Chapitre 12. La connivence
Le regard vide, l’esprit embrumé, ayant encore un peu de mal à discerner la réalité des rêves invraisemblables que j’ai fait cette nuit, je contemple l’intérieur du réfrigérateur pendant de longues minutes, sans parvenir à faire un choix. Je n’ai pas vraiment faim. Il est encore trop tôt. Dehors, le jour se lève timidement. Sans se presser. Les nuits rallongent depuis quelques mois déjà. L’automne est arrivé la semaine dernière. Je prends la peine de le préciser, car il s’agit bel et bien d’une saison à part, dans ce coin du nord-est des Etats-Unis. Les américains en raffolent, c’est le temps fort de l’année. L’étouffante chaleur continentale se calme enfin, à partir de la mi-septembre, et on peut de nouveau porter des tenues plus confortables. Les soupes, les boissons chaudes et les desserts se préparent à la citrouille, à la châtaigne. On se déguise pour Halloween. On se retrouve pour Thanksgiving. Bref, c’est autrement plus festif qu’en France, surtout qu’en Bretagne, je dirais, où l’automne était, du moins du début de mon enfance jusqu’à la fin de mon adolescence, la saison de la pluie et du vent, de la rentrée scolaire, des matins noirs et humides à attendre le bus en grelottant dans une veste trop fine pour la saison.
Filip sort de la salle de bain, une simple serviette autour de la taille. Le torse nu et bombé, les poils blonds formant un léger duvet sur sa peau redevenue pâle. Il était pourtant rentré bronzé de nos vacances en Europe, l’été passé. Un saut en Belgique, puis un autre en Bretagne, quelques jours à Rome et une semaine en Grèce, à se dorer la pilule sur les plages de sable blanc et à se baigner dans les eaux azur de la Méditerranée. Tout cela me paraît si loin, à présent. La routine laborieuse du quotidien s’est de nouveau installée. Et notre couple s’y enfonce un peu plus chaque jour. Ce n’est pas que je m’ennuie, mais il me semble désormais difficile de rivaliser avec ces vacances torrides sur tous les plans.
Alors que je prépare mes tartines, Filip vient se coller à moi, et m’encercle la taille de ses bras. Il dépose un baiser dans mon cou. Me demande si j’ai bien dormi. Je réponds que oui. Je sens ses mains qui quittent mes hanches pour se glisser sous mon t-shirt, dans mon caleçon. A force de caresses et de baisers de le cou, il parvient à me déclencher une érection. Il commence alors à me branler, presque machinalement. Je le laisse faire, délaissant l’espace d’un instant mes tranches de pain grillé et mon beurre salé.
Quand il me juge suffisamment raide, Filip me retourne de force, m’embrasse sur les lèvres, tendrement, et me soulève pour me faire asseoir sur le comptoir de la cuisine. Il se fraie un passage entre mes jambes. Semble vouloir accéder à mon derrière. Mais je lui fais comprendre que nous n’avons pas assez de temps. Je dois être au bureau à huit heures et demie. Un peu déçu, Filip se rabat sur mon sexe, durci par ses soins, et y dépose ses lèvres roses. Il s’attarde un instant sur la pointe de ma queue, puis avale le reste, et s’applique à me sucer pendant quelques minutes. Sa bouche est tiède, humide. Il y joint ses mains, qui me caressent le membre en long, en large et en travers. La sensation est agréable, surtout au début, mais je me lasse un peu en voyant l’horloge du microondes afficher huit heures. Je risque d’être en retard. Usant d’un stratagème un peu honteux, mais auquel j’ai de plus en plus souvent recours, je me remémore la nuit passée avec Alvaro, à Buenos Aires. Ça ne rate jamais ! Au bout de quelques secondes à peine, je me vide dans la bouche de Filip, qui, presque par devoir, du moins, c’est comme ça que je l’interprète, avale ma semence avant de s’essuyer rapidement la bouche du revers de la main.
