Et la seconde d’après, Bam !
J’ai l’impression que la scène qui se joue devant moi se déroule au ralenti, comme un effet de cinéma réussi. Zach et Jérémie. Jérémie et Zach. Les années ont passé, bien sûr, mais ton ami perdu est resté aussi beau que dans ton souvenir. L’être retrouvé n’est pas un hologramme mais bel et bien vivant. Pour t’en prouver, le contact physique est essentiel, nécessaire, indispensable. Alors tu le prends dans tes bras et jures que tu ne rêves pas. La joie intense de vos retrouvailles est évidente, sincère, incroyable. Jérémie a rangé au placard son costume de Light Yagami, ses yeux ne sont plus hautains et méfiants, ils sont doux et avenants. Le monde autour de vous n’existe plus. Vous êtes propulsés une décennie en arrière, sur une autre planète. Vous avez tant de choses à vous dire, à rattraper.
Et la seconde d’après, Bam ! Zach, dans ton champ de vision : ton p’tit Manu, à deux mètres de toi. Surprise ! Tu ne t’y attendais pas, n’est-ce-pas ? Double effet kiss cool. T’es planté là, estomaqué de me voir ici, en chair et en os, moi aussi. T’en dis quoi ? Ton scénario vient de changer. Non seulement, tes prévisions de te retrouver en tête à tête avec ton ami d’enfance sont réduits à néant, mais c’est sans compter l’arrivée de Maël, un autre trouble-fête, sûrement plus joyeux que moi.
Jérémie lui a manifestement parlé de toi, car il se fait une joie de t’accueillir, impatient de te connaître. Sans le savoir, il est ton sauveur, ton rempart qui saura te protéger de ma personne. Je fais mon éternel sourire de celui pour qui tout va bien, mais comme tu me connais, tu sais qu’il n’en est rien. Je bouillonne de nouveau. Pourquoi je ne peux pas me satisfaire de ton texto d’excuses pour te pardonner tout simplement ? La faute de Jérémie ? Manu, arrête de trouver un bouc-émissaire, c’est trop facile. S’il faut en vouloir à quelqu’un, c’est à toi. A toi seul. Tu ne supportes pas qu’une fille et encore moins un mec viennent le coller de trop près, il serait temps de grandir un peu, non ?
— Et toi, tu bois quoi ? me demande le serveur.
— La même chose que Zach.
— Il n’a pas encore commandé, je te rappelle qu’il est parti aux toilettes, dit-il, désappointé, en regardant Jérémie. Monsieur n’a pas l’air d’être avec nous.
— Pardon, je…
— Au fait, je vois que t’as retrouvé ton sac !
— Light Yagami m’a gentiment joué un tour. Merci d’avoir été son complice.
— Ce n’est pas très malin de ma part d’avoir accepté. Je suis incapable de lui refuser quoi que soit, il est toujours très persuasif, avoue d’un sourire Maël. Je trouverais bien quelque chose pour me faire pardonner.
— Qu’a-t-il à se faire pardonner ? demande Zach, de retour.
— Rien du tout. Il a le même humour spécial que Jérémie, il faut juste que je m’y habitue.
Zach nous regarde tous les trois.
— J’ai loupé un épisode, je crois. Vous m’attendiez pour commander ? Je goûterais bien à la Guignette, moi.
— Tournée de Guignette pour tout le monde, alors ! s’empresse de dire le serveur en sautant de son siège.
— Ça alors, si je m’attendais à avoir mes deux meilleurs amis en face de moi aujourd’hui, je ne l’aurais pas cru, dit Zach en oscillant la tête de droite à gauche.
— Moi non plus, échappons-nous à notre tour.
— Il faut fêter ça ! Vous allez rire, j’ai un petit cadeau pour chacun de vous, dit-il ravi, en agitant un sac dans chaque main.
— Merci beaucoup, mais je t’avais juste demandé de récupérer ma commande, dit Jérémie, touché.
— La libraire de Mille Sabords a rajouté dans le sac une surprise pour toi.
Jérémie l’ouvre et nous montre le porte-clé.
— Trop stylé, il faudra que je remercie Angie.
— Et voilà pour toi, Manu.
— Il ne fallait pas, je…
— Quand je l’ai vu dans la vitrine, j’ai tout de suite pensé à toi.
Aussitôt je déchire l’emballage cadeau. Je découvre, émerveillé, le livre Tintin et le port de La Rochelle.
— Merci, Zach, je ne sais pas quoi dire.
— Ne dis rien, et viens m’embrasser !
De concert, avec Jérémie, nous nous levons et déposons une bise chacun sur les joues de Zach.
Maël nous interrompt en déposant nos boissons sur la table. Il s’excuse de devoir finalement nous quitter mais tient à trinquer avec nous, avant de partir son verre à la main.
Ravis de nous avoir fait plaisir, Zach reprend là où il en était.
— Alors, dites-moi tout ! Comment se fait-il que vous vous soyez rencontrés tous les deux ?
— C’est une longue histoire, disons-nous une nouvelle fois en chœur avec Jérémie.
Nous rions tous les trois. Oui, nous rions, car à présent, il serait ridicule de ma part de continuer à avoir la moindre inquiétude concernant mon ami et son pote. L’authenticité de l’amitié qui les lie se lit dans leurs yeux. Qu’est-ce que j’ai pu être con !
Le recoin dans lequel notre table se situe permet d’être à l’abri des oreilles indiscrètes. Notre conversation commence à partir dans tous les sens. Chacun se coupe la parole, s’excuse et reprend de plus belle ses explications, tellement nous sommes excités de dire à l’autre le plaisir que nous avons de nous revoir, de confier les dernières révélations de notre aventure improbable. L’heure tourne, il est déjà vingt heures. Maël a la bonne idée de nous apporter de quoi grignoter en plus de nous servir une deuxième tournée de bières irlandaises.
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