaux de roues, précise Grandma le sourire aux lèvres. Ça me rappelle ton oncle. J'arrive, je jette un billet et je me casse. Oh, pardon Manu, je caricature, ton père vaut sûrement bien mieux.

Je ne sais pas si c'est par politesse ou ne voulant pas s'étaler sur le sujet, mais je sais que Manu se retient et qu'il bout à l'intérieur. Je ne sais pas pourquoi il est autant en colère contre son père, pourquoi une telle rancœur ? Qui sait un jour, se confiera-t-il ? Moi, je serai incapable d'en vouloir au mien. Par contre, j'espère que mes doutes, mes questionnements ne sont pas fondés. Parce que si ce que j'ai découvert est vrai, comment trouverais-je les mots pour expliquer la situation à Manu ? Il est devenu essentiel à mon équilibre, je ne voudrais pas briser ce lien qui se tisse entre nous.

— Zach, tu es avec nous ? me demande Etienne en me tapant sur l'épaule.

— Oui pourquoi ?

— Je sais pas trop, tu as une sale tête.

— Merci du compliment, venant de toi j'apprécie. Où est passé Manu ?

— Il est sorti, apparemment il a reçu un coup de fil.

— Eh merde, pourvu que ce ne soit pas son père.

— Ça, il n'a pas précisé, mais je pense que vue la tronche qu'il tirait, c'était pas son mec, où il vient de lui annoncer qu’il le larguait.

— Son mec ? Qu'est ce que tu racontes ?

— Je sais pas, c'est un beau gosse, ne me dit pas qu'il a pas un copain.

— Ben, je pense pas, il m'en aurait parlé.

— Ahaha, je t'ai bien eu.

— Tu joues à quoi ?

— Laisse tomber, pas d'importance, me dit-il tout en tapant sur son ordinateur.

Qu'est ce qu'il voulait insinuer ? Pourquoi il m'a bien eu ? C'était un test pour savoir si Manu est dispo maintenant que lui affiche : célibataire. Il voulait ma bénédiction ? C'était bizarre comme conversation. J'ai peut-être les idées un peu trop dans le brouillard après mes confessions sur la plage. Il me faudrait un décodeur. Étienne veut gagner des points auprès de Manu ? Après, il fait ce qu'il veut, il est grand, si Étienne lui plaît alors qu'il en profite.

— Zach, allô mon choupinou tu m'entends ?

— Oui Grandma, je ne suis pas encore sourd, enfin pas que je sache. Vous vous êtes donné le mot avec Étienne. D'ailleurs, il est passé où ?

— Il avait un truc à faire. Une envie pressante.

— Oh je comprends, je ne l'ai pas vu partir. Manu non plus.

Non il ne l'a quand même pas rejoint. Je rêve quand le chat n'est pas là, les souris dansent.

— Zach, tu es encore parti.

— Où ?

— Si je savais, je pourrais t'aider.

— Pas sûr que quelqu'un puisse.

— Oui, c'est ce que je constate, tu étais tout sauf dans cette pièce. Tu es là physiquement, mais c'est tout. D'ailleurs ton café doit être froid depuis que tu le regardes sans le porter à tes lèvres.

— Ça fait longtemps que je suis absent ?

— Bien trop longtemps mon Zach. Ta soirée a été compliquée ?

— Oui, j'ai voulu parler de maman à Manu, enfin plus précisément de ce mercredi où elle nous a quittés.

Je sens à nouveau les larmes montées.

— Stop Zach, me sermonne Grandma. Elle ne voudrait pas te voir souffrir.

— Je sais, papa me le répète aussi. Mais je n'y arrive pas, c'est plus fort que moi.

Je tremble, je ne contrôle plus rien, mes émotions me submergent, je lutte pour ne pas me noyer dans mon chagrin. Je fouille dans la poche de mon jean à la recherche d'une cigarette. Je sais ce qui me ferait du bien, un joint. J'ai tout ce qu'il faut dans mon sac à dos, le paquet, je n'ai qu'à l'ouvrir. Avaler une ou deux taffes, lâcher prise, me sentir partir.

