Ma saison en enfer
Trois jours que je suis à la maison. Trois jours à glander, à ruminer : mon père, Zach, mon grand-père, mon avenir. Ça tourne en boucle. Allongé sur le tapis de ma chambre à observer le plafond, je me sens complètement perdu. Tout ce qui me semblait lumière hier, n’est que nuages sombres aujourd’hui. J’ai envie de tout envoyer balader.
Me revient en mémoire un de ces matins pluvieux de novembre. À priori quelconque mais qui est gravé dans ma mémoire de manière indicible.
Je me rends au lycée, l’air maussade. Au détour d’une rue, je tombe nez à nez sur le célèbre portrait du jeune Arthur Rimbaud et la citation : Un soir, j'ai assis la beauté sur mes genoux et je l'ai trouvée amère et je l'ai injuriée. L’affiche, fraîchement collée, indique la tenue prochaine d’une soirée poésie dans une salle culturelle de la ville, le truc chiant au possible. Sans réfléchir, je la prends quand même en photo et l’envoie à Fabrice, avec le commentaire suivant : Humeur de la journée. Le soir, sur le trajet du retour, je tombe, surpris, sur une nouvelle affiche, avec une citation différente : Elle est retrouvée. Quoi ? L'éternité. C'est la mer allée avec le soleil. Nouvelle photo envoyée à Fabrice qui me répond le soir même : Je me doutais que tu aimerais ce poète maudit, accompagné d’une photo d’un livre de sa bibliothèque. Sans le savoir, Fabrice pique ma curiosité.
Le lendemain, je file au CDI du lycée pour y dénicher le bouquin en question. La documentaliste me met entre les mains Une saison en enfer. Rien que le titre me fait dresser les poils sur les bras. Il me reste presque une heure avant le prochain cours, j’ai le temps d’y jeter un œil. Au départ, j’y comprends pas grand chose, mais je devine la colère, les aspirations et les espoirs du jeune poète. Comment expliquer que ses mots me touchent autant ? Ironie du sort, la semaine d’après, notre prof nous apprend que cette année, Rimbaud est au programme du bac de français. J'exulte. Je demande aussitôt à ma mère de m’acheter l’édition que nous m’a conseillé Fabrice. La semaine d’après, je fais l’école buissonnière pour échapper au dernier cours de la semaine et m’engouffre dans un café pour découvrir ce fascinant Arthur. Je vais même annuler une soirée entre potes pour me rendre à cette lecture. Il n’y a que des vieux, je m’en fous. Comme eux, j’en ressors nourri, plein d’étoiles dans les yeux.
Cet été, cent cinquante ans plus tard, est pour moi, comme l’homme aux semelles de vent, celui des basculements, de la fin d’une époque. Zach est mon compagnon d’enfer. Jusqu’où iront nous ensemble ?
On frappe à la porte de ma chambre. C’est ma mère qui vient s’enquérir de ma santé mentale. Trois fois par jour, elle épie chacun de mes gestes, vérifie si je mange un peu, essaye d’engager la conversation, en vain. Je ne fais aucun effort, j’avoue. Pas plus qu’avec Olivier qui insiste pour que l’on se voit avant qu’il parte à Besançon la semaine prochaine. Ok, va pour un Macdo.
*
Je viens de le quitter. La soirée était triste à mourir. Lui comme moi n'avions pas le cœur à sourire. Le décès de mon grand-père, mon père en taule, ce deal de shit à la con et la sévérité de ses darons, tout ça planait au-dessus de nous, bonjour l’ambiance. Il m’a avoué que ses parents lui avaient demandé de s’éloigner de moi, ce qui ne m’a pas surpris plus que ça. Bref, pour les festivités, on repassera.
Avant de nous quitter à l’arrêt de bus, on s’est promis de se donner des nouvelles, sans grande conviction. Et si une page se tournait aussi avec lui ? Je m’en fou à vrai dire. Résultat, il est vingt-deux heures, je suis déjà à la maison, ce qui ne manque pas de surprendre ma mère, assise dans le canapé, en pleine conversation téléphonique. Avant que je file dans ma chambre, elle me fait signe d’attendre. Je pousse un soupir, mais je me résigne à faire ce qu’elle demande, ça va pas me tuer. Elle finit sa conversation rapidement.
— Ça s'est bien passé ta soirée avec Olivier ?
— Oui, oui.
Ma mère fronce les sourcils.
— Écoute, maman, j’ai vraiment pas envie d’en parler.
— Ça fait presque une semaine que tu n’as pas envie de parler, dit-elle un peu plus sèchement.
— Désolé, maman, c’est pas contre toi…
— Oui, je me doute. Ton grand-père te manque, je sais que ce sont des moments qui ne sont pas faciles, cela prend du temps.
— C’est si dur. Si papa n’avait pas fait toutes ses conneries, il serait encore…
— Arrête, et ne dis pas n’importe quoi, ça ne te ressemble pas !
— Excuse-moi, je suis désolé. Tu veux qu’on parle de lui ?
— On en aurait pour des heures et je ne sais pas toi, mais moi, je n’en ai pas très envie. Assis-toi plutôt à côté de ta mère, j’ai quelque chose de plus important à te dire, du moins me concernant.