*
C’est tout juste si je n’ai pas raté mon métro, avec cette histoire de fellation matinale. Il a fallu que je coure pour parvenir à me glisser à temps entre les portes qui se sont rabattues dans mon dos, et ce n’est pas spécialement dans mes habitudes. Plus grave encore, j’ai dû faire l’impasse sur mon petit-déjeuner, et approche du bureau le ventre vide. Sachant que je suis en réunion jusqu’à treize heures, il me semble impossible de pouvoir tenir si longtemps. Je décide donc de faire un crochet par le Starbucks situé à quelques pas de mon bâtiment, pour y acheter de quoi me remplir l’estomac jusqu’au déjeuner. Je demande un grand café latte – vous pourrez noter, je me suis plutôt bien acclimaté aux goûts locaux – et un assortiment de cakes et autres cookies bourrés de sucre, et donc d’énergie. Le barista prend ma commande et me fait signe de patienter de l’autre côté du comptoir. J’y retrouve un petit groupe de personnes, toutes en tenue de bureau, les yeux rivés sur leurs téléphones respectifs, sans doute déjà plongés dans leurs mails et leurs documents à réviser de toute urgence.
Toutes, sauf un. Un beau jeune homme, approchant sans doute la trentaine, mais au visage encore enfantin. Les cheveux bruns, épais, coiffés un peu dans tous le sens, mais avec grâce et élégance. Une très légère barbe, brune elle aussi. Le regard ambré. Le nez droit et fin. Il porte une veste en cuir marron et une chemise en jeans, preuve qu’il ne travaille pas, a priori, pour une banque ou une organisation internationale. Ce qui ne fait que rajouter à son charme, à mon humble avis, en tout cas. Il doit sentir mes yeux qui s’attardent sur lui, car il me salue d’un geste discret de la tête, et d’une demie-moue, à mi-chemin entre le sourire et la grimace. Sans doute un peu gêné.
Un à un, les autres clients reçoivent leurs commandes et quittent le petit attroupement pour rejoindre la foule du dehors. Très vite, je me retrouve donc seul avec le jeune brun. J’essaye de ne pas le regarder avec trop d’insistance. Après tout, tout le monde n’a pas envie d’être dévisagé de la sorte par le premier inconnu rencontré au Starbucks du coin, et encore moins avant d’avoir eu sa dose de caféine. Mais, à ma grande surprise, c’est finalement lui qui engage la conversation.
- Réveil difficile ?
Je note une légère pointe d’accent dans sa question. Mais, avec si peu de mots pour juger, je ne saurais pas dire d’où il vient. Il est blanc et l’anglais ne semble pas être sa langue maternelle. Probablement d’Europe ou d’Amérique du sud, donc. Peu importe. De toute manière, je n’ai pas le temps de réfléchir plus longtemps, et dois trouver quelque chose à répondre.
- Comme toujours, je ne suis pas du matin.
C’est complètement faux, d’ailleurs. D’ordinaire, je suis plutôt du matin. Mais bon, il faut bien faire la conversation. Et je n’ai pas spécialement envie de lui dire que je suis en retard au bureau parce que mon copain a insisté pour me sucer sur le comptoir de la cuisine, et ce sans que je sois particulièrement motivé. Je ne suis pas encore arrivé à ce stade de la spontanéité, certains diraient de la psychopathie.
- Moi non plus, avoue-t-il, d’une voix qui semble être un peu plus sincère que la mienne. Tu travailles dans le quartier ?
- Oui, juste au coin de la rue.
- Ah, pour les Nations Unies, j’imagine ?
- C’est ça !
- Moi j’étudie à la Columbia, c’est juste à côté, aussi.
Aïe ! Il est encore étudiant… Suis-je donc déjà devenu un prédateur sexuel obsédé par la jeunesse ? Ce serait arrivé si vite que je ne m’en serais même pas aperçu ? Ok, n’exagérons rien, je n’ai pas encore atteint la trentaine, et lui n’a pas l’air d’un adolescent prépubère. Mais quand même, ça fait quelques années que je n’ai pas discuté avec un « étudiant » qui me plaise, avec quelques arrière-pensées d’ordre pas tout à fait académique. La gêne doit pouvoir se lire sur mon visage, car le bel inconnu ajoute quelques précisions bienvenues :
- Je termine mon doctorat. Je n’ai pas dix-sept ans, ne t’inquiètes pas, je ne vais pas appeler la police !
J’ai un petit rire nerveux, mais surtout un long soupir de soulagement intérieur. S’il est doctorant, ça veut dire qu’il a à peu près mon âge. Je ne suis donc pas encore à ranger dans la case des pervers sexuels. En tout cas, pas de ce genre-là. Ouf ! Je peux donc laisser libre court à mon imagination sans craindre d’enfreindre le moindre tabou sociétal de premier ordre.
