A coeur ouvert

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Le générique de fin défile, je saisis la télécommande pour éteindre la télé et en profite pour attraper l'album photos. Se remémorer notre vie avant cette nuit cauchemardesque me fait réaliser que le plus important reste l’instant présent. Tous ces chouettes souvenirs étalés devant mes yeux me font craquer. Ras le bol, tous ces secrets sont devenus trop lourds à conserver, ils me rongent de l’intérieur. Je lui dois la vérité.

— Papa, on peut parler.

— De tout, tu devrais le savoir depuis le temps.

— Après la mort de maman quand tu partais au boulot de nuit…

— Tu allais te coucher dans notre chambre.

— Mais comment le sais-tu ? Je m'arrangeais toujours pour regagner mon lit avant que tu ne rentres, dis-je l’air con.

Je prends une pause pour réfléchir à la suite de mes révélations quand mon père pose sa main sur la mienne. Je lui explique comment j'occupais mes nuits blanches. Comment je dévorais bouquin sur bouquin. Il m'arrivait de les lire à voix haute pour me rassurer.

— Un soir, je me suis replongé à corps perdu dans Le Petit Prince. Il était posé sur la table de chevet à côté de son cadre photo.

— Et tu l’as trouvée ? me demande-t-il en ne me quittant pas des yeux.

— Oui une lettre a glissé sur mes genoux. Surpris, au départ j’ai hésité, je ne voulais pas y croire. Pourquoi n’est-elle pas venue te voir pour en parler ? Pourquoi ne s’est-elle pas confiée ?

— Et toi pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

— Tétanisé, je ne savais pas si je devais te la donner ou la cacher. Je voulais te protéger, je commençais à mener mon enquête, je savais que tu ne serais pas d'accord et cette lettre est devenue le point de départ de mes investigations.

Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine, les larmes sont prêtes à surgir, j’ai le désagréable sentiment d’avoir trahi mon père. Il a dû sentir que je perds pieds et me tends un verre d’eau avant de me dire :

— Zach, nous sommes deux sombres idiots.

— Papa, je ne comprends pas., dis-je en m’écartant.

— Parce que je me doutais bien que le livre ne s'était pas volatilisé et j’ai fermé les yeux. Je pensais que tu voulais garder les derniers mots de ta maman pour toi.

— Je te confirme que nous sommes stupides, dis-je en serrant l’album contre moi.

— Si elle nous voyait, elle se moquerait de nous avec bienveillance. Et tu en as fait quoi ?

— Elle est toujours dans le livre sur une étagère dans la cabane des pins.

— Pourquoi ne suis-je pas supris de cette cachette, la cabane a toujours été ton refuge préféré, me dit-il en me prenant dans ses bras.

Après toutes ses révélations, mon père s'est endormi sur le canapé, il était épuisé. Je l’ai souvent retrouvé au petit matin, la tête blottie sur l'accoudoir avec la chienne en boule dans ses pieds. Après la perte de sa femme, à son retour de l'usine, il se posait devant la télé pour attendre la sonnerie de mon reveill. Mais ces derniers temps, la fatigue l'emportait plus facilement. Je n'avais pas le courage de le réveiller. Je retrouvais mon petit déjeuner sur la table. Je prenais du pain avec des barres de chocolat et filais.

L'horloge de la télé affiche minuit, il est trop tôt pour passer à l'action. Je zappe et tombe sur une rediffusion de la demi-finale des championnats d'Europe de Volley. Les deux équipes se donnent à fond, chaque point est âprement disputé. Je me revois assis au bord du terrain avalant mes BN pendant les matchs de Manu. J'admirais sa capacité à fédérer ses partenaires. Quand il montait au filet, sa main ne tremblait jamais. Il ne se posait pas de question, il fonçait. Difficile de passer inaperçu quand on est le capitaine de l'équipe. Il s'est toujours montré à la hauteur de sa tâche.

À cette heure, Jérémie a dû lui révéler la vérité sur son père. Je voudrais l'appeler, mais pour lui dire quoi. Qu'il me manque tout simplement. Comment as-tu encaissé les choses. Est-ce que tu me détestes? Si tu ne voulais plus avoir affaire à moi, je l'accepterais. Tu dois te sentir trahi. Me pardonneras-tu de ne pas t'avoir dit la vérité avant ?