— N'y pense même pas Zach, me dit Grandma en m'attrapant les mains.

— À quoi ?

— À fumer autre chose qu'une clope.

— Pierrette.

— Oui.

— Non rien, laisse tomber tu as raison. J'essaye d'arrêter.

— Tu pourrais trouver une motivation.

— Laquelle ?

— Quelque chose ou quelqu'un qui compte pour toi.

— Comme qui ?

— Ton père, moi, Manu ou toi tout simplement. Tu es jeune, même si on dit que jeunesse doit vivre. Je pense qu'il n'y a pas d'âge pour faire des conneries. Mais celle-ci est une des pires.

Elle vient de mettre le doigt où ça fait mal, elle veut me faire réagir. J'ai conscience au fond de moi qu'elle a raison. Je la regarde désemparée, je ne sais pas quoi répondre. Dans ses yeux, des larmes prêtent à déborder. Ah non, hors de question. Je ne veux pas lui faire de la peine. Putain, quand est-ce que je vais mettre du plomb dans ma cervelle ? Elle a raison, maman detesterait me voir me détruire à petit feu. Elle culpabiliserait.

— Après tout c'est ton choix.

— Ouais. Grandma, Il me faut du temps pour remettre tous les morceaux du puzzle à sa place. On va partir quelques jours avec Manu, il veut aller voir un pote à Royan.

— Ça te fera du bien de voir autre chose.

— Je pense que Manu a besoin de parler avec son ami.

— Et le père de Manu ? Il sait que son fils est parti en cavale avec toi ? Il sait que son fils fume de la beuh.

— Ah non Grandma, Manu est clean.

— Par contre, tu m'as pas répondu pour son pere. Monsieur Courtois a un rapport avec tout ça.

— Ça je ne sais pas encore et j'espère que non.

— Je t'ai entendu crier cette nuit. Tu fais encore des cauchemars.

— Je pensais que c'était fini, papa m'en aurait parlé si ces derniers temps j'avais fait de nouvelles crises.

— Pourtant tu répétais en boucle méfie toi.

— Et rien d'autre.

— Non ce n'était pas compréhensible.

— Tu es sûre ?

— Tu en as parlé à Manu ?

— Ah non, surtout pas.

— Pourtant je suis certaine que tu peux lui faire confiance. Parle lui.

— Plus facile à dire qu’à faire.

— Si tu ne le fais pas, tu pourrais le regretter.

— Je pense que Manu n'est au courant de rien.

— Qu'est ce que je devrais savoir ? demande Manu planter derrière moi.

— Rien, on parlait de…

J'hésite à finir ma phrase, je pourrais lui mentir mais s'il y en a bien un qui me perce facilement à jour quand j'essaie de lui cacher des choses, c'est Manu. Il utilise toujours la même méthode, s'il ne veut pas me mettre dans l'embarras, il feint de changer de sujet et n'insiste pas. Là, je suis mal. Vue dans l'état où j'étais hier, entrée dans les détails de cette nuit et parler de ce que j'ai plus ou moins découvert me mettrait dans une situation des plus inconfortables.

— Je ne pense pas que tu sois prêt à entendre la suite.

— Écoute, laisse moi en juger par moi-même. Ne me traite pas comme un gosse.

— Mon p'tit Manu, attends-moi. Je ne voulais pas, dis-je en le voyant sortir en courant vers le jardin.

Étienne m'intercepte au passage.

— Attends un peu, laisse-lui le temps de digérer.

— Je ne comprends pas, mais putain qu'est-ce que tu sais que moi j'ignore ?

— C'est entre vous deux.

— Arrête de jouer aux devinettes, là ma patience est à la limite de ce que je peux encaisser.

— Pour l'heure, la seule chose que tu as à savoir, c'est que le peu que j'ai entendu en passant n'était pas génial. Je pense que ça a chauffé avec son père.

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