Mais malheureusement, nous n’avons pas le temps d’approfondir notre connaissance mutuelle : notre conversation est coupée court par sa commande qui arrive enfin. Le barista demande un « Luis ». Et le beau brun – que j’imagine désormais espagnol, portugais ou sudaméricain, ce qui ne réduit pas vraiment les possibilités que je m’était fixées auparavant, me direz-vous – répond présent, s’empare de son café et me quitte avec un joli sourire et un petit geste de la main.
- A la prochaine, me lance-t-il d’un ton jovial, bon courage pour ta journée !
Je maudis la productivité légendaire des employés américains de la restauration ! Tant pis, ce n’était pas « meant to be », comme ils le disent si bien ici. Quelques secondes plus tard, on demande un « Luke », que j’imagine être moi. Et c’est bien le cas. Je reçois ma boisson et mes viennoiseries, et quitte le Starbucks d’un pas pressé pour me rendre au bureau, quelques minutes seulement avant le début de ma première réunion.
*
Le surlendemain, l’histoire se répète déjà. Filip insiste pour que nous couchions ensemble avant de se rendre au bureau – « mais tu es toujours trop fatigué, le soir ! » - et je dois quitter l’appartement dans la précipitation, la chemise froissée, décoiffé et le ventre vide. Cette fois, je croise le dénommé Luis à l’entrée du café. Il s’apprête à en sortir. Sans s’arrêter, visiblement pressé, il me gratifie d’un large sourire, me tient la porte et me souhaite une bonne journée avant de disparaître dans la foule newyorkaise.
Puis, quelques jours après, rebelote. Cette fois, je suis parvenu à freiner les ardeurs matinales de Filip, et je passe par le Starbucks plus par espoir d’y croiser mon jeune doctorant que par réel besoin d’un apport en caféine ou en glucides. Et ça ne manque pas. Cette fois, je le retrouve attablé, sa tasse de café posée à côté d’une pile de livres, face à son ordinateur portable, recouvert d’autocollants prônant la protection de la forêt amazonienne et réclamant un moratoire sur l’exploration pétrolière au large des côtes brésiliennes. Il est trop occupé par ses lectures pour me remarquer. Il doit préparer un travail à rendre. Je commande mon café, m’approche discrètement de sa table, et tente de déchiffre les titres des livres qu’il consulte. Je remarque un livre que je connais bien, puisqu’il fait partie des incontournables les plus récents pour ceux qui travaillent sur la protection du climat et de l’environnement, La Terre inhabitable, de David Wallace-Wells. J’en profite pour entamer une conversation, que j’espère un peu moins superficielle que nos échanges précédents.
- Il fait déjà partir du programme, le bouquin de Wallace-Wells ?
Luis lève les yeux vers moi, le visage interloqué, puis, une fois qu’il me reconnaît, m’adresse un large sourire un peu embarrassé, tout à fait ravissant. Il semble chercher ses mots. Je décide donc de voler à son secours.
- Excuse-moi, tu étais concentré. Je ne voulais pas t’interrompre dans ton travail.
- Pas de problème, répond-il, ayant enfin repris pleine possession de ses moyens, tu m’as surpris, c’est tout. Je n’ai plus vraiment de cours, en doctorat, tu sais. C’est plutôt moi qui donne les cours. Mais oui, j’utilise ce livre-là, aussi. Pour enseigner la politique climatique.
- C’est ta spécialité ? demandé-je, tout excité à l’idée d’avoir un point commun avec ce charmant jeune homme.
- On peut dire ça, oui. C’est là-dessus que portent mes recherches.
- C’est marrant, je bosse au service climat des Nations Unies. C’est quoi l’intitulé de ta thèse ?
Je vois son visage s’illuminer, et devine une pointe de satisfaction dans son regard ambré. J’étais quasiment certain que cette information aurait un effet immédiat auprès d’un doctorant spécialiste de la matière. Je dois admettre que le code de bonne conduite et les règles d’éthique nous conseillent normalement de nous abstenir de révéler ce genre d’information à des inconnus rencontrés par hasard, mais je sais que beaucoup le font régulièrement. Il ne faut pas exagérer, nous ne sommes pas des agents secrets. Et si c’est pour s’attirer les charmes d’un beau brun, c’est pour la bonne cause.
