Étienne, chaud devant
Le temps que la pâte à crêpes repose, Pierrette nous propose de prendre une douche au premier étage et de poser nos affaires. C'est là où nous dormirons pour la nuit.
— Laisse la grande chambre à ton invité, choupinou, tu prendras celle des lits superposés.
Zach fait une drôle de tête. Espérait-il lui aussi que nous puissions dormir dans le même lit ?
— Grandma, comme tu as remarqué, j'ai grandi, et je crois que les lits que tu nous avais construits à Pierre et moi quand on avait dix ans sont définitivement trop petits.
— Heu… Oui, tu as raison. Deux grands gaillards comme vous serez plus à l'aise dans l'autre lit ! Il va falloir partager, j'espère que ça ne vous gêne pas.
— Non, pas de problème, répond Zach en m'invitant à le suivre.
Si tu savais comment ça ne me pose aucun souci à moi aussi, mon beau Zach !
— C’est qui Pierre, ton cousin ?
— Ouais, il a deux ans de plus que moi. Ça fait une éternité que je ne l'ai pas vu, et je m’en passerai bien. Ses parents et les miens se sont brouillés il y a trois ans et depuis…
La tête de Zach s'assombrit soudainement.
— Voilà, c'est ici, me dit-il en ouvrant la porte, content de faire diversion.
La grande chambre s'avère être une minuscule pièce où un lit double prend toute la place. Derrière la baie vitrée, une petite terrasse.
— Viens voir, la vue est top.
Zach ouvre la porte coulissante. Adossés à la rambarde de rondins de bois, nous admirons la forêt qui s'étend à perte de vue.
— Ah ouais, la classe. Je comprends pourquoi ta grand-mère est prête à tout pour sauvegarder cet endroit, c'est si paisible. On se croirait au milieu de nulle part.
— Si tu savais comme j'aime venir ici. J'ai tellement de bons souvenirs dans cette maison. Heureusement que ma grand-mère est encore là, tu sais.
J'aperçois une larme perler au bord de ses yeux. Je ne sais pas quoi dire tellement je suis surpris. Et comme un bon hyper que je suis, je ressens toute son émotion. Je pose ma main sur son épaule. Zach s'essuie machinalement la joue.
— Je me suis dis que c'était une bonne planque et… J'espère que tu ne regrettes pas d'être ici, parce que…
— Écoute Zach. Tout va bien pour moi, crois-moi.
— Promis, c'est la dernière fois que je t'embête avec ça, dit-il en tapotant ma main.
*
Il est temps de prendre chacun une douche. Je dois dire que ce n'était pas du luxe, on commençait à sentir les hommes des bois ! Zach revient de la salle de bain avec ses cheveux encore mouillés qu’il essuie. Son visage légèrement rougi, l’odeur de son gel douche qui me rappelle les vestiaires du lycée, son sourire qui me fait fondre… Ce mec me fait littéralement craquer et m’excite direct. Putain, Manu, arrête de penser avec ta…
— Manu, j’attends, tu me la donnes ?
— Hein ?
— Ta serviette que t’as dans les mains, je vais l’étendre dans la salle d’eau.
— Heu, oui, bien sûr.
Alors qu’il la met à sécher sur l'étendoir, nous entendons soudainement claquer la porte d'entrée du bas et quelqu'un parler fort. Nous nous regardons intrigués et descendons immédiatement pour savoir ce qui se passe.
La scène à laquelle nous assistons en bas de l'escalier est déconcertante. Pierrette est en train de réconforter dans ses bras un homme qui visiblement vient de pleurer. S'apercevant de notre présence, celui-ci se reprend aussitôt, en bombant légèrement le torse. Il s'excuse platement.
— Étienne, je te présente mon petit-fils Zach et un copain à lui, Manu.
Ce mec peut-être un peu plus vieux que nous est une véritable bombasse, version Jack Twist, le cowboy brun dans Le secret de Brockeback mountain. Avec en prime un magnifique tatouage. Une plante serpente le long de son bras et vient éclore en forme de fleur sur le côté droit de son cou. Je dois dire qu'il est super bien réussi. Il donne à son propriétaire un charme fou. Ses cheveux sont aussi noirs qu'un corbeau. Ses yeux sombres fatigués et tristes semblent d'un coup retrouver une certaine vigueur. Je suis légèrement troublé.
— Enchanté les gars, désolé pour cette entrée mélodramatique. Mon mec m'a encore plaqué, mais cette fois, il m'a prié de faire mes valises, dit-il sans la moindre gêne, en nous montrant deux gros sacs à dos à ses pieds. Pierrette a le cœur sur la main, elle m'a gentiment proposé de m'héberger.
— Tu es le bienvenu aussi longtemps que tu veux. Eh bien les garçons, si je m'attendais à de si bonnes nouvelles dès le matin ! Je suis si contente de vous avoir tous les trois à la maison.
Étienne tousse légèrement vexé.