— Tu pars vivre avec Patrick, c’est ça ?
— Exactement. Lui et moi avons pris la décision que notre vie mériterait de repartir à zéro, ensemble. Tu m’en veux ?
— Pourquoi je t’en voudrais ? Je suis content pour vous, vraiment. Tu le mérites. Avec papa, vous allez vendre la maison ?
— On n’en est pas là, mon chéri. Et je t’avoue que c’est le dernier de mes soucis. Le plus important pour moi à présent, c’est de me reconstruire. C’est égoïste, non ?
— Maman, arrête, pourquoi tu dis ça !
— Parce qu’en pensant à moi, je t’abandonne.
— C’est dans la logique des choses, de laisser voler son enfant de ses propres ailes, non ?
— Tu es trop gentil avec ta mère. Et dire que dans quelques semaines, tu iras rejoindre mon frère à Galway. Je suis si contente.
— Je n’ai pas trop la tête à ça, en ce moment.
— Mon fils est amoureux, je le vois, tu rougis. Zach est un bon garçon, je l’ai toujours su.
— Mais je ne t’ai rien dit, comment tu…C’est papa qui…
Ma mère se met doucement à rire.
— Malgré tout ce que je peux penser de lui, il ne cessera de me surprendre.
Allez, file dans ta chambre, il y a quelqu’un qui t’attend sur whatsapp.
Je lui souris tendrement avant de la prendre dans mes bras.
*
Je passe une partie de la nuit sur l’appli non pas avec Zach, mais avec Étienne. Depuis que je suis ici, on se raconte tout. Il gère sa rupture amoureuse en allant nager tous les après-midi, ça lui vide la tête. L’entrevue avec Beauseigneur n’a pas été aussi constructive qu’il espérait, il va falloir batailler de nouveau. Dorénavant, le maire est enclin à écouter le collectif des deux oreilles, ce qui est une très bonne nouvelle malgré tout.
De mon côté, je suis content d’apprendre que Jérémie et Maël ont débarqué à Mezange. Ensemble, ils ont accompagné Zach à la gendarmerie. Il a été entendu une nouvelle fois. Ça a été assez éprouvant pour lui, il n’avait pas bonne mine en sortant.
Je me demande comment je vais surmonter tout ce qui m’arrive, et si c’est normal de n’avoir pas la force de répondre à tous les adorables textos de mon petit ami. Parce que oui, j’ai un petit ami à présent, me répète Étienne qui me conseille d’accueillir chaque marque d’affection sans me poser de questions. Pourtant je sens que quelque chose en moi ne tourne pas rond. Je devrais sauter partout et être heureux. Mais ce n’est pas le cas.
J’ai envie de croire que notre histoire va enfin pouvoir commencer sereinement. Mais je ne peux me défaire de l’idée que les bases sur lesquelles s’est construite notre histoire sont bancales. La mère de Zach est morte par la faute de mon père, c’est un fait que nous ne pourrons jamais effacer de notre mémoire. Je suis convaincu que ça nous portera la poisse pour toujours. Ce putain de hasard qui a voulu qu’on se rencontre, nous a bien mené là où il avait envie, sans nous demander notre avis. J’ai découvert les règles du jeu en cours de partie, et je n’arrive pas à les accepter.
J’ai raconté tout ça à Étienne qui a fini par s’énerver après moi. Il ne partage pas mon avis et me l’a clairement fait comprendre. Ca serait débile de passer à côté de mon crush qui est tout sauf un simple crush d’été. Pour ça, il a raison, Zach n’est pas un mec lambda qui m’aurait servi de goûter. J’ai surtout besoin de prendre de la distance pour y voir plus clair dans ma vie.
Je ne sais pas si j’ai bien fait, mais j’ai voulu être honnête avec Zach. Alors j’ai pris mon courage à deux mains. Je lui ai parlé de mes doutes. Malheureusement, les mots qui sont sortis de ma bouche n’étaient pas ceux que j’avais longuement préparé dans ma tête. Au lieu d’être franc et direct, j’ai emprunté des chemins sinueux, fait des allusions nébuleuses et imprécises. J’ai surtout fait ce que j’ai pu. Pour toute réponse, il a commencé à esquiver et à se raccrocher aux branches. Puis, tout à coup, j’ai senti quelque chose de différent dans sa voix. Une force, de la détermination. Cette épreuve, nous la traverserons ensemble m’a-t-il fait jurer. Alors, j’ai dit oui, tout de suite, sans réfléchir, parce que j’y croyais. Qu’est-ce que je pouvais dire d’autre à ce garçon incroyable, qui malgré les coups, se relève à chaque fois ? Il a été fantastique. Par moment, il arrive à me rassurer et tout devient limpide. À d’autres, c’est la cata et je repars à zéro dans mes schémas d’auto-apitoiement.
*
Me voilà de nouveau dans le train en direction de Mézange. Zach sera là pour m’accueillir. Malgré tous mes questionnements, j’ai hâte de le retrouver. Je suis persuadé que le revoir, discuter avec lui, passer du temps à la plage tous les deux, nous fera le plus grand bien. Le temps a le pouvoir d’effacer la douleur et de panser les plaies, il paraît. Alors pourquoi ne pas essayer ?
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