Demain, je serai à Mézange et nous discuterons après la manifestation. Je t'expliquerai tout ce que tu voudras savoir. Ensuite, tu choisiras de rester ou pas. J'espère surtout que je pourrai tenir ma promesse et être au rendez-vous. Il est l'heure, je dois filer. Monsieur Campos m'attend. Il me doit un service, j'espère qu'il respectera sa part du contrat. Je mets un plaid sur mon père, pose un baiser sur son front et laisse la télé en bruit de fond. Si tout se passe au mieux, je le retrouverai en fin de matinée sur le parking du lycée comme convenu.

J'attrape mon sac à dos dans lequel je glisse le paquet. Il est dans une boîte hermétique. Avec Jérémie, nous avons pris la peine de relever toutes les empreintes. Il les a répertoriées et enregistrées dans le dossier que nous avons constitué. Heureusement qu'il est là pour me filer un coup de pouce. Sans lui, je n'aurais pas autant avancé. Nous avons refait des doses et laissé aucune trace de notre passage. Tout est nickel, aucun risque de remonter jusqu'à nous. Si nous ne savons pas quoi faire dans six mois, nous pourrons créer notre agence de détectives privés. Enfin, j'espère qu'ils ne la baptiseront pas avec mes initiales à titre posthume. Franchement Zach, t'as pas d'autres conneries à balancer à cette heure.

Mon portable vibre, une notification de Jérémie :

"Tu es sûr de ce que tu fais ?"

" J'ai plus le choix "

" Tu y es dans combien de temps "

" 10 minutes "

" Ok, envoie un smiley mdr "

" Même pas drôle "

" Tu préfères une tête de mort "

" Non surtout pas "

" Sois prudent, parce que je te garantis que je viendrai te hanter jusqu'en enfer "

" Parfait, je sais que tu seras toujours là pour moi ".

Je coupe nos échanges, j'approche de mon but. Je dois me faire discret. À cette heure, les seuls mouvements sont ceux des agents d'entretien. Monsieur Campos m'attend devant la porte de service. Je connais très bien les lieux. Avec ma mère, nous nous étions servis de l'hôpital Nord comme support pour un devoir à la maison. Je devais bosser sur les superficies. Ce mercredi-là, je l'avais suivi dans les bâtiments. Du haut de mes quatorze ans, j'avais trouvé ça bien plus motivant et gratifiant que de rester planter sur une chaise devant une feuille blanche. J'ai besoin de choses concrètes. Je n'ai pas été déçu. J'ai rencontré les collègues avec lesquels elle travaillait. Ils étaient tous passionnés par leur métier. Leur dévouement m'impressionnent.

Cet après-midi là, en passant devant la chambre d'Amélie, j'ai découvert une ado en galère. Elle se montrait fière et se battait jour après jour contre la maladie. Cette vicieuse ne lui offrait aucun répit. La demoiselle ne lui lâchait pas un centimètre carré et pour la défier avait décidé de sourire sans relâche. Je soupçonne Stella d'avoir sciemment organisé ce rendez-vous. La patiente avait besoin de compagnie. Ma mère avait prétexté qu'elle devait vérifier quelque chose dans les labos, nous abandonnant. Nous avons passé deux heures à jouer à Avatar. Ce jeu lui permettait de s'évader. L'expérience fut tellement concluante que nous nous sommes retrouvés tous les mercredis qui ont suivi pendant un trimestre. Je venais passer une heure avec Amélie pendant ce temps maman bossait dans son coin.

Cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Je me demande si elle ne menait pas déjà son enquête. Fin décembre, Amélie est sortie de l'hôpital pour retourner vivre en Angleterre. Nous avons gardé contact. Pour l'heure, sa maladie hiberne, elle ne sait pas si un jour elle remontera à la surface. Nous échangeons des courriers régulièrement. Au décès de ma mère, ses parents ont fait une donation à l'association des Petits Anges. Maman et deux amies infirmières l'avaient créé de toutes pièces. Elle venait en aide aux enfants atteints de maladies orphelines. J'enverrai un mot à Amélie dès que les choses se seront calmées.

— Zach, voici mon badge.

— Merci Monsieur Campos, je vous promets…

— T'inquiète, je sais que si tu le veux c'est que tu as une bonne raison. Ta mère était une femme géniale, je pense qu'il y a beaucoup d'elle en toi. Je finis mon service dans une heure, c’est le max que je puisse t'accorder.

— Ce sera largement suffisant.

— Sois prudent.

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