- C’est sur la politique climatique du Brésil, répond finalement Luis, d’un ton enjoué, visiblement passionné par son sujet. J’essaye de prouver que la méthode de comptabilité officielle du gouvernement sous-estime en partie les émissions du pays ! Et comme tu peux l’imaginer, je ne trouve pas beaucoup d’informations sur le sujet…
- Tu es brésilien ?
- Oui, ça ne s’entend pas ?
Le mystère de la nationalité du bel inconnu est donc enfin résolu. Luis n’est en fait ni européen, ni hispanique, mais bel et bien brésilien. Je n’étais pas loin. Je dois avouer que l’accent brésilien en anglais ne m’est pas vraiment familier, je lui réponds donc que non, ça ne s’entend pas, ou en tout cas, que ce n’est pas évident pour moi.
- Et tu t’appelles ? poursuit-il.
- Loïc, je réponds, avant d’ajouter en français, « enchanté ».
- Français ou canadien ?
- Français.
- « Enchanté », Loïc, me répond-il d’un ton amusé, prononçant le mot français de manière absolument épouvantable. Moi c’est Luiz. Avec un ‘z’ à la fin, même s’ils se trompent toujours, ici.
Il m’indique son gobelet avec une mine mi-amusée, mi-désespéré. Le barista du Starbucks a écrit « Luis ». J’aurais dû m’en douter, écorcher les noms étrangers est un sport national aux Etats-Unis.
- Et bien, Luiz, je te laisse à tes recherches, je dois aller au boulot, moi !
- Attends une seconde !
Il fouille dans son sac à dos, en sort une feuille de papier, sur laquelle il griffonne quelque chose. Puis il plie le papier en deux, et me le tend, rougissant légèrement.
- Si tu veux prendre un verre, un de ces quatre. Pour parler climat, ou discuter d’autre chose. C’est toi qui voit !
Je regarde le bout de papier avec appréhension. Il y a inscrit son prénom et son numéro. C’est à mon tour d’avoir le feu aux joues. Je lui promets de le revoir bientôt, le salue chaleureusement et sors du Starbucks d’un pas allègre, les mains tremblantes, et des papillons dans le ventre. Je n’ai pas perdu ma journée !
*
J’arrive au bureau légèrement en retard. Pourtant, je suis le premier. Les autres ont eux aussi décidé de relâcher un peu leur éthique de travail, ces derniers temps. Depuis que la COP est passée, la charge quotidienne de travail a beaucoup diminué. En attendant la prochaine, j’imagine. Idriss passe dans le bureau, tout sourire, et déchante légèrement quand il voit que son équipe n’est pas aussi assidue qu’à l’accoutumée. Nous discutons quelques temps, sur un ton très cordial. Je dois dire que je suis impressionné par sa capacité à faire abstraction de l’incident que j’ai provoqué sur le rooftop, au printemps dernier. Il ne m’en a jamais tenu rigueur, et je lui suis infiniment reconnaissant. Ewelina arrive à dix-heures, superbe, comme à son habitude. Puis c’est au tour d’Erika et de Sanjay. Louise, rebelle dans l’âme et pas franchement matinale, arrive sur les coups de onze heures, avec l’air de s’être tout juste réveillée. Elle porte un t-shirt noir sur lequel on peut lire « à bas le capitalisme » écrit en lettres rouges. Il n’y a pas à dire, elle a un sacré culot de venir travailler comme ça. Et ce n’est pas pour me déplaire.
La journée passe tranquillement, sans événement majeur ni anecdote qui vaille la peine d’être racontée. Je profite d’un moment où Erika est au téléphone et ou Louise est partie fumer un cigarette pour m’approcher discrètement de Sanjay, avec qui je suis désormais seul dans le bureau, pour lui faire part de la théorie de Luiz.
- J’ai entendu… dis-je d’une voix un peu hésitante, avant de me rattraper, enfin j’ai lu dans… dans des papiers académiques… que certains gouvernements parviendraient à utiliser une méthode de comptabilité des émissions qui réduit artificiellement les chiffres. Je me demandais si… si c’était possible, tout simplement, ou si ce ne sont que des rumeurs ?
Sanjay se raidit sur sa chaise. Il tourne vers moi, visiblement mal à l’aise. Mais, voyant que je n’ai pas l’intention de laisser tomber, il force une réponse, d’une voix faussement neutre.
- Ce serait possible, en effet.
Je décide de creuser. Si je continue à appuyer là où ça fait mal, il devrait craquer. Sanjay n’est pas du genre à résister longtemps.
