S’éclipser
Je ne pensais pas nager aussi longtemps, me voilà fourbu. Peu importe, je me suis tellement défoulé ! Fabrice est resté à l’eau avec Johan et Marion, un couple d’amis qui vient souvent ici. Ils ont l’air de bien se connaître, Johan n’arrête pas de le chambrer. Je préfère les laisser entre eux et revenir sur ma serviette pour lire mon roman.
J’ouvre doucement les yeux, j’ai du m’endormir. Autour de moi, pas âme qui vive. Je regarde en direction de l’océan, mais je ne vois personne. Je ne sais même pas l’heure qu’il est. Et où est Fabrice ? Il y a encore sa serviette à mes côtés ainsi que son sac, étrange. Il fait encore chaud, mais l’air est plus respirable à présent. Je vais piquer une tête pour me rafraîchir. C’est incroyable, j’ai la mer pour moi tout seul. Je fais la planche, enchaîne les roulades, nage sur le dos pour m’étirer. Je me rends compte que le sport m’avait manqué et cette petite session de cet après-midi compensera largement une séance de volley-ball. Je finis par m’asseoir face à la mer et laisse les vagues recouvrir mes jambes. Le soleil a déjà bruni mon corps. Ca me fait encore tout drôle d’être à poil, comme ça, sur le sable, c’est tellement agréable ! Je ne sais pas si j’oserais en parler à Olivier. Pour qui va-t-il me prendre ? Oh, après tout, je m’en fou. C’est une chose que je partage avec Fabrice, point barre. Je ferme les yeux et savoure cette journée idyllique.
Lorsque je reviens à ma serviette, j’aperçois au niveau des dunes Fabrice revenir avec ses amis. Ils ont dû aller faire un tour. Ils ont le visage radieux.
— Alors Manu, on t’a pas trop manqué ?
— Je suis retourné me baigner. Et vous, une petite balade, ça a été malgré la chaleur ?
— Ouais, c’était sympa.
— Très sympa. C’est mieux entre amis les balades, lance Johan, en se marrant. Marion lui donne un coup de coude comme pour le faire taire.
— Écoute le pas, il n’arrête pas de faire le con depuis tout à l’heure, ajoute Marion, les joues rougies.
Ils essayent manifestement de garder leur sérieux, mais ça leur est difficile. J’ai dû rater un truc, peu importe.
— Bon et bien, nous, on va y aller. Ravi d’avoir fait ta connaissance Manu. Passe un bon séjour avec Fabrice et à bientôt qui sait ?
Tous les trois se font la bise. Je les salue de la main.
— Ça fait longtemps que tu les connais ? Ils ont l’air sympas.
— Non, pas tellement en fait. On se voit de temps en temps. Et ton bouquin, ça avance ?
— Non, pas trop, je me suis endormi dessus. La nage m’a achevé, on dirait.
— Oui, on a vu ça tout à l’heure, on s’est dit que tu ne nous en voudrais pas si on t’abandonnait un peu. Content de ta journée ?
— Top ! Je comprends pourquoi tu viens ici. La plage est carrément plus grande et plus belle et surtout beaucoup plus calme.
Fabrice me sourit. Il a l’air aussi détendu que moi, ça me fait plaisir.
— Je commence à avoir la dalle, ça te dit qu’on rentre tranquille. Avec ce que tu as rapporté du marché, il y a de quoi se faire un petit festin.
— Ça marche ! Mais avant de partir, j’ai envie de prendre une photo de l’océan pour immortaliser cette belle journée. Je reviens, j’en ai pour deux minutes.
Je cours jusqu’au rivage, cadre ma photo, hop c’est dans la poche ! Me vient l’idée de l’envoyer à Etienne. Au même instant, je reçois un texto de sa part, avec une photo de la plage et de la mer au loin, accompagné d’un commentaire : “L’océan est mon oxygène”. Ces simples mots entrent instantanément en résonance avec moi. Cette très belle coïncidence me va droit au cœur. Touché, je lui adresse ma photo en réponse, avec un petit message : “A très vite pour le partager ensemble.” Une fois envoyé, je me dis que c’est bête de ma part de lui avoir menti, car je ne suis pas prêt de le revoir. J’ai un petit pincement au cœur, car au fond de moi, je n’en pense pas un mot. Étienne est une vraie rencontre. J’ai envie de le revoir. Quant à Zach, je sais aussi que je ne pourrais pas ne pas le revoir. Se mentir à soi-même ne me fera pas avancer. Pour le moment , je suis incapable de reprendre contact avec lui. Mon amour propre me l’interdit. Et surtout, j’ai peur de nos retrouvailles.
*
Le repas est prêt, Fabrice me propose d’ouvrir une bouteille de champagne. J’accepte volontiers. Nous trinquons.
— À nous, mon cher Manu. Je te souhaite de continuer à profiter de cet été de manière libre et légère, comme tu l’as fait aujourd’hui.
— Merci encore de m’héberger, surtout au dernier moment.
— Ça me fait plaisir, ça sert à ça les amis.
Ses paroles me touchent. Avec nos vingt ans de différence, ça me fait bizarre de considérer le plus vieux copain de ma mère comme un de mes amis à part entière.
— Tout va bien, Manu, je te sens troublé ?
— Non, c’est rien, ça doit être le champagne.
— On n’est pas obligé de finir la bouteille, tu sais. Alors, cette plage, convaincu de la baignade sans maillot de bain ?
— Tu as bien fait de me faire la surprise, seul, je n’aurais jamais osé.
Nous commençons à grignoter l’apéritif, quand le portable de Fabrice sonne. Il s’éloigne dans la chambre pour répondre. Je ressens les bulles de champagne éclater une à une dans ma tête. Tranquillement posé sur le canapé, les pieds sur la table basse, je savoure mon verre. Je réalise tout à coup que la vie est vraiment imprévisible. Elle peut être aussi simple que méga compliquée. Il y a de bonnes ondes ici, je m’y sens bien.
La conversation de mon hôte s’éternise. Il finit par revenir. Son visage si enjoué de tout à l’heure a complètement changé.
— Manu, c’était Françoise au téléphone. Ta mère essaye de te joindre depuis deux jours.
— Et merde, elle peut pas me lâcher deux secondes.
— Ne parle pas d’elle comme ça. Je suis au courant pour elle et Patrick. Désolé de le dire comme ça, mais depuis le temps que j’attendais qu’elle quitte ton père.
— Tu n’as pas à être désolé, j’attendais la même chose. Tu lui as dit que j’étais chez toi ?
— Non, je tiens toujours mes promesses, tu ne l’as pas remarqué ?
— Si, pardon, c’est que j’ai pas envie que d’une manière ou d’une autre, mon père apprenne où je suis.
— Justement, à propos de ton père…
— Qu’est-ce qu’il a encore fait ?
— Ta mère m’a dit qu’il était à Madrid avec Patrick pour la semaine. Quand j’y pense, je trouve ça très cocasse. S’il savait que son associé est aussi l’amant de sa femme…
— Ça va lui faire les pieds.
— Il faut qu’on parle de Patrick, justement.
— Hein, mais pourquoi ?
— Ton père t’a dit pourquoi il partait à Madrid ?
— Pour son boulot, non ?
— Je ne pense pas que ça soit à moi de te dire ça, il vaut mieux que tu rappelles ta mère.
— Tu te ligues toi aussi contre moi, c’est ça ? dis-je sur un ton amusé.
— Sérieux, Manu, appelle-la.
Fabrice me fait les gros yeux, je préfère ne pas lutter. Je finis ma coupe et à contre-coeur, je m’en vais chercher mon téléphone dans la chambre d’ami.
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