— Mon petit Étienne, je suis sûre que ça va s'arranger, comme à chaque fois. Certes Oscar a le caractère malheureux des jaloux maladifs, mais tu ne dois pas être facile à vivre non plus.
Au lieu de prendre définitivement la mouche, Étienne préfère en rire.
— Et bien tu vois Zach, ta grand-mère a toujours les mots pour réconforter les gens !
— Et bien quoi, qu'est ce que j'ai dit ? riposte Pierrette.
— Rien, Grandma. Reste comme tu es, c'est comme ça qu'on t'adore ! lui répond Zach, en venant poser un baiser sur sa joue.
— Aaaah, je préfère ça ! Mais j'y pense, si ça vous embête pas les garçons, dit-elle en s'adressant à Zach et à moi, puisque Étienne risque de rester plus longtemps que vous, vous pourriez peut-être finalement dormir dans les lits superposés ?
— Ah mais non, Pierrette, je ne voudrais pas…
— Non, t'inquiète, Étienne, pas de souci. Ça me rappellera des souvenirs quand je dormais en haut.
Je ne peux pas m'empêcher de maudire Zach et encore davantage Étienne, qui, je suis sûr a remarqué ma déception. Il me regarde, légèrement embêté, avec une petite lueur malicieuse dans les yeux. Je viens de me faire griller, quel naze ! Pour se faire pardonner, il lui suffit de m'offrir son plus beau sourire. Et moi, évidemment, je tombe dans le panneau, comme tous les mecs à qui il sourit de la sorte. Je rougis comme une vierge effarouchée. Je me sens doublement ridicule. Mon regard se pose sur la table du salon. Trouver une diversion le plus vite possible.
— Dis-moi, Étienne, Pierrette nous a montré vos projets d'affiche pour votre manifestation. Il est cool votre logo…
Mais qu'est ce qui me prend de parler de ça !
— Ah, tu veux parler de la grosse bite en bois… Heu pardon, Pierrette. C'est une idée d'Oscar, à vrai dire. Mais c'est moi qui l'ai dessinée.
La grand-mère de Zach lève les yeux au ciel, faussement offusquée et demande à son petit-fils de préparer les crêpes avec elle. Je n'ai pas le réflexe de proposer mon aide, Étienne non plus d'ailleurs, qui préfère m'expliquer comment il a réalisé ce qu’il appelle son totem.
— Pour commencer, j'ai fait un premier croquis en me basant sur les proportions de celle de mon mec au réveil le matin, enfin de mon-ex à présent.
J'oublie de respirer une seconde, ce qui me vaut une quinte de toux atroce. Étienne me tapote le dos.
— Ça va ? Je déconnais. Désolé, je raconte que de la merde quand je ne suis pas dans mon état normal.
Je reprends mon souffle et lui fais signe que tout va bien.
— T'inquiète, je comprends. Tu viens de rompre avec ton petit ami et….
—... Je crois qu'en venant ici, je ne vais pas avoir le temps de déprimer, me dit-il en me faisant un clin d'œil entendu. Alors, t’en penses quoi ?
— De quoi ?
— Bah, de mon totem, t’aimes ?
— Heu, ouais, grave.
— Je me doutais bien.
Pourquoi je lui souris comme un niais, je suis con ou quoi ? Donnez-moi une pelle pour creuser ma tombe et disparaître à jamais ! Je tente de faire comme si de rien n'était en lui proposant de débarrasser la table sur laquelle nous mangerons. Lorsque je me retourne pour demander à la grand-mère de Zach où sont rangées les assiettes, j'ai le temps d'apercevoir le regard méfiant de son petit-fils en direction de ce nouvel invité. Étienne lui sourit le plus naturellement du monde. Il ouvre un grand buffet pour y prendre un lot d'assiettes qu'il me met entre les mains ainsi qu’un lot de couverts. Puis il ouvre un autre placard.
— Mmmmh, ça sent bon les crêpes par ici. Pardon, j'attrape juste les verres et je me sauve.
— Je t'en prie, fais comme chez toi, lui répond Zach, la mâchoire serrée.
Étienne exagère en prenant tout son temps pour sortir quatre bols en grès.
— Attention, tu vas faire brûler ta crêpe, mon choupinou !
Distrait, Zach s'empresse de la faire sauter dans la poêle, mais celle-ci tombe juste à côté, sur le plan de travail.
— Et merde !
Nous ne pouvons pas nous empêcher d'avoir un petit rire, ce qui n'est pas du goût de Zach.
— C'est pas grave, regarde, elle est parfaite, dit-elle en la récupérant intacte sur une assiette.
Vexé, Zach reprend son ouvrage, tandis que nous dressons la table.
Pour couronner le tout, Étienne me propose gentiment d'aller dans le jardin cueillir des fleurs sauvages pour faire un bouquet destiné à décorer la table. Il déconne ou quoi ? N'ayant rien à faire et ne sachant comment refuser son invitation, je me résigne à le suivre, mal à l’aise. Cela risque de jeter un froid avec Zach. Je lâche un timide “bon, bah à plus” auquel il ne répond même pas. Fuck !
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