- Et tu y crois, toi ? demandé-je d’un ton innocent.
- Je… Enfin… Je ne suis pas naïf. Tu ne penses pas que ce soit plausible, toi ? Tu n’imagines pas quels gouvernements pourraient être tentés par de telles manipulations comptables ?
- Je ne sais pas… Le Brésil, au hasard ?
- Bingo. Le Brésil, la Colombie, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, et même la Norvège. L’Union européenne, ils ne peuvent pas, ils se sont engagés à utiliser notre méthode de comptabilisation. Mais les autres… Ils n’hésitent pas une seconde !
Sentant que nous entrons sur le terrain de la confidence, Sanjay reprend confiance et ouvre son programme informatique de comptabilité climatique. Il me montre plusieurs graphiques, ainsi que d’interminables tableaux remplis de chiffres et de sigles obscurs. Pour être tout à fait honnête, je n’y comprends absolument rien. Mais manifestement, ces données sont censées appuyer les dires de Sanjay, et donc la théorie de Luiz.
- Et c’est légal ? demandé-je, quelque peu perturbé par la facilité avec laquelle Sanjay a été capable de répondre à mes questions.
- Oui, tout à fait légal. En fait, il n’y a pas vraiment de norme internationale obligatoire en la matière. Après, si tu me demandes si c’est moral, c’est autre chose. Personne n’y comprend rien, donc ça passe, et ce depuis des années. Mais si ça se savait, et que les calculs étaient ajustés, ça ferait couler beaucoup d’encre…
Je me rassois sur ma chaise. Encore sous le choc de ces révélations. A en croire Sanjay, près d’un quart des gouvernements mondiaux ne déclarerait pas la totalité de leurs émissions, ce qui fausse complètement les données scientifiques utilisées pour modéliser le changement climatique. Ne sachant pas vraiment quoi faire de cette information, je retourne à mes occupations, et décide d’envoyer un message à Luiz, pour me changer les idées.
« Un verre dès ce soir, c’est possible, pour toi ? »
*
Dix-huit heures trente. Les collègues quittent le bureau un à un. Etant arrivé le premier, je mets un point d’honneur à ne pas partir le dernier, et laisse Sanjay seul avec ses logiciels résolument trop complexes pour mon petit cerveau. Avant d’aller retrouver Luiz dans le bar où nous nous sommes donnés rendez-vous, j’envoie un rapide message à Filip.
« Erika fête son anniversaire ce soir. Elle nous emmène au restaurant et je crois qu’elle est motivée pour sortir après. Je rentrerai tard, je pense. Donc ne m’attends pas ! »
Je ne suis pas fier de mentir de la sorte, mais je veux simplement éviter d’avoir à me justifier plus tard. Surtout si le verre partagé avec Luiz ne mène à rien, et qu’il n’y a donc pas de raison de l’inquiéter outre mesure. Du moins, c’est comme ça que je me choisis de me mettre en accord avec mes principes, le temps d’un soir. Jugez tant que vous voudrez !
Luiz arrive quelques minutes après moi. Il commande un simple bière. Du coup, j’ai l’air d’un snob, voire d’un alcoolique, avec mon gin tonic. Peu importe. Il ne se formalise pas. Il porte la même veste en cuir et chemise en jeans que la première fois ou nous nous sommes rencontrés. Sans doute la garde-robe d’un étudiant n’est-elle pas si fournie. Dans tous les cas, il est absolument charmant. Dans la lumière orangée du bar, sa barbe brune prend des reflets roux et ses yeux d’ambre tirent vers le doré. Son visage fin, mutin, presque enfantin, semble capable de prendre mille et une expressions à la minute. Il passe des sourires francs à la mine grave puis au rire aux éclats en quelques secondes à peine. Autant vous dire que la conversation est animée, et que le courant passe bien, en dépit du fait que nous nous connaissons à peine.
Il me dit être originaire de Porto Alegre, au sud du Brésil, et revendique quelques ancêtres écossais, ce qui expliquerait sa peau blanche et ses tâches de rousseur. Il m’explique également avoir rompu récemment avec « son petit ami », ce qui me remplit d’une joie inavouable. Je prétends être désolé malgré tout. Et prends soin de taire l’existence de Filip. Ou plutôt, de l’omettre. Après tout, il ne me l’a pas demandé. Du moins, pas frontalement. On se rassure comme on peut. Je règlerai ça avec ma conscience plus tard.
Outre sa disponibilité affective, Luiz me séduit également par ses convictions politiques. Je me reconnais dans son discours. Certes, peut-être un peu plus idéaliste que le mien, mais après tout, c’est à ça que servent les académiques. Sans leur ambition, leur rigorisme, les institutions internationales n’arriveraient à rien.
Après quasiment deux heures de conversation intense, ou nous avons dû refaire le monde au moins trois fois, Luiz change brutalement de sujet, pour revenir à des préoccupations, sinon plus terre-à-terre, du moins plus immédiates.
- Tu n’as pas faim ? me demande-t-il sur un ton si sérieux que ç’en est presque drôle.
- Un peu, si. Tu veux commander quelque chose à manger ?
- Je pensais plutôt te proposer de te cuisiner quelque chose à la maison, rétorque Luiz d’un ton insolent, presque aguicheur.
- Je ne veux pas m’imposer ! dis-je poliment, espérant secrètement qu’il insiste – ce qu’il fait immédiatement.
- J’insiste, dit-il avec un grand sourire, je ne suis pas un grand chef mais j’ai une ou deux idées qui devraient te plaire !
Je renonce à prétendre de refuser plus longtemps et accepte l’invitation, avec une joie qu’il m’est difficile de contenir. Tout se déroule exactement comme je l’avais espéré. Si ce n’est mieux encore.
*
L’appartement est minuscule, mais pas aussi miteux que je l’imaginais. Pour un étudiant à New York, Luiz n’est pas à plaindre. Et il y a en effet un vraie cuisine, petite, mais toute équipée. Le beau brun n’a donc peut-être pas menti sur son intention de me faire goûter à une spécialité brésilienne. Je m’installe dans le petit canapé convertible qui doit également lui servir de lit.
Mais, très vite, je comprends que nous ne sommes pas ici pour nous mettre aux fourneaux. Luiz retire sa veste en cuir, qu’il laisse tomber sur le dos d’une chaise, et vient s’assoir à côté de moi. Sa main se pose sur ma cuisse. Et son regard ambré se plonge dans le mien. Sans doute un peu aidé par les quelques verres enchaînés au bar, je me laisse prendre au jeu, et approche mes lèvres de sa joue pour y déposer un baiser. Puis glisse vers sa bouche. Que j’embrasse, avec retenue d’abord, puis un peu moins, puis franchement moins, et enfin plus du tout. Sa langue, encore un peu timide, se frotte doucement à la mienne. Notre étreinte se fait plus étroite, plus intime encore.
Bouton par bouton, il défait sa chemise en jeans, et dévoile un torse fin, assez pâle, recouvert de quelques taches de rousseur et d’un léger duvet brun, réparti inégalement, principalement sur sa poitrine et sous son nombril, sur le chemin de son pubis. Une puissante vague de désir s’empare de moi, et nos baisers redoublent d’intensité. Je l’aide à retirer sa chemise et, de la pulpe des doigts, vient caresser ses minces épaules, ses biceps discrets mais nettement marqués, son torse doux et tiède. Son corps tout entier frémit sous mes main. Sa bouche cherche la mienne en permanence. Je décide de l’accompagner, et retire ma chemise à mon tour. Nos peaux esseulées se rencontrent pour la première fois dans un contact tiède et électrique.
Quelques contorsions et acrobaties plus tard, et nous nous retrouvons nus l’un comme l’autre, face-à-face sur le minuscule canapé. Je découvre sa queue, somme toute assez courte, mais d’une épaisseur convenable. Lui semble complètement hypnotisé par la mienne. Je le laisse donc le privilège de plonger en premier vers mon sexe qui se soulève pour rencontrer la finesse de ses lèvres tendues. Je remarque rapidement que Luiz sait parfaitement s’y prendre, et les mouvements conjugués de sa bouche, de sa langue et de ses mains sur ma queue me provoquent une jouissance totalement inattendue. Très vite, je dois l’arrêter pour éviter d’exulter trop vite, et, détail non dénué d’importance, dans sa bouche.
Profitant d’un instant d’hésitation de sa part, je le renverse sur le canapé et fonds sur son sexe que j’engloutis d’une seule bouchée. Ma langue s’enroule sur l’épaisseur de sa queue, et j’initie un lent mouvement de va-et-vient qui semble lui convenir, à l’entendre gémir, les yeux clos et le visage rivé vers le plafond. Le suçant de la sorte, je remarque inévitablement la douceur de ses couilles, brunes et imberbes, et celle du chemin qui mène jusqu’à son derrière. Ma main s’y aventure. Et y découvre un petit trou à la douceur désarmante, qui vibre sous l’effet de mes caresses. M’invitant un moment à délaisser son sexe, Luiz jette ses jambes en arrière et me libère l’accès à son trou, que je viens chatouiller du bout de la langue. Je le sens qui se détend, petit à petit, priant pour qu’il accepte d’y accueillir ma queue.
Et puis soudain, ma prière est exaucée. Luiz se relève d’un trait, et court chercher un préservatif et un flacon de lubrifiant à la salle de bain. Il revient en trottinant vers le canapé, me décroche un rapide baiser, laisse le préservatif et le flacon à ma disposition, et se place à quatre pattes devant mon sexe fièrement dressé. J’enfile la capote, m’enduit la queue de produit et, car mieux vaut prévenir que guérir, en dépose un noisette au creux de son trou désormais entrouvert. Puis je m’introduis en Luiz, prenant garde à ne pas le brusquer. Mais le jeune brésilien n’a pas l’air de broncher. Au contraire, il se cambre et me fait signe d’accélérer le mouvement. J’obtempère avec plaisir, et finis ma course au fond de son derrière, avant de commencer à y imprimer un léger mouvement de balancier. Luiz se cramponne à l’accoudoir du canapé, et commence à gémir doucement sous l’effet de mes saillies.
La vue sur son dos et ses épaules relâchées, et sur la magnifique chute de ses reins est tout simplement vertigineuse. Moi qui suis plutôt habité à adopter le rôle du passif, je me trouve particulièrement à l’aise dans cette position inédite. Lorsque Luiz se retourne vers moi, j’ai tout le loisir d’admirer son beau visage barbu déformé par le masque du plaisir. Il se mord la lèvre inférieur. Et m’en réclame plus encore. Plus vite. Plus fort. Je lui donne tout ce dont je suis capable. Légèrement essoufflé par cet effort auquel je ne suis pas entrainé. Et je parviens à un résultat honorable. Quelques minutes plus tard, Luiz jouit dans le creux de sa main, après s’être branlé très brièvement. Pour ma part, je dois sortir ma queue de son derrière et retirer la capote pour pouvoir finalement accéder à l’orgasme, qui se repend en quelques jets sur le bas de son dos.
*
Après l’effort, le réconfort ! Luiz se douche rapidement et insiste pour tenir sa promesse et me faire goûter à quelques spécialités brésiliennes dont j’ignore le nom. Le voir s’affairer en cuisine, vêtu d’un simple caleçon qui dessine à merveille la forme rebondie de ses fesses achève de me convaincre de rester dîner. Je n’ai de toute manière aucune envie de retourner à l’appartement, avec Filip. C’est dur, mais c’est dit.
Notre conversation reprend peu à peu son court. Et, voyant les piles de dossier qui s’empilent sur le petit bureau qui jouxte le canapé, je repense à ce que Sanjay m’a avoué, plus tôt dans la journée.
- Tu sais, osé-je, sur le ton de la confidence, j’ai vérifié avec un collègue qui s’y connaît pas mal, et lui aussi pense que le Brésil manipule ses émissions.
- Comment ça ? répond Luiz, distraitement.
- Il m’a montré des graphiques, des tableaux, tout ça… J’avoue que je n’ai pas compris grand-chose, mais il a l’air sûr de son coup !
Luiz se fige dans la cuisine. Son visage se durcit, j’y devine l’effet combiné de l’excitation et de la concentration. Il semble réfléchir un instant. Calculer ce qu’il va me répondre. Stratégique. Peut-être un peu manipulateur ? Je ne sais pas. Enfin, d’un ton précautionneux, il me demande :
- Est-ce que tu penses que tu pourrais… m’aider à confirmer cette information ?
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
Il reste interdit. De nouveau, il semble cogiter un long instant. Prendre le temps de formuler sa phrase. Puis, une fois prêt, il se lance. Plus mystérieux que jamais.
- Loïc, je dois t’avouer quelque chose.
- Quoi ? demandé-je, soudainement un peu inquiet.
- Je ne suis pas doctorant à la Columbia. Je suis journaliste.
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